Discipline – Breadcrumbs
Bad Dog Promotions / ProgRock.com’s Essentials
2025
Lucas Biela
Discipline – Breadcrumbs
Hugh Syme, Terry Brown* : un nouvel album de Rush ? Non, vous n’y êtes pas, il s’agit de Discipline, un groupe qui prend son temps depuis la publication de son deuxième album, le très apprécié Unfolded Like Staircase. Le maître à penser de cette formation, Matthew Parmenter, mène en effet une carrière solo depuis le début des années 2000, l’empêchant de se consacrer pleinement à son groupe des débuts. Avec Breadcrumbs cependant, le fan de Van Der Graaf Generator prouve que son combo a encore sa place dans le monde du rock progressif. Toujours entouré de Chris Herin à la guitare et de Mathew Kennedy à la basse, c’est cette fois-ci son fils Henry qui l’accompagne à la batterie.
Ce qui saute d’emblée aux oreilles, c’est l’élégance des ambiances. Et en matière de raffinement, on peut compter sur le jeu sobre du fils Parmenter. L’équilibre entre fûts et cymbales laisse la musique respirer, autant que les silences du kit permettent aux autres instruments de faire travailler leur imagination. Ainsi, dès le morceau d’ouverture, quand les claviers et la guitare appuient autant les hésitations que l’excitation de la rythmique, c’est une discussion des plus singulières qui s’établit entre les claviers étonnés, la guitare pleine d’humilité et la basse pimpante. La voix, jusqu’alors grave et déterminée, semble alors prendre une teinte éplorée quand des soupirs agonisants la saisissent (« So far gone », « Bye my love » gémit-elle alors dans un ton à susciter la peine). « When The Nights Calls To Day » se met également sur son trente-et-un en observant une certaine retenue dans ces marches coordonnées mais prudentes. Et une fois n’est pas coutume, ce n’est pas la discrétion de la batterie qui incitera les camarades à faire preuve de créativité, mais un solo dont le caractère imprévisible surprend. Cette pièce développe une mélodie automnale touchante que concluent des harmonies vocales de toute beauté. La prestance est toujours de mise avec les accents jazzy d’« Aloft », mettant en exergue non seulement le swing de Parmenter fils, mais également la sensibilité du père tant à travers ses claviers que son violon. Et ce n’est pas le ton solennel d’« Aria » qui va départir de la grâce disciplinée de Breadcrumbs. Orgue majestueux, six-corde malicieuse et claviers amusés y ponctuent néanmoins le cortège funéraire et digne de Matthew Parmenter, marqué par un piano mélancolique, une batterie lugubre, et une guitare emplie de regrets. Toujours dans une approche distinguée, « Keep The Change » dénote dans le lot par son côté acoustique et relâché qui le rapprocherait d’une chanson entonnée autour d’un feu de camp. Le pont dont on devine à peine les contours rétablit néanmoins le lien avec l’univers brumeux de la bande.
L’autre aspect que l’on ne peut s’empêcher de remarquer, c’est le son naturel, loin de tout artifice qui enfermerait cet opus dans une décennie particulière. Un soin tout particulier a été apporté au mixage, pour rassembler les couleurs plutôt que de les disperser. Ainsi, dans le morceau-titre, l’émotion que véhicule le chant teinté de douleur et d’espoir de Matthew Parmenter est-elle potentialisée par l’indécision des claviers, les pleurs de la guitare et par les intrigues de la batterie. Avec, « When The Night Calls To Day », c’est tout un suspens qui se met en place entre la prudence de la batterie, le chant désabusé, les alertes de la guitare et les doutes des claviers. Vous l’avez compris, voix et instruments travaillent de concert pour suggérer les ambiances. Le même morceau voit d’ailleurs les nuages se dissiper quand le solo de batterie mentionné avant conduit l’ensemble vers la lumière. Et quand ce n’est pas un changement radical d’atmosphère qui s’opère, ce sont des petites touches de couleur vive qui donnent au tableau sombre une autre dimension. Ainsi, au travers de sourires épars, la guitare, les claviers et le violon font aborder le sombre « Aloft » sous un angle différent.
Sixième album studio de Discipline, Breadcrumbs gravite toujours autour d’univers tourmentés, mais pénétrés de temps à autre par une lumière qui y apporte un autre éclairage. Avec élégance et sous une pluie de tonalités convergentes, les miettes dispersées de Breadcrumbs nourrissent tout autant les volatiles qui les attrapent que les oreilles qui y sont exposées.
* Respectivement graphiste et producteur sur les albums du célèbre trio canadien
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