Floating Points – Elaenia

Elaenia
Floating Points
Pluto Records
2015

Floating Points - Elaenia

OMNI (Objet Musical Non Identifié) ou hybride égaré dans les couloirs du temps ? Hommage avoué au passé ou porte grande ouverte à un courant encore inédit ? Même le digipack presque vierge, entre clin d’œil spatial (trajectoire de satellite ?) et minimalisme, cache son jeu et ses intentions, hormis de surprendre et laisser perplexe. L’écoute évoque certains courants nés du vaste chaudron des seventies, faisant exploser les catégories et jusqu’aux frontières, qui ont mené au jazz fusion et au jazz rock. Premier opus de Sam Shepherd sous le nom Floating Points, Elaenia rappelle ce souffle et ce vent de liberté qu’avaient offerts des groupes électriques (et électrisants) comme Return to Forever, Weather Report, Jean-Luc Ponty ou Oregon. Tous inclassables ou en tout cas, impossibles à faire entrer de force dans un genre préexistant unique et non hybridé.

Avec Elaenia, Sam Shepherd est de ceux-là avec cet album métissé, très contemporain et bourré à la fois de clins d’œil à ce passé illustre cité plus haut, des musiques qui font du neuf avec du « vieux son », dont un ensemble impressionnant de claviers vintage sortis du musée pour en faire un usage différent et dépoussiéré, rafraîchi et somme toute innovant. ARP Odyssey, Fender Rhodes, Oberheim OB8 et tout un arsenal de synthés modulaires Buchla bizarroïdes (truffés de boutons et de prises jack comme le « mur » d’un Moog modulaire ou le mythique VCS3 du tout début des seventies), mais aussi des instruments acoustiques : piano, marimbas, un authentique quatuor à cordes sur quelques titres, dont les 10 minutes de l’epic « Silhouettes (I, II &III) », et une « vraie » batterie acoustique assurant le support rythmique sur la plupart des titres. A tout prendre, ces claviers analogiques vintage délivrent eux aussi un son au grain presque acoustique, en tout cas plus organique et vivant que les machines et samplers modernes au son formaté et aseptisé. Ainsi décapée et passée à la moulinette de sons « authentiquement électriques », l’electronica d’Elaenia en ressort élégante et racée, même si on y retrouve ici et là (dans « Nespole ») les usages et défauts d’un set de DJ trop axé sur le rythme, ultra répétitif et lancinant, comme destiné en priorité aux dancefloors; alors que cette musique-là mérite et vaut sans doute bien mieux que ça.

Floating Points - Band

Malgré l’arsenal impressionnant de vieux claviers et machines, le lien avec la Berlin School est très lointain, hormis une propension rythmique qui la caractérise souvent, et que l’on retrouve sur « Argenté » et son superbe arpégiateur introductif aérien. Assez loin aussi des paysages planants de l’ambient, à l’exception du morceau-titre « Elaenia » très apaisé, on est plus proche de la folie jazzistique débridée d’un Return to Forever modernisé par quelques machines, rythmes et sonorités très contemporaines. Les sons de Fender Rhodes et de piano électrique y aident pas mal à ces clin d’oeils ; manque certes le Minimoog, mais d’autres claviers aussi mythiques comme l’ARP 2600 le remplacent, donnant une coloration vintage à une musique qui ne renie pas pour autant une electronica à la Autechre, comme sur « For Marmish », mais avec d’autres couleurs. Sans oublier la classe folle de vraies cordes, luxe rare dans ce registre où laptop, synthés virtuels, personnel réduit au seul leader et « minimalisme encombremental » sont souvent la règle, plus encore sur scène. Car Sam Sherperd et son Floating Points ne se contentent pas du studio, ils jouent aussi sur scène (voir sur Youtube le live pour la radio KCRW), avec tout le staff et une bonne partie de leur équipement, jouant entre autres une belle version de leur epic « Silhouettes (I, II &III) ».

Elaenia ; serait-ce un moyen de réconcilier, sans leur forcer la main, les fans d’electronica avec les claviers vintage quasiment disparus des studios ? Hormis dans le rétro Prog et leurs Minimoog ou Mellotron offrant toujours le même son bien connu depuis Rick Wakeman. Les sonorités insolites et sophistiquées des gros synthés Buchla modulaires valent à eux seuls le détour (comme de ressusciter Keith Emerson), et de même l’accord de Rhodes claquant et inquiétant en intro à « Silhouettes ». Ces sons devenus rares apportent à Elaenia quelque chose de frais et « neuf » – à moins qu’il faille dire vieux ? En tout cas cette alliance des contraires vaut tous les samplers pour créer une ambiance inhabituelle, voire un brin extraterrestre ?

Elaenia serait donc bien un OMNI (Objet Musical Non Identifié), on vous l’avait dit.

Jean-Michel Calvez

http://www.floatingpoints.co.uk/

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