Franck Carducci – Oddity
Franck Carducci
Autoproduction
Franck Carducci est un multi-instrumentiste français actuellement basé en Hollande, pied à terre où il a composé, produit et réalisé quasiment seul « Oddity », un premier album très éclectique estampillé « rock progressif », avec la participation de quelques invités de marque : John Hackett à la traversière (le jeune frère de qui vous savez !), Larry Crockett et Phildas Bhakta derrière les fûts, ainsi que la talentueuse chanteuse country Yanne Matis. Encore complètement inconnu chez nous il y a un an, Franck Carducci, artiste professionnel on ne peut plus accompli, a déjà pourtant un solide CV en matière musicale, et une belle carrière derrière lui, que ce soit sur scène au sein de diverses formations aux styles variés (blues, rock, funk… tout y passe ou presque!), ou en tant que musicien de session studio, avec de nombreux enregistrements à la clef .
Enfant, il apprend très tôt la pratique instrumentale, encouragé par un milieu familial on ne peut plus propice, et nourri par l’influence des vieux standards du rock’n roll qu’il entend à la maison. Mais la vraie révélation viendra un peu plus tard durant l’adolescence, période généralement déterminante, voir initiatique pour tout mélomane, durant laquelle le jeune Franck tombe amoureux de Pink Floyd, puis de Genesis, groupe pour lequel il voue encore aujourd’hui une véritable passion. C’est d’ailleurs grâce aux encouragements enthousiastes de son idole Steve Hackett qui, courant 2010, l’invite à faire sa première partie, que Franck Carducci décide de passer le cap et de mettre en boîte son propre album, projet qu’il avait en tête et en chantier depuis pas mal de temps déjà. Et heureusement pour les nombreux amateurs que nous sommes, car le rafraîchissant « Oddity » est tout simplement une petite bombe !
En terme d’écriture, l’album nous narre des récits imaginaires, qui mettent en scène des personnages inspirés ou carrément empruntés à la mythologie grecque, au cinéma de Stanley Kubrick, voir même à l’univers bigarré des Beatles, autre influence majeure du compositeur et performer français. On retrouve d’ailleurs tous ces fameux héros (ex : le légendaire guerrier de Troie Akhilleús), caractères et autre symboles sur la pochette du disque, à l’artwork franchement peu esthétique pour ne pas dire infantile, qui ne rend pas du tout hommage au formidable contenu musical de l’œuvre en question, d’une toute autre maturité et consistance artistique. Le disque regroupe cinq compositions originales, ainsi que deux titres bonus : une très belle reprise du classique « Carpet Crawler » de Genesis, avec violon et guitare wah-wah en sus, et une version radio edit du très groovy « Alice’s Eerie Dream », le hit potentiel de l’album, avec son refrain accrocheur et ses riffs blues-rock en diable. Sur « Oddity », Franck assure avec un brio qui laisse pantois le chant, l’ensemble des guitares (dont la fameuse 12 cordes), la basse, et une partie claviers (piano, Hammond B3, Mellotron en tête) avec son cousin Ricardo Vecchi, sans oublier bien sûr le concours des quelques musiciens cités plus haut.
L’album s’ouvre sur les 15 minutes d' »Achilles », merveilleuse suite fleuve aux rebondissements et atmosphères multiples, avec séquences mélodiques façon Camel, ambiance pastorale chère à Anthony Phillips (bien appuyée par la flûte délicate et rêveuse de John Hackett), sans oublier les passages plus typiquement prog, qui évoquent tout autant le Yes majestueux de l’âge d’or (avec des envolées de moog dignes d’un Wakeman), voir les premiers exploits de IQ, période « Tales » et « The Wake ». L’aisance avec laquelle Franck enchaîne les différentes parties est impressionnante, et ce savoir-faire n’a pour ainsi dire rien à envier à celui des meilleures folies de Spock’s Beard ! « The Quind » est certainement le titre le plus planant et mélodique de l’album, se rapprochant quant à lui étrangement des ambiances les plus douces et oniriques de Pendragon (la période allant de « The World » à « Not Of This World »). Le joli timbre de voix de Franck Carducci est d’ailleurs très proche de celui de Nick Barrett, et si comme pour ce dernier, l’organe manque peut-être un peu de puissance, Franck semble conscient de ses « limites » et maîtrise l’art du chant à la perfection, conséquences de quoi il n’est jamais poussif, même dans les moments les plus énergiques de sa musique.
Après la très agréable ballade acoustique folk « The Eye Of Age », où les parties vocales doublées avec Yanne Matis font merveille, on plonge avec bonheur dans la « version longue » du fameux « Alice’s Eerie Dream » et ses développements jubilatoires, qui vont même jusqu’à inclure des passages « blaxploitation » à la Isaac Hayes, voir carrément un chœur gospel ! Un énorme plat de résistance, ni plus ni moins, et très certainement mon titre préféré du disque. Enfin, « Oddity » s’achève en apothéose avec une ultime suite de 10 minutes, qui cite tout autant les errances bucoliques des premiers Genesis que le psychédélisme de Pink Floyd, avec une longue partie centrale et sa basse hypnotique qui nous replonge avec délectation dans l’avant-dernière séquence répétitive de l’intemporel « Echoes ». Magique !
Pour conclure, je dirais sans exagération aucune qu' »Oddity » est peut être le tout meilleur album de rock progressif symphonique jamais produit par un musicien français. Il constitue en tout cas une sacrée surprise pour tout amateur du genre, un source de plaisir infinie (même après de multiples écoutes, la magie opère plus que jamais!), et, enfin, la promesse d’un avenir radieux, d’autant plus que Franck Carducci, ravi de l’excellent accueil réservé un peu partout à son premier opus, a bien la ferme intention de passer, selon ses propres dires, « à la vitesse supérieure » pour la suite de ses aventures. Je n’ose même pas imaginer comment ‘ »Oddity » aurait sonné avec une production encore meilleure ! J’espère vivement que Franck signera prochainement pour un label majeur de la scène progressive, car son œuvre, authentique, sincère, passionnée et passionnante, mérite une bien meilleure visibilité auprès des mélomanes de toute la planète rock. Tiendrait-on notre Neal Morse à nous, le côté illuminé en moins ? La suite de l’histoire nous le dira !
Philippe Vallin (8,5/10)