Fange – Pudeur

Pudeur
Fange
Throatruiner Records
2020
Jéré Mignon

Fange – Pudeur

Fange Pudeur

Pudeur ? Quelle pudeur ?! De quoi on parle là ? Vous vous foutez de moi ?! De la main qui se faufile innocemment pour cacher une toison pubienne trop velue ? Du masque qu’on se met sur la tronche, des habits qui couvrent genoux, bras et visages… Oh ! De grâce, cachez moi ça ! Cachez moi ce sein que je ne pourrai voir ! Pauvres fous inconscients… Masquez, camouflez, oubliez, peinez, encaissez… Mais surtout gardez votre pudeur !

Nouvel album de Fange en provenance de Rennes, nouvelle direction une fois aussi ou plutôt nouvelle mutation… Fange porte bien son nom. C’est du caca et encore du caca sur une couche de crasse. Lourd, poisseux toujours à la limite de la nausée et avec régulièrement ce sentiment de malaise pernicieux qui semble coller aux articulations et orifices divers. Fange c’est sale, ça pue un peu la bouffe avariée, la conduite d’évacuation bouchée et le trottoir. Parce que, avant tout, Pudeur cause de misère sociale, de sa noirceur pathétique, des oreilles et des yeux qu’on cache pour éviter d’être choqué dans notre bien-pensance, nos « acquis » esthétiques et sociaux. Fange n’a jamais fait de cadeau, de sa voix en pleine crise d’anévrisme, ses larsens malfaisants, son ambiance à mi-chemin entre le boueux visqueux et l’innommable. Saupoudrez le tout d’une flasque de whisky discount et vous avez la formule. Oui mais Fange évolue, constamment même. Le dernier méfait, Punir, datant d’à peine un an, avait déjà mis la barre assez haute. Ça reluquait autant les entrailles que ça prenait un travers plus death, gras, à la frontière de l’incontrôlable avec ses apartés noise et power-electronics en fausse respirations suffocantes mais véritables coups de surins entre les omoplates.

Fange Pudeur Band 1

Dans ce nouvel opus, maintenant, il y a comme une fusion de formes, un mélange indistinct de grumeaux, génomes organiques prenant des formes surréalistes, transformations et mutations dignes d’un manga sous un filtre franchouillard. Vous voyez Akira ou Tetsuo de Shin’ya Tsukamoto ? Le body-horror de Cronenberg ou le Society de Brian Yusna ? Alors, vous avez saisi ! Moins de crachats à la gueule mais plus de bile, peut-être plus synthétique et une déformation virant au grotesque à l’instar de cet être protéiforme et désarticulé masqué, en partie, par le titre imposant de l’album. Ici, Fange, décide de se passer définitivement de batteur pour l’emploi monolithique et forcément industriel d’une boite à rythme incombant au reste du groupe de s’accorder dans un conglomérat compressé, faussement brouillon mais parfaitement névrotique. La folie n’est plus intérieure, elle dépasse carrément du cadre et du corps donnant cette impression de masse et de tissus squameux qui s’étirent, s’entrechoquent, s’étendent et se rallongent. Dislocation, désarticulation, apparition soudaine de nouvelles sonorités qui ne se jaugent pas mais qui préfèrent rentrer dans la mélasse qui constitue Pudeur. Parce que Pudeur, c’est un vrai bloc de gelée en réanimation. Chargé et disproportionné. L’industriel (autant rythmique qu’atmosphérique) fait corps avec les saturations instrumentales alors que la voix de Matthias Jungbluth se fait toujours plus rauque, limite en retrait, comme pour mieux coller, telle la mauvaise glu anti-cafards, aux affres amoncelées et envoyées en pâture sur la durée de l’album. Et là, l’ensemble gagne en homogénéité. S’il paraît plus aberrant, il en ressort d’autant plus concis et force même à traverser une surface spongieuse d’une main hésitante pour découvrir d’autres recoins, ces détails dissonants qu’on découvre par inadvertance. Triturations noise malignes, breaks difformes, spoken word épars d’un Antonin Artaud en pleine crise, angoisses mécaniques/organiques amalgamées voire assimilées. Pudeur donne l’impression d’écouter un album de doom/death tout droit sorti de chez Dark Descent mélangé aux ambiances claustrophobes d’un Godflesh plus viandard que mécanique et aux climats révoltés d’un Test Dept ou d’un Brighter Death Now, en pleine gueule de bois, ne sachant pas ce qu’il fait là.

Fange Pudeur Band 2

On peut tout aussi rapprocher Pudeur de cette entité suédoise perfide qu’est Terra Tenebrosa par son ambiance anxiogène bien que Fange se montre plus frontal, moins fantomatique ou métaphorique et d’avantage viscéral que théâtral. Car le théâtre n’est plus masqué désormais, il apparaît et dégouline chaque jour et c’est tout à l’avantage des Rennais. Se masquer, c’est une marque de pudeur, non ? Alors qu’est qu’on en a à foutre ?! Cette masse informe c’est nous, ce reflet dégueulasse et déformé. Notre vie, notre société, notre conscience, notre apriorisme, notre semblant d’humanité, notre égoïsme, notre hypocrisie… Ce n’est qu’une pudeur admise, un contrat tacite. Fange, même s’il donne cette impression de muter sans cesse sans atteindre le point d’acmé par souci de recherche, n’en devient qu’à chaque sortie plus intransigeant, malfaisant, radical et par là même, unique…

https://fange.bandcamp.com/

 

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