IQ – The Road Of Bones

The Road Of Bones
IQ
2014
GEP Records

Evil man gesturing silence, quiet isolated on black background

Rarement album aura été entouré d’autant de rumeurs, de pressions en tout genre et de mystère que cette « route des os » signée IQ. Il semble en effet que les fans inconditionnels du Quotient Intellectuel entretiennent, avec un malin plaisir, une atmosphère psychodramatique autour de la sortie de chacune des productions du combo. Cinq ans après le très controversé « Frequency » (jugé fort décevant par beaucoup d’aficionados), le groupe avait, à en croire la rumeur, perdu une partie de son inspiration suite au départ de l’immense Martin Orford. En conséquence de quoi, si son nouvel opus venait à tourner au fiasco, il ne faudrait s’en prendre qu’aux piètres capacités supposées de son remplaçant, le pauvre Neil Durant. Or les nappes capiteuses, les sonorités originales, les bruitages toujours bien placés et les soli inspirés dont ce dernier fait son miel tout au long des deux CDs clouent définitivement le bec aux grincheux. Ces derniers ont donc aujourd’hui tout lieu d’être rassurés car d’échec, et encore moins de bérézina, il n’est ici à aucun moment question. Composé de cinq long titres dans sa version simple (sur laquelle nous nous épancherons longuement) et de six chansons dans sa version double (que nous nous contenterons de parcourir plus brièvement), « The Road Of Bones » (au packaging somptueux, comprenant moult photos, analyse du concept plus torturé que jamais et interview des musiciens) est un disque qui a besoin de nombreuses écoutes pour être apprécié à sa juste valeur (mais n’est-ce donc pas là un gage de qualité et de longévité ?).

En guise de préambule à notre analyse de la première rondelle, soulignons tout d’abord que la formation n’a pas lésiné sur la durée. En d’autre temps, on aurait appelé ce CD un double album ! Cet effort quantitatif a pour corollaire une volonté évidente de qualité et les fans de musique musclée et ténébreuse vont être aux anges. Dès le magnifique morceau d’ouverture intitulé « From The Outside », le ton est donné : atmosphères ténébreuses à souhait, grosses guitares de Mike Holmes et rythmique d’enfer avec une palme spéciale à Tim Esau, au jeu alliant brillamment puissance et subtilité. C’est clair : IQ nous entraine d’emblée sur les routes d’un enfer pavé de bonnes intentions. Le titre suivant, « The Road Of Bones », s’ouvre sur une introduction magistrale signée Neil Durant (grandes nappes suicidaires, bruitages irréels) relayée par le chant splendide et tout en retenue de Peter Nicholls. Neurasthéniques s’abstenir ! Puis la basse à la Colin Edwin (Porcupine Tree) de Tim Esau ouvre les portes à une mélodie hypnotique à souhait qui file la chair de poule. Ceci juste avant que des sonorités orientales de claviers, évoquant furtivement le Pendragon de « Kowtow » (la chanson, pas l’album), débouchent sur une véritable apothéose : rythmique puissante, nappes magistrales de synthés, basse remarquable, vocaux littéralement habités. Quant à la guitare de Mike, quoique mixée légèrement en retrait, elle donne le la à cette pièce de bravoure.

Vient alors le tour de « Without Walls », avec encore une fois un superbe travail de Neil Durant au piano, aux nappes et aux samples. Cette chanson, aux premières mesures assez linéaires, fait hélas un peu retomber le soufflé après les deux premiers morceaux colossaux mais son ambiance subtile et dépressive est loin d’être désagréable, surtout lorsque la six-cordes lyrique de Mike Holmes se réveille pour nous délivrer, sur fond d’orgue Hammond, des riffs et des soli exceptionnels qui dynamisent (dynamitent) le tout. Quant au final, tout en clair et obscur, il fera la joie des amateurs des « Tales From The Lush Attic » (avec, entre autres, des joutes six-cordes/synthés absolument remarquables, sur lesquelles s’élèvent les vocaux déchirants et déchirés de l’ami Nicholls). Plus de doutes, ce morceau épique est grand : comme quoi, son introduction un peu plate nous a induits en erreur. La chanson suivante, « Ocean », s’ouvre sur les notes d’une boite à musique. Sublimée une fois encore par un piano magnifique de sensibilité et par un chant à fleur de peau, vite rejoints par une guitare acoustique délicate et par une basse absolument magnifique (Tim joue vraiment aussi bien que John Jowitt : sacrée performance !), elle possède tous les ingrédients nécessaires à la confection d’un grand morceau. Pourtant, malgré le talent des maîtres queux œuvrant aux fourneaux, la sauce ne prend pas et on obtient un résultat tout juste passable car trop linéaire.

Après ce « ventre mou » vient déjà l’heure de la coda avec « Until The End ». Chant lancinant et harmonies inédites et étranges font, dès les premières mesures, pressentir un pouvoir de renouvellement (certes modéré, hein, faudrait voir à ne pas changer une formule qui gagne) fort alléchante pour la suite. Le reste du morceau, quoiqu’excellent, est plus consensuel et évoque « Subterranea » ou « Dark Matter » avec des claviers qui font feu de tout bois (ah, ces putains de soli qui arrachent leur mère !) et une mélodie encore une fois d’un noir d’encre. Une belle réussite de plus qui s’achève sur une séquence guitare acoustique/piano/voix absolument magnifique qui fait monter les larmes aux yeux.

Venons en maintenant à la courte dissection du second CD de « The Road Of Bones ». Après un premier morceau assez médiocre (« Knucklehead », dont l’introduction renvoie vaguement à « Corners » sur « The Wake »), la suite ne fait encore pas dans la franche rigolade – ce qui en soit n’a rien de surprenant venant d’IQ et de Peter Nicholls en particulier. La pochette, avec ce visage ectoplasmique plongé dans l’obscurité, annonce du reste d’emblée la couleur, relayée par des lyrics littéralement hantées par la mort, la séparation, la folie, le tout à la première personne du singulier comme d’habitude.Musicalement parlant, cette deuxième rondelle est légèrement inférieure à sa devancière. Les premières écoutes laissent du reste l’auditeur dans un mélange de satisfaction et de frustration : c’est bel et bien de l’IQ typique… un peu trop peut-être. Depuis plus de trente ans, le groupe semble avoir livré tous ses secrets et les ressemblances de « 1312 Overture », « Constellations », « Fall And Rise », « Ten Million Demons » et « Hardcore » avec des morceaux antérieurs ne manquent pas. « 1312 Overture », à la rythmique irrésistible et aux grandes nappes emphatiques de claviers, pourrait ainsi facilement passer pour une chute de « Subterranea », d’autant que la structure de ce titre est parfaitement prévisible.

Pour le reste, les compositions dégoulinent littéralement de synthétiseurs et plus particulièrement d’orgues vintage : le liturgique, l’Hammond, les mellotroniens, etc… : jetez donc une oreille attentive sur l’epic « Constellations ». Les soli de Neil Durant suivent la recette établie sur « Subterranea » : rares, denses, concis, pas virtuoses mais mélodiquement imparables et… indispensables. Grand regret : la six-cordes magique de Mike Holmes est quasiment mise au placard, sauf sur la sublime coda « Hardcore » où elle tutoie les étoiles. Que conclure de ce second CD ? Après une bonne vingtaine d’écoutes, derrière une fausse naïveté et une apparente facilité (on regrettera le manque criant de mélodies fortes), on retrouve la sincérité et tout le savoir-faire de la formation.

Au final, « The Road Of Bones », dont la production est absolument remarquable, s’inscrit donc dans la continuité de “Dark Matter” après la parenthèse « Frequency ». Cependant, le problème avec un combo que l’on a autant porté aux nues (et dieu sait que tous les superlatifs possibles et imaginables ont pu être utilisés au sujet d’IQ) est que l’on a tendance, en contrepartie, à avoir des exigences extrêmes à son égard. On pourra donc épingler au chapitre des remontrances – certes mineures – la propension de ces techniciens exceptionnels à demeurer un brin conventionnels dans leurs choix harmoniques et dans la structure de leurs morceaux. Il n’empêche : on tient là un premier album de haute volée et un second CD, certes moins transcendant, mais de facture tout à fait convenable.

Bertrand Pourcheron

CD 1 (9/10)

CD 2 (7,5/10)

http://www.iq-hq.co.uk/

 

11 commentaires

  • René BAUDOIN

    Ne pas oublier non plus le 3ème CD avec quelques rushes de studio et deux inédits, hélas uniquement livré avec le coffret limité

  • Bertrand

    Bonsoir,

    J’ai éludé à escient le troisième CD, le tee shirt, le pins et la place de concert qui étaient réservés aux personnes se rendant à Londres ce samedi voir IQ sur les planches. J’ai ce coffret
    somptueux et mon ami Eric B Salesse qui est allé voir la bande à Peter Nicholls live fera un compte rendu détaillé du concert et de la boite aux trésors (incluant le troisième CD).

    Pas de panique donc !

    Cordialement,

    Bertrand

     

  • Maisiat

    A l’écoute du teaser et au vu de la pochette, « the road of bones » nouvel album d’IQ, s’annonçait comme plus sombre que certains de leurs ouvrages précédents. Le thème troublant
    véhiculé par les anglais laissait à penser qu’on y trouverait des contrastes impressionnants, entre riffs sombres et synthés
    lumineux.

     Si l’album est intéressant avec ses guitares atmosphériques, son excellent travail de synthé,
    sa basse puissante et sa merveilleuse batterie, il n’en reste pas moins que rien ne s’oppose ni ne s’entrechoque. Aucun des
    instruments ne semble vraiment  inspiré et la fâcheuse impression que tout a dit précédemment ne tarde pas à poindre. Les 20 minutes épiques de « 
    without walls » devaient être la pierre angulaire de cet album, au lieu de cela, on y rencontre seulement une poignée de moments mémorables, le titre se perdant
    peu à peu, laissé à lui-même, sans direction. D’autre part, les lignes vocales de Peter Nicholls, bien que très bien interprétées s’avèrent totalement banales et plates, pour in fine s’oublier
    très vite.

    Toutefois, « the road of bones » est sauvé par la chanson-titre ; IQ ici, se montre à son apogée. Après une longue progression mélodieuse et mystérieuse, survolé par un chant habité par une kyrielle d’émotions, le titre
    s’achève dans une flamboyance échevelée. Une étincelante chanson ni plus ni moins, hélas bien esseulée…

    Depuis les retrouvailles de 93, IQ n’avait jamais déçu mais à la lumière des arguments avancés, force est de reconnaître que ce n’est plus le cas en 2014. “The road of bones”, un album
    ironiquement bien titré.   

  • Bertrand

    Salut,

    Je ne partage bien évidemment pas tes propos désabusés et agressifs sur le nouvel IQ.

    Lors des premières écoutes, j’ai trouvé l’album moyen et ce n’est qu’à la 20ème écoute qu’il, a dévoilé toute sa richesse ténébreuse et son charisme.

    Donc réécoute l’album un max de fois et tu verras à quel point il est lyrique et désespéré.

    Pour moi, il n’est, à ce sujet, pas si loin du quasi suicidaire « Ever » (1993).

    Cordialement,

    Bertrand

    xx

  • Maisiat

    Sachez cher Monsieur Pourcheron que je ne suis ni agressif ni désabusé et
    qu’utiliser une telle rhétorique parce que je suis en désaccord avec vous, frôle
    la malhonnêteté. Vous êtes un fan et un familier du groupe (j’ai longtemps lu
    vos écrits publiés dans « Harmonie magazine »), aussi souffrez que vous n’êtes pas isolé, moi-même possédant quelques penchants pour la cause progressive
    (rédacteur à « Big bang » durant la période 95/97). Par conséquent, pourquoi
    proposer une rubrique commentaire sur votre blog si vous ne supportez pas la
    contradiction ? Au reste, pourquoi répondre aux commentaires, est-ce un forum ?
    Bref, j’irai dorénavant m’exprimer ailleurs où l’on est bien reçu.
    Pour finir, et pour votre gouverne, je connais également quelques aficionados (sic!) qui pensent que « frequency » est un fabuleux album, dont votre serviteur…
    Cordialement.
    Christophe Maisiat

  • Bertrand

    Je m’excuse si mon ton t’a choqué, telle n’était absolument pas mon intention. Que j’aie écrit dans Harmonie et toi dans Big Bang ne fait par contre pas avancer le schmilblick d’un iota,
    concernant l’analyse de ce disque. Pour conclure, chacun ses goûts et c’est tant mieux. Si tu n’aimes pas cette cuvée IQ 2014, et bien ne l’écoute pas et revends là.

    Bertrand

  • Bonjour christophe,

    Ce n’est pas Bertrand Pourcheron qui a décidé de mettre une rubrique « commentaires » sous chaque article, c’est juste le principe du blog tel que je l’ai souhaité : chacun peut réagir comme bon
    lui semble aux propos, apporter des compléments d’information, etc. Si les gens ont envie de discuter via cette interface, aucun soucis également, c’est fait pour ça. J’ai lu ton point de vue sur
    l’album, que je ne trouve ni agressif, ni désabusé. Il est toujours intéressant d’avoir un regard alternatif, et la contradiction ne fait pas de mal. 

    Au plaisir.

    Bien à toi,

    Philippe 

  • Ca a l’air super sympa bien que je ne l’ai pas encore vu, faut que je m’y mette serieusement.

  • Bertrand

    Salut Christophe,

    Oui, le CD 1 est du même niveau et du même désespoir que le fantastique « Ever ».

    Donc, par avance, je te souhaite un bon achat et une bonne écoute.

    Cordialement,

    Bertrand

    xx

     

  • Fabrice

    Bonjour à toute l’équipe.

    Sans vouloir faire de démagogie, le nouvel album d’IQ est pour moi un magnifique diamant noir ET ce blog est sacrément excellent. J’ai toujours plaisir à lire vos chroniques depuis que j’ai
    découvert C&O il y a environ un an. Bravo pour le travail énorme que vous faites.

  • animal

    IQ est un groupe que je suis avec attention depuis l’exellent ever. Sur ce dernier opus le titre éponyme est selon moi le plus réussi de leur discographie et Peter arrive toujours a dramatiser
    son chant sur musique déjà très sombre sans oublier la basse énorme de Tim. Cependant « hardcore » est mon coup de coeur avec son final piano et guitare acoustique profondément boulversant.

    De la belle ouvrage!

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