Eberhard Weber – Encore
Eberhard Weber
ECM
Bien connu du public jazz pour sa carrière solo, ses collaborations avec d’autres artistes ECM comme Gary Burton ou Ralph Towner, mais surtout pour sa fidélité au Jan Garbarek Group, ce n’est qu’à partir de sa collaboration avec Kate Bush que l’immense contrebassiste allemand Eberhard Weber s’est fait connaître du grand public. Comment en effet oublier ces lignes de basse sur les émouvants « Never Be Mine » ou « Deeper Understanding » ? Mais comment comprendre en revanche que ce contrebassiste au son aisément identifiable parmi tant d’autres, sorte un nouvel album en 2015 alors qu’un AVC l’a rendu incapable de jouer de son instrument en 2007 ? Il faut pour cela remonter à 2012. En effet, à cette date sortait « Résumé », une collection d’improvisations en solitaire enregistrées entre 1990 et 2007 à l’occasion de tournées avec le Jan Garbarek Group, et agrémentées d’un accompagnement studio avec le saxophoniste Jan Garbarek justement, ainsi que le batteur Michael Di Pasqua (qui avait assuré la transition entre Jon Christensen et Manu Katché dans la fameuse formation du saxophoniste norvégien).
« Encore » est la suite logique de cette première collection. Les titres font toujours référence aux lieux où les solos ont été enregistrés, mais pour éviter de se répéter, le musicien allemand a fait appel aux services du trompettiste Ack van Rooyen (ici au « bugle »), l’un des collaborateurs de son tout premier album solo, « The Colours Of Chloë », datant de la première moitié des années 70 !
Entre enjouement (« Langenhagen ») et tourments (« Rankweil »), les solos de contrebasse électrique dévoilent une grande sensibilité. En parcourant le livret, on apprend que leur géniteur a mis près d’un an à apprivoiser cette « Special Bass », construite sur-mesure par un luthier spécialisé dans la fabrication de violons. Autour des sons en « spirale » de l’instrument, ce sont de belles nappes de synthé réflectives ou amusées, et quelques sons percussifs et symphoniques, qui les subliment tout en leur donnant une seconde vie. Bien évidemment, on pense aux œuvres les plus éthérées de Jan Garbarek, l’esprit du pianiste Rainer Brüninghaus et de la percussionniste Marilyn Mazur se rappelant à nous.
Cependant, la diversité des ambiances créées est assez grande. Ainsi, depuis le planant « Granada » jusqu’au sombre « Konstanz », en passant par l’espiègle « Bradford » et le rustique « Pamplona », le musicien allemand dévoile une palette de couleurs riches en nuances. S’aidant d’une seule main pour son travail additionnel aux claviers, il nous surprend par la qualité et l’émotion qui en découlent. Le bugle de son ami néerlandais apporte quelques notes réconfortantes, qu’on jurerait sorties de la bande-son d’un bon vieux polar.
« Encore », de l’aveu de son auteur, pourrait bien être la dernière pierre posée à un édifice qui s’est construit avec humilité et amour pendant près de quatre décennies. Saluons ici un artiste qui a su se relever d’une expérience invalidante pour continuer à nous émerveiller de son monde si touchant.
Lucas Biela (9/10)
Extrait de « The Colour Of Chloë » (1974) :
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