Hypno5e – Shores Of The Abstract Lines
Hypnos5e
Pelagic Records
Hypno5e, en voilà un nom de groupe intrigant, une incitation au sommeil paradoxal, à la transe, à ce qui nous transporte hors de notre état de conscience. Avec un nom comme celui-là, et un titre d’album aussi ésotérique que Shores Of The Abstract Line (ou « Les rives de la ligne abstraite »), il va falloir assurer. Mais les gars d’Hypno5e n’en sont pas à leur coup d’essai. Ils ont lentement mais sûrement travaillé depuis leurs débuts en 2003. Dans leurs alambics, ils ont distillé différents élixirs, sources de leur énergie et de leur créativité.
Voilà très, trop rapidement pour le contexte du groupe qui se met la pression avec des ambitions artistiques très élevées. Mais cet objet musical, que vaut-il ? Eh bien, on peut apprécier leur dernier ouvrage comme une longue promenade mouvementée, paisible par moments et chaotique à d’autres. Un long voyage qui suit les quatre points cardinaux mais toujours repart du centre. Cela démarre doucement par la rive est, ça met dans l’ambiance comme un début de montagne russe. Et après ça nous embarque dans une bonne heure de houle, mer d’huile et lames de fond. « East Shore: In Our Deaf Lands » est la première montagne à escalader, et elle annonce la couleur de toutes les autres : des riffs death, voire djent par endroit, du growl venant d’un chanteur complètement possédé, mais aussi du chant clair et des chœurs, des arpèges inspirés. Mais surtout, ce qui heurte de manière jouissive, c’est cette apparente déstructuration du récit musical, ces ruptures rythmiques et ces changements abrupts d’atmosphères ; ici pas de structure couplet-refrain. Et pourtant, malgré cette apparente diversité, l’œuvre réussit à former un ensemble cohérent, holistique.
Après la première écoute et un étonnement du genre « C’était quoi ce truc ? », on y retourne, on reprend la route et là, les détails commencent à se révéler. On retrouve la marque de fabrique du groupe avec l’utilisation de samples qui distillent ici et là les influences du groupe. Yves Bonnefoy, tout d’abord, dès le deuxième titre (le premier étant une courte introduction instrumentale) qui lit ses planches courbes dont le début fait office d’introduction à l’album (« L’homme était grand, très grand, qui se tenait sur la rive, près de la barque ») et dont l’œuvre pourrait servir de fil conducteur. Nous rencontrons aussi, entre autres, Céline pour des interventions toujours appropriées. Car ces samples ne sont pas là pour faire joli, ils forment l’ossature des morceaux, ils se répondent entre eux, ils réagissent aux musiciens pour leur dire de calmer le jeu comme pour les faire repartir. Ils sont les âmes qui ont foulé le sable de la raison humaine avant nos pas, nous les habitants de ces rives. Et c’est aussi sur la mise en place des ambiances que le groupe a mûri et nous touche au plus profond. Il prend son temps pour préparer la venue des orages successifs qui bousculent cette mer. Chaque long morceau est conçu comme une transe hypnotique avec des montées, des descentes, des accalmies, des tempêtes. Notre barque est chahutée sur les flots de l’intérieur, ceux issus de l’origine et d’existences passées comme il nous l’est suggéré à la fin.
Que la marmite death metal est bouillonnante et peut engendrer des albums riches, conceptuels et techniques qui débordent du simple cadre metal ! Hypno5e, avec Shores Of The Abstract Line, s’inscrit dans la ligne droite, et très concrète, des groupes inspirés que sont Gojira ou Hacride. Avec leur dernier album, ils ont franchi les rives abstraites qui font le pont entre la terre physique et les terres mystiques de l’Art et nous convient à un âpre voyage initiatique, par-delà les vents, violents par moments, qui chahutent tout Homme. Mais quelle récompense d’avoir fait tout ce chemin !
Guillaume Beauvois
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