Jakko M. Jakszyk – Son Of Glen
Inside Out Music
2025
Thierry Folcher
Jakko M. Jakszyk – Son Of Glen
Alors que la rumeur persistante d’un nouvel album de King Crimson s’amplifie et se précise, Jakko M. Jakszyk, l’excellent frontman du groupe, vient de publier Son Of Glen, un projet solo qui fera sans doute patienter des fans, tout heureux de replonger dans le monde fantasque du Roi Cramoisi. Cependant, il est important de préciser que les huit titres de ce disque ne sont pas marqués du sceau crimsonien et doivent être vus comme une parenthèse personnelle, un essai plutôt réussi et très différent des tortueuses créations de l’équipe de Robert Fripp. Par contre, on y retrouve le chant bien connu de Jakko, et certains coups de mellotron qui ne peuvent masquer une évidente filiation. Mais de ce côté-là, je suis persuadé que personne ne s’en plaindra. Jakko M. Jakszyk a rejoint King Crimson en 2011 pour la sortie de Jakszyk, Fripp And Collins : A Scarcity Of Miracles, la dernière production studio en date de ce monument du rock progressif. Cette participation s’ajoutait à de très nombreuses collaborations parmi lesquelles figurent de grands noms comme Dave Stewart, The Tangent ou Level 42. Quelques albums solo en plus et de réguliers passages sur scène avec King Crimson, voilà une carrière bien remplie qui nous amène aujourd’hui avec ce Son Of Glen, très intime et occupant une place à part dans le cœur de son auteur. Car ce fils de Glen n’est autre que Jakko M. Jakszyk lui-même. Adopté à 18 mois par le couple Jakszyk, celui dont le vrai nom est Michael Lee Curran, rencontrera sa vraie mère (la chanteuse irlandaise Peggy Curran) dans les années 80 et apprendra récemment que son père défunt n’était autre qu’un aviateur américain se prénommant Glen. Une page essentielle de son existence qu’il relate dans son autobiographie Who’s The Boy With The Lovely Hair ? et dont ce disque est le prolongement.
Voilà pour l’histoire de Son Of Glen, un album que l’on peut rapprocher de The Road To Ballina (1997), un précédent opus qui revenait sur les terres irlandaises de sa mère biologique. C’est d’ailleurs le morceau « Ode To Ballina » qui crée le lien et qui ouvre ce nouveau chapitre de la plus belle des façons. On s’en doute, l’ambiance est le plus souvent mélancolique avec un besoin de réflexion offrant à « Ode To Ballina » un caractère introspectif très hypnotique. Les claviers et la flûte irlandaise de Jakko ainsi que le violoncelle de Caroline Lavelle se transformant en pourvoyeurs d’ondes languissantes au fort pouvoir méditatif. Ensuite, la guitare et le chant de « Somewhere Between Then And Now » montreront à quel point les capacités instrumentales et vocales de Jakko sont exceptionnelles. Alors c’est vrai, cohabiter avec un individu de l’importance de Robert Fripp ne favorise pas la mise en avant d’indéniables dispositions artistiques. Le passage par la case solo est à coup sûr le meilleur moyen pour y remédier et croyez-moi, beaucoup vont être surpris par le talent d’un musicien discret, très attachant et hors norme. Ce deuxième titre est tout simplement magnifique. Il se focalise sur l’aspect poignant d’une disparition – en l’occurrence celle d’un ami d’enfance – qui nous rappelle que chaque rencontre a son importance dans la construction de nos vies. Jakszyk père et fils (à la basse) sont seuls en scène pour nous offrir plus de sept minutes de douceur où transparaît un léger groove dans le rythme et dans la voix. Cet aspect chaleureux sera la grosse surprise de la part d’un musicien qu’on n’attendait pas forcément dans un registre aussi facile d’accès.
« How Did I Let You Get So Old ? » continue dans ce même état d’esprit en donnant la parole (au sens propre comme au sens figuré) à son père adoptif, Norbert Jakszyk. À partir des difficiles relations de jeunesse jusqu’à leur amitié actuelle, Jakko nous propose une émouvante évocation de leur parcours en commun. Des souvenirs, que les synthés aériens (très 10CC) ainsi qu’un chant plein de tendresse ne peuvent laisser indifférent. La corde sensible est touchée et sera malmenée tout au long de ce voyage au pays du questionnement et du bonheur retrouvé. Il en est fortement question sur « This Kiss Never Lies », une autre confession dédiée cette fois à Louise Patricia Crane sa compagne actuelle. Ce début d’album est assez cohérent et répond à la volonté cathartique de Jakko d’expulser bien des choses enfouies depuis trop longtemps. Après l’intermède instrumental de « Ode To Ballina (Reprise) », le ton de « I Told You So » se fait un peu plus mordant pour nous rappeler que comprendre les traumatismes ne les efface pas pour autant. Un titre, un peu trop haché à mon goût et musicalement assez banal. Heureusement, le court instrumental « (Get A) Proper Job » nous prépare de façon très lyrique un « Son Of Glen » de grande inspiration. Ce morceau titre, très progressif, termine en beauté un album rempli d’émotion et de créativité. Les paroles reviennent, bien sûr, sur le parcours atypique de Jakko et sur les relations avec ce père inconnu qui, semble-t-il, veille sur sa destinée. Mais le plus important reste la musique et son incomparable langage émotionnel. Ici, les alternances sont intelligentes et le choc puissant des mots laisse souvent la place à des moments de calme et de réflexion. La rythmique proposée par Gavin Harrison est comme à son habitude irréprochable et magique. Le chant, les guitares et les backings de Louise sont quant à eux d’une finesse incroyable. Pour moi, il s’agit de l’un des plus beaux morceaux prog entendus cette année. La vidéo vous attend ci-dessous.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on connaît mal certains des artistes majeurs du rock progressif. Derrière le rôle qu’ils jouent sur scène ou dans leurs créations, se cachent bien des tourments qui marquent à jamais leur vie. Avec Son Of Glen (en complément de son autobiographie) Jakko M. Jakszyk a exorcisé ses fardeaux de la plus belle des manières. Son album, sans atteindre des sommets, fait partie des beaux documents à posséder et à classer parmi les grandes histoires que le prog sait si bien raconter. King Crimson semble désormais occuper son temps et son esprit, mais le passage par la case solo était indispensable et salvateur. Dorénavant, je suis persuadé que vous ne verrez plus du tout Jakko M. Jakszyk de la même façon, comme le simple chanteur d’une grosse machine bien trop énorme pour se pencher sur des considérations personnelles, fussent-elles douloureuses et ineffaçables.
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