Gerard – Visionary Dream
Gerard
Musea
Gerard est très certainement l’un des groupes les plus célèbres de la scène progressive nippone, et sans conteste l’une de ses plus grosses pointures. La formation au nom de baptême forcément cocasse pour tout francophone (ah, l’exotisme vu par les japonais ! A quand la réédition des deux albums de Fromage ?) commence à avoir une sacrée bouteille, puisque c’est à l’aube des années 80 qu’elle vit le jour, sous l’impulsion du chanteur/guitariste Yukihiro Fujimura et de l’extravagant claviériste Toshio Egawa, celui qui restera son seul et unique maître d’œuvre jusqu’à aujourd’hui. Avant de monter son propre groupe, Egawa est déjà bien connu localement dans le milieu underground, pour avoir participé à d’autres formations, parmi lesquelles on citera l’excellent Novela des débuts, le super-groupe heavy-symphonique Sheherazade, ou encore le combo hard-rock Earthshaker, un peu plus confidentiel quant à lui. Toshio Egawa, grand fan de progressif devant l’éternel, possède tous les atouts nécessaires pour s’illustrer dans le genre avec brio. Fort d’un solide bagage classique, il cumule les principales qualités de ses deux idoles, à savoir la vélocité déconcertante de Rick Wakeman, et la fougue éruptive de Keith Emerson, qui je vous l’accorde n’a rien à envier à la maestria technique de son alter-ego du Yes de l’âge d’or. Ce n’est donc pas étonnant si l’œuvre du Gerard des débuts puise ses sources dans le rock progressif symphonique, celui des ELP et Genesis en tête, avec un sens du romantisme qui aura tendance à s’estomper au fil des ans et des parutions, pour faire place à une musique beaucoup plus puissante et tourmentée, avec laquelle il n’y aura que les géniales et débridées folles furieuses d’Ars Nova pour rivaliser en parallèle.
Entre 1996 et 2004, Gerard évolue dans une formule « power trio » totalement décomplexée, avec Atsushi Hasegawa et Masahiro Goto, respectivement bassiste et batteur, avec seulement quelques guests pour parfaire ou agrémenter de contributions vocales éparses certains des albums produits durant cette période, sûrement la plus mémorable du groupe. Avec « Visionary Dream », le line-up actuel de Gerard (identique à celui de dernier disque studio en date, le très fréquentable « Ring Of Eternity ») opère un retour aux sources, en revisitant quelques titres phares de son répertoire des débuts , les guitares et la voix de Fujimura en moins, la prédominance des claviers et le chant de Yasuo Sasai en plus. La matrice de cet album de reprises est donc issue des quatre premiers disques de Gerard et couvre sa première décennie, à savoir l’album éponyme (1984), « Empty Lie, Empty Dream » (1985), « Irony Of Fate » (1991) et « Save Knight By The Night » (1994).
Au menu de cette sélection concoctée par Toshio Egawa, on trouve de très bonnes chansons typiquement progressives, telles que « Visiony Dream » (un titre bonus du tout premier Gerard) et « Don’t Leave Me Now » (de « Save Knight By The Night »), dont on imaginerait bien le refrain accrocheur repris par le Asia de Wetton, Howe, Downes et Palmer. Aucun guitariste n’est crédité sur l’album, mais des solos de six cordes mélodiques se font pourtant bien entendre ici et là. Seraient-ce des bandes de Fujimura réutilisées pour l’occasion, ou des parties exécutées au clavier par Egawa, avec un son samplé plus vrai que nature, dont même Jordan Rudess envierait le mimétisme parfait pour ses envolées, en réponse à John Petrucci durant les prestas live de Dream Theater ? Le mystère reste entier, mais j’opterais plutôt pour une guitare tout ce qu’il y a de plus tangible !
Dans la catégorie « epics », on relèvera seulement « Irony Of Fate » et « Wall », à travers lesquels on retrouve davantage le style symphonique pompier qui constitue, souvent pour le meilleur, la vraie marque du fabrique du groupe, ainsi que « Hopeless Blue Star », extrait quant à lui du fameux « Empty Lie, Empty Dream ». Avec son introduction au piano, Egawa se prend ouvertement pour Tony Banks, pas loin de pomper durant quelques secondes (on passe à tout autre chose après) l’ouverture de l’éternel « Firth Of Firth » de Genesis. L’album se termine en douceur avec « My Heart To The Past » et « Prelude », deux bien jolies ballades en mode piano/voix, dont l’approche lyrique n’est pas sans rappeler les escapades solitaires de Freddie Mercury au sein de Queen.
La production de « Visionary Dream », assurée par le quartet épaulé de Shingo « Numero » Ueno, s’avère tout à fait honorable, sans atteindre non plus les sommets du disque précédent. Niveau écueil (certes relatif, tout comme cette couverture ultra-kitsch), on déplorera un son de batterie trop métallique et sévèrement typé années 80 qui, il est vrai, colle pas mal au style de ces compos écrites à l’époque, mais qui aurait à mon avis gagné en qualité avec plus de rondeur et de naturel au mixage, un poil trop aigu dans son ensemble. Voilà un disque peut-être dispensable pour qui possède déjà toute la collection de Gerard, (le fan absolu en fera quant à lui l’acquisition sans aucun regret), mais une petite bénédiction pour les autres, sachant que les quatre CD passés en revue sont depuis longtemps épuisés, et donc très difficiles à dénicher à un prix non-prohibitif.
En bref, « Visionary Dream » constitue un excellent moyen de découvrir sur le tard le début de carrière de Gerard, ou de vous replonger avec nostalgie dans le passé chatoyant et révolu d’un groupe incontournable de la scène prog japonaise, toujours bien vivante !
Philippe Vallin (7/10)