Eloy – Ocean 2 : The Answer
Eloy
Gun Records
En 1998, le plus célèbre des combos space-rock-symphonique allemands était de retour en force, après quatre années d’absence et une longue période d’errance créative en amont, en publiant un nouvel opus de très belle facture. En effet, avec un titre d’album déjà prometteur (rien de moins que la séquelle de leur classique et culte « Ocean », paru en 1977 !), Eloy revenait au sommet de son art avec un objet musical égalant, voir surpassant leur création originale plus de 20 ans après sa parution. Dès l’ouverture instrumentale du disque (« between Future And Past »), le ton est donné : bruitages d’horloges, nappes de claviers en apesanteur, quelques notes de guitare cosmique et chant féminin synthétique. On nage quelque-part en plein Pink Floy période « Dark side Of The Moon » et « Wish You Were Here » et on replonge surtout dans l’ambiance planante et spatiale du Eloy indépassable de « Silent Cries And Mighty Echoes », point d’orgue de la seconde moitié des années 70. Mais dès le passage au second titre de l’album (le formidable « Ro Setau »), on s’éloigne des seventies pour se tourner véritablement vers l’avenir. En effet, la production frappe et impressionne de par sa puissance et sa modernité accrue, ce qui contribue à accentuer le plaisir auditif et rend le trip autrement plus intense qu’à travers les exploits du Eloy d’antant ! Ce titre, servi par une section rythmique soutenue, avec un jeu et un son de basse qui dépotent, sans oublier les claviers omniprésents, la marque de fabrique du groupe, s’achève dans une totale démesure instrumentale, après une lente progression soutenue par un chœur féminin de toute beauté, et authentique celui-ci.
Décidément, l’âme de Pink Floyd plane encore plus que jamais dans ce nouvel Eloy, et cela tout au long de ce disque jubilatoire à souhait, sans jamais que l’on puisse hurler au clonage ou au sinistre plagiat (bruitages d’introduction mis à part, qui relèvent à mon avis davantage du clin d’oeil). « Influence », bien appuyée certes, serait peut-être le terme le plus approprié. On enchaine ensuite avec un autre titre pour le moins monumental intitulé « paralized civilization », superbe pièce symphonico-planante aux accents heavy, soutenue par une ligne de basse imparable (j’insiste !) et des claviers omniprésents (décidément !). Puis la tension générale se relâche avec un très doux « Serenity », sorte de légère ballade cosmique comme seul Eloy en a le secret, histoire de faire une petite pause, en orbite autour de la planète de votre choix. Mais le voyage spatial doit se poursuivre et l’énergie reprend le dessus sans tarder avec le très vitaminé « Awakening Of Consciousness », auquel succède « Refexions From Sphères Beyond », un autre climax de quelques douze minutes au compteur où on retrouve une recette identique ou presque au second titre de l’album, avec choristes, soli de guitares, claviers virevoltants et propulsion sans escale vers le nirvana musical ! Pour l’anecdote, les voix robotiques qui ponctuent « Reflexions From Sphères Beyond » (mais aussi « Paralized Civilization ») ne sont pas sans évoquer l’ambiance futuriste du fameux et sous estimé « Dig It » (1980) de monsieur Klaus Schulze, autre machine à rêver germanique.
Ce conceptuel « Ocean 2 » se perçoit comme un tout relativement homogène, à écouter d’une traite de préférence pour en absorber toute la substance, avec une qualité d’ensemble absolument constante. Pas de faute de goût ou de « ventre mou » à déplorer ici, l’ensemble est fluide et superbe de bout en bout. Même « Waves Of Intuition », un poil plus anecdotique que le reste, ne dépareille pas avec sa jolie mélodie, remplissant le même rôle que « Serenity » dans l’équilibrage d’un l’album conçu telle une excursion magique à travers un océan d’étoiles ! La conclusion d' »Ocean 2″, grandiloquente au possible, est construite autour d’un thème et d’un rythme unique, le bien nommé et répétitif « The Answer ». Ce dernier ne cesse en effet de gagner en intensité pour finir dans l’apothéose d’un feu d’artifice de chœurs célestes, digne de figurer au générique final d’un péplum ou d’une superproduction fantastique genre « heroic-fantasy ».
Voici donc un disque assez exceptionnel dans le catalogue d’Eloy, nouveau classique d’une formation méconnue du grand public, inspiré et merveilleux sur le plan onirique et mélodique, mis en valeur par un son énorme et une production sans égale dans l’histoire du groupe. Et puis, quel plaisir de retrouver ce jeu de guitare on ne peut plus spatial de Frank Bornemann, également chanteur et principal compositeur de ce groupe incontournable de la scène progressive. Seul point faible de l’ensemble, le chant du frontman, qui à défaut d’être médiocre, est loin d’atteindre l’excellence, tant au niveau de l’expression que de la texture vocale. N’est pas David Gilmour qui veut !
Enfin, avis aux amoureux de belles pochettes d’albums au design science-fictionnel, l’emballage graphique et signé par le génial peintre polonais Wojtek Siudmak, comme à la grande époque du combo allemand et du format vinyle dont les illustrations faisaient parfois rêver le mélomane avant même la première écoute ! Je conseillerais donc ce disque à tous les fans en manque du Pink Floyd de l’âge d’or, ainsi qu’à tout amateur de rock planant généreux et de voyages sidéraux stimulants pour l’imaginaire. « Ocean 2 : The Answer » est une galette indispensable pour ceux-là, à découvrir ou à redécouvrir les yeux fermés, et les oreilles bien ouvertes !
Philippe Vallin (8,5/10)
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