Gazpacho – Firebird
Gazpacho
Intact Records
Une année à peine après le superbe « When Earth Lets Go », les glaçons manqués de Gazpacho s’en revenaient, en plein été indien, avec un troisième opus mélancolique à souhait, véritable aboutissement artistique pour le groupe norvégien. Les onze compositions structurant cette cuvée 2005 donnent en effet un nouveau sens à la notion de rock climatique. On pense bien sûr au Marillion de « Afraid Of Sunlight », pour la tristesse diffuse qui imprègne l’album (« Firebird ») et pour le chant habité de Jan Henrik Ohme, au timbre aussi fascinant que celui de Steve Hogarth. Mais Gazpacho possède une personnalité unique, évoquant tour à tour la sensibilité à fleur de peau de feu Jeff Buckley (le poignant « Do You Know What You Are Saying ? », sur lequel Steve Rothery se fend d’un splendide solo de six cordes), les expérimentations atmosphériques de The Gathering sur « Souvenirs » (« Swallow ») puis le lyrisme déchiré de l’excellent combo suédois Landberk (le tortueux titre d’ouverture « Vulture » ou l’ambitieux diptyque « Drion »).
Nos jeunes éphèbes scandinaves cultivent l’art de l’entre deux et du clair-obscur, et leurs mélopées ensorcelantes, au fil desquelles des explosions emphatiques subtilement amenées succèdent avec brio à des séquences oniriques de toute beauté (« Jezebel »), se situent à des années-lumière des clichés polluant de trop nombreuses productions progressives actuelles. Avec ses rythmes empreints d’une nonchalance savamment étudiée, alors même que la batterie dépote du tonnerre de Zeus et que la guitare est extrêmement énergique (l’envoûtant « Black Widow »), et son travail remarquable sur la « matière sonore » (le raffiné « Once In A Lifetime »), « Firebird » constitue un équivalent musical remarquable de l’impressionnisme en peinture.
Voilà donc une œuvre magistralement pensée et exécutée, mélange subtil d’énergie et de nostalgie diffuse, selon la définition du spleen chère à Baudelaire. Du grand Art !
Bertrand Pourcheron (8,5)