Hiver Pool – Turbulences
Label Verte
2018
Hiver Pool – Turbulences
Hiver Pool, je vous en avais déjà parlé en chroniquant leur EP promotionnel intitulé Douce Addiction et sorti en 2016. Après un autre EP en 2014 – éponyme et numérique celui-ci –, voici le premier véritable album du duo auvergnat. Avec ses neuf titres, tous en français – là où Hiver Pool avait deux chansons en anglais –, Turbulences a plutôt la longueur des albums à l’ancienne (32:00). Seul quatre des dix titres des deux EP ont été conservés, tous issus du second. Même si vous connaissiez un tant soit peu Hiver Pool, oubliez leur côté gentiment pop-folk. Turbulences est d’un autre genre, sur lequel on sent la portée de la patte de Christophe Chavanon.
Par facilité, tout pourrait être résumé avec les premiers mots de « Avalanches De Lumières » qui ouvre l’album : « Pourquoi ne pas vivre ses rêves ? » C’est sûrement la question que le couple – à la ville comme à la scène – composé de Delphine Fargier et Martial Semonsut, s’est posée, tranquillement installé dans sa maison vigneronne de la campagne altiligérienne. Les yeux mi-clos, décontenancé par les paysages et la tranquillité volcanique, Hiver Pool s’est inventé un monde où les émotions sont comme les éléments, « Troubles Et Sauvages ».
Pour celui ou celle qui a suivi la maturation du projet Hiver Pool, il est possible de noter une évolution au gré du temps, des rencontres, des questionnements et hésitations, jusqu’à la phase finale de la réalisation. Si Hiver Pool semblait doucement s’installer dans une pop à la française avec un brin d’electro et un soupçon de folk, l’influence gainsbourgienne est allée plus loin que le simple cliché mélodique ou textuel : c’est aussi dans le procédé que notre duo a creusé, se rapprochant en cela d’albums comme Histoire De Melody Nelson (1971) ou L’Homme À Tête De Chou (1976), ou d’autres, taillés sur mesure par Serge Gainsbourg pour des chanteuses aux voix diaphanes. Dans ce contexte, la personne idoine ne pouvait être que Christophe Chavanon.
Chavanon, il faut en dire deux mots tout de même. Les Hiver Pool l’ont rencontré par l’entregent de Thomas Fersen. Il faut du hasard et des parrainages dans le monde musical aussi… Chavanon et son studio Kerwax, c’est le royaume du tout analogique installé dans le bâtiment d’un ancien pensionnat. Chavanon, c’est cette sorte de thaumaturge à l’ancienne, sorcier des sons et des trouvailles techniques. De la liste impressionnante des références passées sous la baguette du magicien, on peut extraire, outre Fersen, les Lou Doillon, Rover, et autre Oiseaux-Tempête. Si vous voulez saisir ce que peut être le travail de Chavanon, il suffit d’aller faire un tour sur son site Internet, kerwax.com, ou de regarder, par exemple, certains concerts Arte enregistrés au studio, comme celui de Grand Blanc en 2016, pour leur album Mémoires Vives. Kerwax, c’est du live, ça sent le vinyle, le cuir et le plastique vintage, les bandes magnétiques et la passion de l’enregistrement. Un choix qui semble pleinement judicieux pour Hiver Pool.
Mais bidouillage à l’ancienne ne veut pas dire bricolo du dimanche. Au côté artisanal pleinement assumé et tout à fait réussi des premiers albums de leurs amis de Mickey 3D, notre duo a préféré la langueur monotone que fournit l’écoulement du temps, la réflexion, l’insoutenable attente qui permet le jaillissement. Réaliser un album, c’est aussi faire des choix. Ainsi, on pourra être surpris que le troublant et amoureux « Personne Ne Doit Savoir » de Douce Addiction ne soit pas présent sur Turbulences. Des choix, je vous dis ! Comme la présence de plus en plus importante – ce qui répond aussi à un effet de mode – d’un thérémine joué par le claviériste Jimmy Virani, celle de guitares ou de basses électriques tenues par Vincent Gérald. Car si Hiver Pool est un duo, il s’augmente sur scène, et selon les occasions, de l’un ou des deux musiciens précités. Cela donne une ambiance particulière, Martial chantant et jouant, des fois en même temps, des guitares et de la batterie, Jimmy, du thérémine ou du clavier, Vincent de la basse ou de la guitare électrique, Delphine chantant et ajoutant quelques touches de claviers (quand elle ne fait pas de duel au thérémine avec Jimmy). Ces (pré-)dispositions apportent une couleur que l’on retrouve sur l’album (et qui me semblent justifier des points de convergences avec le travail de Mickaël Furnon).
Ainsi, nombre de guitares acoustiques tissent la trame des chansons de Turbulences (« Avalanches De Lumières », « Poète Lakota »), mais pas seulement. Ce sont aussi les voix mêlées de Delphine et Martial qui donnent le climat (« Troubles Et Sauvages »), tout comme des basses qui, à l’instar du nom du groupe, font immédiatement penser aux Fab Four. Et puis, les textes, d’une poésie simple, pour ne pas dire d’une simple poésie (« Turbulences », « Eden »). L’ombre de Gainsbourg plane évidemment un peu partout (« Combien De Vies », « Cowboys », « Extase »), et l’album raconte souvent de petites histoires qui parlent de gens que le duo nous invite à connaître (« Poète Lakota », « Marathon »).
De manière singulièrement antinomique, c’est sans faire de vagues que Hiver Pool fait route via les sillons de ses Turbulences. Les vertus anciennes et analogiques de la production conjointe de Christophe Chavanon et Martial Semonsut y apportent des embruns particuliers, mélange de saveurs continentales auvergnates et océanes bretonnes dont le croisement n’a pour seul limite qu’un manque de dynamique synonyme de modernité piégeuse. Fort de ce premier album réussi, Hiver Pool commence à étendre son aura sur une French pop en français qui, décidément, ne se lasse pas de nous surprendre. Si la saison froide s’en va, surveillez vos alentours, Hiver Pool pourrait bien surgir sans crier gare aux détours d’un bois pour vous embarquer sur son vaisseau onirique enchanteur…
Henri Vaugrand