Iron Monkey – Our Problem
Iron Monkey
Earache
Ce soir, je revenais de l’usine. C’était encore une de ces journées de merde en perfide Albion, avec la pluie incessante, qui pisse et pisse encore. Ma casquette semble avoir pris du poids tellement elle est trempée comme une serpillère. Ce matin, ma régulière essayait de calmer le gniard qui me tient de rejeton. J’en ai encore mal à la tête, ses cris me transpercent le crâne comme des couteaux de cuisine. Elle, elle m’engueule, elle me dit que je devrais travailler plus. Elle me dit qu’elle ne peut pas subvenir au besoin de la « famille ». Cette blague ! Je ne sais même pas si c’est mon fils d’ailleurs. Un coup tiré un soir d’été et cette salope se ramène un an après avec le têtard. T’avais qu’à prendre la pilule bordel, au lieu de sonner avec ta gueule d’enterrement ! Et moi dans cette vomissure, cette chiasse, je suis quoi ? Hein ? C’est qui qui pointe chaque jour alors que l’usine va fermer pour délocalisation ? Comment puis-je garder le sourire et seulement relever la tête, alors que la dame de fer est encore en vie sur cette putain de planète ?
Cette journée de merde est vraiment à chier. Je suis un automate, refaisant les mêmes gestes de toute une chienne de vie, celle de mon père et de mon grand-père. Je consomme plus de clopes que ne pourrait supporter un cancer. Ma seule évasion, c’est quand je fais un billard avec mes potes au pub du coin. Le seul endroit où j’ai la paix, le seul moment où je peux boire jusqu’à plus soif, prenant, avalant, ingurgitant pinte sur pinte, les dégueulant dans la foulée pour mieux reboire ensuite. Je suis avec mes potes, à moins que ce ne soit eux qui sont avec moi. Je ne les envie pas vraiment, et eux non plus, leur vie est aussi pourrie et minable que la mienne. On se connait, certains depuis l’école, quand on portait ces costumes de cons que ma mère repassait chaque matin avec fierté. D’autres, ce sont des compagnons d’infortune. Y’en a même un que j’ai sauvé du suicide, la « balafre », il voulait s’asphyxier dans sa bagnole toute naze alors que je voulais me jeter dans la Tamise. Forcément, ça créé des liens.
Maintenant, c’est la biture qui nous retient dans ce monde de chiotte. On croise tous les marginaux, les laissés pour compte, les crottes, les reclus, les sous-merdes qui demandent du fric pour se payer un godet, peut-être deux, ceux qui touchent le chomdu, juste de quoi oublier les cafards qu’ils sont devenus. Y’en a un, on l’appelle « Doc ». Il était instituteur pas loin. Il s’est fait virer pour avoir touché un de ses geignards, je ne sais même pas si c’est vrai ou quelle version il faut croire. La tenancière elle, elle cherche sa fille tous les deux jours au commissariat du coin. Sa greluche taille des pipes pour arrondir son argent de poche, quand elle n’est pas en possession de crack. Et nous, on est réunis là. La soirée est encore calme, pas un connard qui m’a cherché. Oh, je suis habitué, le dernier a terminé la tête incrustée dans le comptoir, mais c’est pas pire que celui que j’ai énucléé avec un tesson de bouteille. Je repense toujours à ça quand je suis avec mes potes, notre vie, notre misère, notre partage, notre lien.
Je sais que quand je rentrerai dans mon appart pouilleux, je resterai dans la cuisine, à virer la graisse de la table avec ma manche en buvant une dernière bière, avant de me pieuter. Si je ne dégueule pas avant, je prendrai une douche et je me jetterai sur le lit. Va savoir si je ne serai pas seul. Ma régulière se balade souvent avec ses putes de copines le soir. Et moi je devrai donner le biberon à ce putain de gamin pour qu’il arrête de gueuler. Oh, va savoir, cette fille, là, au comptoir, me fait de l’œil. Peut-être que la soirée ne sera pas aussi pourrie que le reste de la journée…
Jérémy Urbain (9/10)