Grégoire Hervier – Vintage

Vintage
Grégoire Hervier
Au Diable Vauvert
2016

Gregoire Hervier - Vintage

Que vient faire un polar sur notre page, va-t-on dire ? La couverture vous éclairera de suite : ce livre-là est bien plus qu’un roman. Déclaration d’amour à la guitare électrique et à la fois, une « quête du Graal » qui ne laissera indifférent aucun gratteur de guitare. La Gibson Moderne de 1957, vous connaissez ? Moi non. Et pourtant, c’est une guitare du célèbre fabricant. Mythique non pas parce qu’elle serait sa plus « belle » réalisation (on excusera quiconque de penser le contraire, avec sa forme en K et son look asymétrique plus zarbi que… moderne), mais parce qu’on ne sait toujours pas si elle a vraiment existé, en dehors de rééditions du concept initial dans les années 80… qui n’ont plus de Moderne que leur date de fabrication. S’engouffrant dans cette faille, celle du mystère toujours pas éclairci à ce jour de la genèse et d’éventuels prototypes ou exemplaires de cette Moderne, Grégoire Hervier nous a concocté une enquête insolite ou plutôt, une quête passionnée et sanglante de cet instrument vintage, véritable « éléphant blanc » de la guitare électrique.

L’auteur et son héros malgré lui font preuve d’un bel humour mâtiné d’ingénuité, compensé par une redoutable connaissance encyclopédique des guitares électriques, distillée au fil des pages sans que cela gêne le récit, au contraire. Détails pointus sur la tête, le manche, les frettes ou le vernis, sur le type et l’emplacement des micros, etc., vous saurez tout sur les Gibson et sur bien d’autres de ces modèles vintage que tout le monde a vu sur photos dans les mains de ses guitar heroes favoris, mais jamais dans le monde réel.

Gregoire Hervier - Photo

Le ton, l’humour et l’ambiance présentent pas mal de points communs avec le génial Haute Fidélité de Nick Hornby : les tourments musicaux et flops amoureux d’un musicos infidèle, accessoirement vendeur en boutique (chez Hornby il s’agissait de vinyles et des années 80). Les deux romans affichent les mêmes autodérision et second degré d’un fan du rock, par ailleurs un peu potache et ne se prenant pas tout à fait au sérieux. Dans Vintage, Thomas, guitariste, luthier-réparateur et pigiste musical un brin désinvolte, se voit vite dépassé par les implications de son enquête, et les cadavres s’accumulent le long de son parcours à travers le monde (Ecosse, Australie, Tennessee, Nouvelle Orléans…), à la recherche de preuves de l’existence de la Moderne originale, mythique faute d’être la plus belle. Très vite s’y rajoute la piste de celui qui en aurait joué, un musicien inconnu mais génial (donc maudit, comme c’est souvent le cas avec les génies ? ), voire tout aussi hypothétique que sa guitare ? Sans oublier un brin de fantastique et de satanique, pour corser le tout et rendre cette Gibson Moderne plus désirable et inquiétante encore…

Certes, tout n’est pas parfait. Des portes bien fermées s’ouvrent toute seules pour Thomas, enquêteur en herbe qui tire trop aisément les vers du nez d’individus ne souhaitant rien avouer… et qui finissent par tout dire de leurs petits ou grands secrets guitaristiques. Légère invraisemblance aussi quand cet enquêteur ingénu, certes incollable sur les guitares, s’adapte sans peine à l’anglais de ses interlocuteurs (y compris à l’accent, que l’on devine lourd comme une enclume, d’un douteux sosie d’Elvis, à Memphis). Sur ce plan, se voit illustrée cette limite inhérente à tout roman traduit (ou, ici, francophone en milieu anglo-saxon). Il aurait été plus réaliste d’évoquer les efforts d’élocution et de compréhension d’un Français brutalement immergé en environnement anglophone et qui y semble comme un poisson dans l’eau, comme si œuvrait entre lui et ses hôtes un traducteur automatique parfait (a contrario, on y voit traduit « Song to Rest in Hell » par « Chanson pour se reposer en enfer ». Mouais, tu parles d’un lieu de repos…) En plus du titre pas très représentatif, on se demandera aussi pourquoi (…diable !) Vauvert n’a-t-il pas opté pour une photo de Gibson Moderne plutôt qu’un modèle certes vintage, mais très classique dans ses formes. Qu’à cela ne tienne : pour éclairer les béotiens en guitares vintage (j’en faisais moi-même partie avant de lire ce roman), C&O vous offre une photo de famille de la gamme Modernistics de 1958.

Gregoire Hervier - Gibson

Mais on ne boudera pas notre plaisir. Sur ce sujet, non pas les bios musicales qui foisonnent, mais un roman entier centré sur l’instrument-roi du rock et ses (guitar) héros ou même les fictions sur le rock, les musiciens ou leur instrument, on trouve somme toute peu de chose, surtout en francophone (on essaiera de revenir sur ce sujet dans un article spécifique, le temps de creuser une question qui pourrait bien vous intéresser)). Avec Vintage, voilà en tout cas un opus hybride, une sorte de polar musical voire musicologique, car ouvrant à de nouvelles écoutes. Certes, on aurait aimé que cet enquêteur érudit en guitares mais un peu moins en enquêtes et interviews soit plus réfléchi dans son approche, même si (une chance pour lui ! ), toutes les portes où il vient frapper s’ouvrent donc un peu trop vite. « Bonjour, je viens tout spécialement de France pour vous voir, etc. », et hop, c’est emballé… Mais après tout, qu’importe, car sa passion dévorante pour les guitares rachète la légèreté formelle de l’enquête elle-même, au profit de la musique, toute la musique, et rien que la musique.

Troisième roman de Grégoire Hervier, après Scream Test et Zen City déjà remarqués, celui-ci est sans doute le plus intrigant et joliment didactique, par la réelle originalité et rareté de son sujet et objet musical. Ce qui nous fait chaud au cœur, à nous, chroniqueurs passionnés, pondeurs de brèves ou d’articles parfois érudits mais forcément bien moins ambitieux dans leur développement. Tout comme nous, l’auteur nous parle de musiciens, de musiques, de sons et de guitares, avec une jubilation et un enthousiasme contagieux. Alors, Grégoire, si l’envie te prenait de chroniquer, tu as passé haut la main l’examen de passage avec ce roman qui induira tout lecteur à creuser un chapitre resté nébuleux de l’histoire du rock et du hardware vintage. Sur le rock et son histoire, le blues des origines et les guitares qui ont diffusé leurs accords et leurs riffs, tu assures vraiment, et ça nous fait vachement plaisir.

Jean-Michel Calvez

http://audiable.com/boutique/cat_litterature-francaise/vintage/

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