Live Spirit : Live Body
H Band
2002
Poison Apple/Racket Records
Sincère et passionné, Steve Hogarth est un artiste au sens noble du terme pour qui la création représente une véritable raison d’exister. En marge de son rôle majeur au sein de Marillion, le beau Steve mène, depuis 1997 (année de sortie de son excellent opus en solitaire « Ice Cream Genius »), une carrière solo discrète mais captivante. Cette dernière lui offre l’opportunité de s’affirmer comme un compositeur de très grande classe et de démontrer, par voie de conséquence, qu’il est bien plus que le simple chanteur, aussi exceptionnel soit-il, de l’un des plus grands groupes progressifs de ces trente dernières années. Nous sommes trois dans la petite équipe de C&O a vouer une véritable dévotion pour Steve Hogarth, ou « H » pour les intimes, alors ce n’est pas un pour/contre que nous vous proposons ici à propos de son seul et unique album live en compagnie du prestigieux H-Band, mais deux avis on ne peut plus enthousiastes, fouillés, et totalement unanimes !
Double album luxueusement présenté (superbe livret de 22 pages incluant une multitude de photos ainsi que de passionnants commentaires signés par la plupart des membres de la formation), « Live Spirit : Live Body » immortalise les fameuses prestations londoniennes délivrées par le combo les 8 et 9 août 2001. Ces deux concerts, spéciaux dans tous les sens du terme, illustrent à merveille la personnalité ambivalente et tourmentée d’Hogarth. Ainsi, là où la setlist de la « Spirit Night », gravée sur la première rondelle, s’avère nostalgique et atmosphérique à souhait, celle de la deuxième soirée (la « Body Night »), enregistrée sur le second CD, fait la part belle aux titres « cartons » et permet à Steve de « laisser libre cours à son côté Iggy Pop » (sic). La cohérence et la réussite de cette entreprise ambitieuse doivent bien évidemment beaucoup au formidable talent collectif et individuel du H Band. Cette bande de potes réunit des personnalités aussi diverses que Richard Barbieri (Japan, Porcupine Tree) aux claviers, Dave Gregory (XTC) et Aziz Ibrahim (Stone Roses, lan Brown) aux six-cordes, Andy Gangadeen (Massive Attack, The Bays) à la batterie, Jingles à la basse, Stéphanie Sobey-Jones au violoncelle et Dalbir Singh aux tablas. Ces musiciens, venus d’horizons incroyablement variés à l’initiative d’un Steve H qui rejoint plus que jamais Peter Gabriel dans sa soif d’éclectisme et de brassage des cultures, insufflent un formidable vent de fraîcheur et d’enthousiasme aux différents morceaux interprétés par le groupe. Les amateurs de rock ethnique se délecteront du reste, à maintes reprises, du mariage savoureux des tablas de Dalbir et de la guitare « orientalisante » d’Ibrahim (Cage, Xen and Now…).
De manière plus générale, ce florilège live propose, durant près de 150 minutes, un cocktail subtil de compositions personnelles et de reprises. Comme on pouvait s’y attendre, les pièces extraites de « Ice Cream Genius » apparaissent ici dans des versions sérieusement retravaillées (voire parfois totalement métamorphosées). Ainsi, « Evening Shadow » et le final de « Deep Water » font preuve d’une puissance de feu mille fois supérieure à celle de leurs alter ego studio. De la même manière, les percussions électroniques ont cédé la place, sur « Cage », aux tablas épileptiques de Dalbir Singh : les mano a mano endiablés que ces derniers livrent à la batterie déchaînée d’Andy Gangadeen procurent à ce titre, déjà excellent à l’origine, un groove absolument jouissif. « Last but not least », les morceaux « The Last Thing » et « Nothing To Declare » sont revisités, pour l’occasion, de manière proprement sidérante. Le premier, disponible jusqu’alors uniquement sur la face B du single « You Dinosaur Thing » et la version américaine de ICG, débouche sur une jam-session azimutée digne d’un Porcupine Tree shooté au pot belge. Quant au second, il s’achève sur un solo de guitare d’anthologie qui file littéralement la chair de poule.
Côté reprises maintenant, H a choisi de ratisser large et de faire feu de tous bois (à tel point que les titres « Alice’s House » des Psychedelic Furs et « Green Manalishi » de Fleetwood Mac, pourtant interprétés lors de ces soirées mémorables, n’ont pu, faute de place, figurer au menu de ce double CD). Bien évidemment, les comparses du petit père Hogarth ont eu, eux aussi, voix au chapitre lors de la sélection de la setlist, et l’on retrouve de ce fait avec plaisir le tribal « Xen & Now » signé Aziz Ibrahim (un grand moment de bravoure !). Les classiques « I Don’t Remember » (Peter Gabriel) et « The Loving », (XTC) sont également de la fête à l’instigation de David Gregory qui a joué sur les versions originales de ces deux compos. Pour le reste, entre morceaux enjoués (« See Emily Play » du early Pink Floyd, « Maybe l’m Amazed » de Paul McCartney) et pièces oniriques (« Old Wild Men » des 10 CC, « Estonia » de qui vous savez, les covers sélectionnées balaient un large spectre stylistique et temporel. Elles nous offrent, sans la moindre baisse de régime, un patchwork musical remarquablement cohérent dont les sommets ont pour noms « Life On Mars ? » (David Bowie), « Dream Brother » (Jeff Buckley) et « This Is The 21st Century » repris ici dans une version piano/voix bouleversante).
Au final, par sa farouche volonté d’indépendance et de brassage stylistique, son interprétation magistrale et son absolue sincérité, « Live Spirit : Live Body » constitue une œuvre captivante. La grande classe en somme…
Bertrand Pourcheron (9,5/10)
Steve Hogarth est un artiste trop souvent sous estimé, voir injustement décrié. Et pourtant, en parallèle à son rôle déjà essentiel au sein de Marillion (n’en déplaise à ceux qui croient encore que l’histoire du groupe s’est arrêtée avec le départ de Fish), H mène aussi une discrète mais brillante carrière solo via laquelle il fait véritablement éclat de tout son talent de compositeur et, surtout, de son incroyable (et insoupçonné !) éclectisme musical. En effet, si ce dernier avait déjà démontré en 1997 avec « Ice Cream Genius » qu’il était bien plus que le simple chanteur, aussi formidable soit-il, d’une des formations les plus mythiques du courant progressif, il confirme avec ce double live qu’il fait bien partie des artistes pop les plus intéressants, novateurs et créatifs du moment, ni plus ni moins. Ce somptueux double album au packaging classieux et richement illustré (mais uniquement disponible en ligne auprès du label Racket Records, ce qui est plus que dommage) nous fait écho de deux prestations londoniennes du H Band, enregistrées les 8 et 9 août 2001 et remixées de main de maître par le producteur Dave Meegan, à qui l’on doit entres autres les fameux « Brave », « Afraid Of sunlight » et « Anoraknophobia ».Le contenu de cet opus live divisé en 2 partie bien distinctes illustre à merveille toute l’ambivalence de Steve Hogarth, personnage à la fois très intérieur, ultra-sensible, à fleur de peau, mais aussi extraverti quant il le faut, voir carrément délirant, pour ne pas dire possédé ! En effet, si la set-list de « Live Spirit » se veut nostalgique et onirique à souhait, faisant la part belle aux titres les plus atmosphériques repris par le groupe, celle de « Live Body » propose un panel de morceaux pop et rock débordant de vitalité et d’énergie, où Hogarth semble laisser libre cours à tous ses débordements fantaisistes. L’ensemble est ainsi composé de titres plus ou moins revisités du fameux « Ice Cream Genius », ainsi que d’une multitude de reprises de groupes et d’artistes dont les noms laissent rêveur, jugez plutôt : Peter Gabriel, Jethro Tull, David Bowie, Pink Floyd, Jeff Buckley etc. Pour mener à bien cette ambitieuse entreprise, Steve Hogarth s’est entouré d’une équipe de musiciens non moins prestigieux, puisque ce groupe aussi génial qu’insolite réunit tout de même les pointures que sont Richard Barbieri aux claviers (Porcupine Tree), Dave Gregory (XTC) et Aziz Ibrahim (Stone Roses) aux guitares, Andy Gangadeen (Massive Attack) à la batterie, Jingles à la basse, Stephanie Sobey-Jones au violoncelle et Dalbir Singh aux tablas (à ne pas confondre avec son homologue Talvin Singh, qui fait un carton dans le monde de la fusion électronique et world music).
Dans ce désir de réunir des musiciens de tous horizons, H rejoint plus que jamais la démarche un certain Peter Gabriel, affirmant ici la même soif d’éclectisme et de brassage culturel. En témoignent par exemple les formidables « Cage » et « Xen And Now », respectivement alimentés par les rythmiques indiennes de Dalbir Singh et les guitares aux consonances moyen-orientales d’Aziz Ibrahim, lui même auteur de cet unique titre instrumental. « Live Spirit : Live Body » propose donc, du haut de ses 150 minutes, un cocktail subtil de compositions personnelles (mais pas de réelle nouveauté, bien malheureusement) et de reprises parfois transcendées (« Dream Brother » de Jeff Buckey est en ce sens à tomber par terre). Comme je l’ai mentionné plus haut, les titres issus du « Ice Cream Genius » apparaissent ici dans des versions souvent retravaillées, voir parfois même totalement remodelées. Ainsi, « Cage » bénéficie d’une extension instrumentale au tempo dub absolument renversante et jubilatoire, et quant au final de « Deep Water », celui ci se voit sérieusement rallongé et enrichi d’une multitude d’effets, renforcés par d’obsédantes séquences de tablas qui vous plongent en un véritable état de transe ! A noter aussi la présence inespérée du très rare « The Last Thing », titre évoquant fortement le meilleur Porcupine Tree, disponible uniquement sur le single « You Dinosaur Thing » et sur le pressage américain d' »Ice Cream Genius ».
Du côté des reprises, l’ami H nous aura tout aussi bien gâtés, puisqu’il nous offre ici, entre autres, les grands classiques que sont « I Don’t Remember » de Peter Gabriel, « The loving » d’XTC, « See Emily Play » de Pink Floyd (ça nous change un peu des rengaines habituelles dont nous assènent les cover bands et autres tribute-albums !), « Maybe I’m Amazed » de Paul Mc Cartney, et, pour couronner le tout, une version à vous refiler la chair de poule du « Life On Mars ? » de David Bowie. Rien de mieux en effet que la voix et la sensibilité d’Hogarth pour se prêter à ce genre d’exercice, pas aussi évident qu’il n’en a l’air. Et pour les amateurs du Marillion actuel, ceux ci pourront se délecter au final d’un très émouvant « Estonia », ainsi que d’une version piano/voix absolument bouleversante de « This Is The 21st Century » (sans oublier le fantastique « Nothing To Declare », la plus marillionesque parmi toutes les autres compositions du chanteur anglais !
Bref, voilà donc un magnifique album-souvenir à se procurer d’urgence pour toutes celles et ceux qui ont eu la chance d’assister au chaleureux et inoubliable concert parisien au Café de la Danse, et pour les autres, l’occasion rêvée de (re)découvrir un artiste immense et profondément humain. « Live Spirit : Live Body » est sans conteste un disque d’une incroyable générosité, servi par un collectif de musiciens hors pair, affichant un véritable plaisir de jouer ensemble et de partager des émotions, doublé d’un album live riche et original comme on n’en fait que trop rarement. Exceptionnel.