Fruit Bats – The Pet Parade

The Pet Parade
Fruit Bats
Merge Records
2021
Thierry Folcher

Fruit Bats – The Pet Parade

Fruit Bats The Pet Parade

On ne peut pas tomber à chaque fois sur un chef-d’œuvre absolu. On ne peut pas non plus se payer un Pet Sounds ou un OK Computer à chaque sortie discographique. Par contre, on peut toujours compter sur une publication du type The Pet Parade pour nous sortir de la morosité ambiante et nous faire dresser une oreille attentive. Le tout dernier album des américains de Fruit Bats ne va pas révolutionner le monde de la musique mais ce n’est pas grave, ce n’est pas ce qu’on lui demande. Il fait juste partie de ces choses bien faites que l’on savoure égoïstement jusqu’au moment où il devient nécessaire de faire passer le message et d’éclairer le monde sur un talent hors du commun. Ce talent porte le nom de Eric D. Johnson, un gars de Chicago, clone de Steven Wilson et dont la voix androgyne peut tout autant fasciner qu’énerver. A l’instar d’un Mark Hollis, d’un Rufus Wainwright ou même d’un Bob Dylan, il faut un petit temps d’adaptation pour se familiariser avec la façon de chanter de Mister Eric. Des vocalises hors du commun qui risquent de devenir addictives au fil des écoutes. C’est bien simple, après vous ne pourrez plus vous tromper, le son Fruit Bats va résonner comme une évidence, comme une signature indélébile. Le groupe est né à la fin des années 90 et s’ajoute à la liste des nombreux projets musicaux d’ E.D.J., comme il aime se faire appeler. Ce fier hippie, digne héritier de Neil Young, des Byrds ou du Grateful Dead, est un redoutable songwriter, multi-instrumentiste et touche-à-tout artistique, notamment vers le septième art. Cela dit, Fruit Bats reste sa principale préoccupation et sa plus belle carte de visite. La discographie de ces « chauves-souris frugivores » est constituée de brillants témoignages country/folk commencés en 2001 avec le bucolique Echolocation. Une ode à la nature toute simple, faite de guitares, de feux de camps et de lacs entourés de forêts immenses.

Huit autres albums vont suivre parmi lesquels on peut citer The Ruminant Band (2009) ou le génial Gold Past Life (2019). Un disque majeur dont le groove assassin flirte par moment avec la grosse machine E.L.O. de Jeff Lynne (notamment sur le morceau titre « Gold Past Life »). Des vibrations charnelles que l’on retrouve de façon plus intimiste sur The Pet Parade. Ce tout dernier opus est vraiment à part, élaboré en plein confinement avec des musiciens forcés de s’enregistrer chacun de leur côté. Mais bizarrement, cette contrainte va se transformer en véritable effort émotionnel orchestré de main de maître par Josh Kaufman, producteur de Bob Weir et de The National entre autres. Un musicien bourré de talent, présent aux côtés d’ E.D.J. et d’Anaïs Mitchell sur la superbe parenthèse Bonny Light Horseman sortie en 2020. Ce qui frappe d’entrée avec The Pet Parade, c’est la production justement. Le son est chaud, soyeux et très direct. Il semble même qu’Eric s’adresse directement à son auditoire de façon rapprochée et familière. Il n’y a qu’à l’entendre nous saluer d’un engageant « hello » au tout début du titre « The Pet Parade » pour se sentir concerné par cette tranche de vie hors du temps. Un long morceau d’ouverture qui se met en route tout doucement et défile devant nous à l’image de cette parade animale complètement surréaliste. Quelques accords de guitare acoustique, de la conviction dans le chant, des ornements musicaux judicieux et l’on est happé par cette atmosphère accueillante qui ne nous lâchera plus jusqu’à la fin. La plupart des chansons ont été écrites avant les événements que l’on connaît et pourtant certaines paroles sont troublantes de vérité présente. The Pet Parade est un album prophétique qui parle d’attente et d’isolement avec des mots forts qui font réfléchir. Sur « Cub Pilot » notamment, Eric chante : « She is looking out the living room window watching saturday become sunday… » (Elle regarde par la fenêtre du salon samedi devenir dimanche…). Drôle de discours et drôle de similitude avec notre quotidien chamboulé et en perte de repères.

Fruit Bats The Pet Parade Band 1

Des petites histoires de la vie que l’équipe de Fruit Bats nous fait partager avec sensibilité et savoir faire. E.D.J. nous parle de l’importance de sortir à l’air libre pour rompre la solitude (« Discovering »), d’un fait divers tragique (« Holy Rose ») ou encore de la nostalgie d’une enfance heureuse (« The Balcony »). Des sujets porteurs de sentiments forts et propices à l’écriture poétique dont il est un habile artisan. Musicalement, c’est plein de douceur, de compassion et à l’exception de « The Balcony », rarement up-tempo. Les arrangements sont aériens et rêveurs (« Here For Now, For You ») et savent se faire discrets pour laisser la voix s’exprimer pleinement (« On The Avalon Stairs »). Et puis, sur « Eagles Below Us » on perçoit à nouveau le doux parfum d’E.L.O. avec des backings typiques du genre. Les onze titres de l’album sont tous d’une qualité irréprochable et possédent chacun une force qui lui est propre. La succession n’en est pas une, les atmosphères changeantes et certains moments sont tout simplement enchanteurs. Je sortirais pour l’exemple « All In One Go » qui, aux dires d’ E.D.J., s’est fabriqué tardivement et sans préparation. Une tendre ballade acoustique sans fioriture mais qui montre à quel point son auteur possède son art au plus profond de ses tripes. La véritable conclusion de The Pet Parade se nomme « Gullwing Doors », un titre en forme de road-movie cher aux habitudes nomades d’Eric. Pour lui, l’album s’est achevé sur ce joli voyage qui pour nous, européens, relève encore du fantasme. Il ne reste que le charmant épilogue « Complete » pour définitivement classer ce disque parmi les plus belles réussites de ce début d’année. Avant d’oublier, je crois qu’il n’est pas trop tard pour nommer les musiciens qui se sont investis à distance sur ce remarquable témoignage musical. Donc, aux côtés d’E.D.J. et de Josh Kaufman, on retrouve Matt Barrick, Joe Russo et Brian Kantor aux percussions, Jim Becker au violon et à la flûte, Thomas Barlett au piano, Johanna Samuels au chant et Annie Nero au chant et à la basse.

Fruit Bats The Pet Parade Band 2

Pour fêter ses vingt ans d’existence, Fruit Bats vient peut-être de sortir son meilleur album. Celui qui paraît le plus compact, sans aucun temps mort ni faiblesse. The Pet Parade risque fort d’élargir l’auditoire du groupe et de conquérir une plus grande notoriété hors des frontières U.S. Une juste récompense pour Eric D. Johnson, son maître à penser et grande figure actuelle d’un genre en plein essor. Qu’on l’appelle new folk, alternative country ou americana, de plus en plus de musiciens talentueux s’inscrivent dans ce mouvement où la modernité se bâtit sur la tradition. Des musiques universelles et faciles d’accès mais qui n’acceptent aucun stéréotype ni compromis. Ici, c’est le cœur qui parle et lorsqu’on a les moyens de l’ouvrir au grand jour, l’offrande s’appelle The Pet Parade.

http://www.fruitbatsmusic.com/

 

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