Emma Ruth Rundle & Thou – May Our Chambers Be Full

May Our Chambers Be Full
Emma Ruth Rundle & Thou
Sacred Bones Records
2020
Jéré Mignon

Emma Ruth Rundle & Thou – May Our Chambers Be Full

Emma Ruth Rundle & Thou May Our Chambers Be Full

Autant que je m’en souvienne, que ce soit les albums solos d’Emma Ruth Rundle ou les méfaits du groupe de Bâton Rouge (Louisiane) Thou, ils m’ont toujours fait forte impression et provoqué moultes sécrétions de sueurs. D’un côté, la chanteuse/guitariste et son univers folk, flirtant des fois avec le post-rock et la cold-wave à en faire chialer une brique et de l’autre les stakhanovistes d’un sludge-grunge qui donne envie de prendre la dite brique pour éclater une vitre de banque ou d’une quelconque société d’assurance (insérez la compagnie au choix). L’une a d’avantage de succès en solo (au détriment du groupe Marriages), l’autre s’est forgé une carapace et une notoriété dans une communauté de niche encline aux glaviots de caniveaux. Les deux entités ont déjà collaboré lors d’une performance au Roadburn Festival sur des reprises des Misfits, puis vient la véritable convergence studio… À la simple question du p’tit tatillon du fond… Ça se tient ?

Pas qu’un peu. Emma Ruth Rundle et Thou ont bien une chose en commun. Cette faculté de créer une émotion électrique, mélancolique pour la chanteuse, plus virulente, pesante et poisseuse pour Thou mais surtout de ne jamais laisser passer le moindre poil à une quelconque lumière libératrice. La chanteuse avait besoin de lourdeur, le groupe, lui, d’un appui vocal peut-être tout aussi consterné mais plus sentimental (malgré leurs incursions éparses au chant féminin). Aussi, qui l’emporte ? Ni l’un, ni l’autre en fait… May Our Chambers Be Full est la parfaite cohésion entre les deux. Emma chante, Thou y rajoute une épaisseur cataleptique. Thou, hurle et fait grincer ses guitares à déformer les murs, Emma leur donne un cachet plus aéré, fantomatique et mélodique. À tel point que cette rencontre en paraît naturelle, voire limpide. On ne dit rien. On prend.

Emma Ruth Rundle & Thou May Our Chambers Be Full Band 1

On est dans l’ordre d’une sorte de fusion quasi moléculaire telle que Julie Christmas et Cult Of Luna avaient auparavant offert sur Mariner, dédié à cette envie irrépressible de parcourir l’espace. Là, on navigue dans des sentiments plus terre-à-terre, presque trop humains peut-être en y pensant, mais palpables et qui sautent littéralement à la gueule. May Our Chambers Be Full est néanmoins frontal, dans sa sonorité, sa composante, son climat, son énergie et sa construction. Il préfère condenser (au lieu de « pudiquement » séparer) les chants opposés d’Emma Ruth Rundle et Brian Funck, mélanger lourdeur et mélodie, élévation atmosphérique et brutalité soudaine. Deux points de vue qui s’affrontent ou plutôt se côtoient, dans un sourire aussi respectueux que complice. Donner, recevoir, c’est cadeau d’osmose. Aussi l’album évolue ; il part d’une plage d’ouverture tel un rideau qu’on découvre, lentement, sur un paysage morne mais harmonieux, suivant un rythme qui se casse littéralement sur « Magical Coast », titre le plus abrasif et corrosif de l’album, à faire peler la peau si la voix de la chanteuse ne venait pas à en panser les plaies… Les deux derniers morceaux affirmeront d’avantage cette prise de position avec ses guitares plus rugueuses, ce rythme de plus en plus obsédant et oppressif, ce sorte de compte à rebours avant la coulée finale, aussi haletante que suffocante.

Emma Ruth Rundle & Thou May Our Chambers Be Full Band 2

Envolées post-rock, dégoulinantes et poissardes, qui sentent le marécage. Échelle de Richter largement dépassée, le final de May Our Chambers Be Full , « The Valley », montre l’implosion d’une graine qui se fissure, se répand et gangrène sur un rythme toujours plus entêtant, viscéral laissant les orbites vides, ligaments mous et bras ballants face à l’inéluctable. On prend… C’est tout… On ne le répétera jamais assez mais May Our Chambers Be Full, c’est attraper une main aussi bienveillante que gorgée de mal-être et de rugosité. Une force pour un spectacle vivant. Peut-être l’un des albums les plus forts de cette année de merde qu’était 2020 (et encore, on ne sait pas ce qui nous attend en 2021…)

PS : À l’instant où j’écris ces quelques lignes, un nouvel EP a vu le jour comprenant, entre autres, une reprise des Cranberries. Ça se nomme The Helm Of Sorrow et c’est presque une demi-heure de plus passée avec un(e) ami(e)…

https://thou.bandcamp.com/album/may-our-chambers-be-full

https://emmaruthrundle.bandcamp.com/

 

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