Devendra Banhart – Flying Wig

Flying Wig
Devendra Banhart
Mexican Summer
2023
Thierry Folcher

Devendra Banhart – Flying Wig

Devendra Banhart - Flying Wig

Le chroniqueur est un dictateur. Mais comment agir autrement ? Maupassant soutenait qu’un critique digne de ce nom ne devrait être qu’un analyste sans tendance, sans préférence et sans passion. Un personnage creux, seulement capable d’apprécier la stricte valeur artistique de l’objet qu’on lui présente. Si je comprends bien, un bon critique ne devrait pas être attiré par ce qu’il aime, mais plutôt s’orienter vers ce qu’il n’aime pas (ou qu’il ne connaît pas) et d’en faire une analyse technique irréprochable. Cela est bien sûr… critiquable même s’il y a une part de vérité là-dedans. Car si j’ai parlé de dictature, c’est parce que l’attitude inverse, celle qui relève de la passion et de la totale adhésion, possède une force qui est certainement déterminante pour présenter une œuvre auprès d’un public qui ne demande qu’à vous suivre. Cette réflexion, je l’ai en tête depuis longtemps et je me demande de quel droit je peux me permettre d’encenser un artiste et pas un autre. Que ma critique soit positive ou non, il y a malgré tout une forme de despotisme dans tout ça. Bien évidemment, je ne peux pas inciter les gens à partager mes goûts, mais compte tenu de la façon dont mes propos sont argumentés, cela y ressemble beaucoup. Comme souvent, ce genre de prise de tête ne mène à rien, surtout auprès de celles et ceux dont le partage est une obsession viscérale et que l’on peut difficilement refréner quand ils sont lancés sur un sujet qui les passionne. Donc aujourd’hui, c’est sans état d’âme et sans arrières pensées que je vous présente Flying Wig, le onzième album de notre néo-hippie texan préféré, j’ai nommé : Devendra Banhart. Un artiste aux métissages nombreux qui fait sans doute partie des auteurs-compositeurs les plus intéressants du moment.

Le parcours de Devendra Banhart est jalonné de rencontres et d’influences multiples qui ont su à chaque fois, enrichir sa palette artistique. Il y a notamment cette amitié avec le producteur Noah Georgeson qui s’est matérialisée par la publication de Refuge , un album instrumental écrit à deux mains en 2021. Un duo apte à produire une musique new-age très contemplative et dont Flying Wig se fait aujourd’hui le prolongement naturel. Sur ce nouveau disque, c’est en compagnie de la productrice et musicienne galloise Cate Le Bon que Devendra reprend sa plume de songwriter pour nous proposer un voyage très lent, très doux et finalement conforme à ses besoins du moment. Sa prose est introspective, souvent torturée et exprime assez bien les angoisses et les tourments d’une vie finalement assez commune. Les tremblements de la voix, la fragilité de l’interprétation et le parti pris de faire un disque à deux (Cat Le Bon assure en plus pas mal de parties vocales) reflètent intimement les aléas, les chagrins, mais aussi le soutien moral qu’il recherchait en enregistrant ce disque. Le langage musical est certainement le plus évident de tous. On peut s’en servir pour traduire toutes les émotions et tous les aspects du quotidien avec l’avantage non négligeable de ne pas subir le côté restrictif des mots. Les premiers instants musicaux de Flying Wig sont à l’image de cette tristesse que Devendra veut à tout prix embellir. Il le dit lui-même : « Si je veux pleurer je veux le faire dans ma plus belle robe… » (voir photo ci-dessous). Et c’est vrai que le mélancolique « Feeling » se drape d’entrée d’une ambiance « Eno-esque », riche en vibrations et en sons à peine rythmés par une pulsation discrète mais nécessaire. Les synthés de Cate Le Bon évoquent le ressac et la pedal steel de la fidèle Nicole Lawrence est, comme à son habitude, très insolite. Pour sa part, le chant de Devendra est aussi poignant que troublant dans une quête d’amour presque douloureuse.

Devendra Banhart - Flying Wig Band 1

Je m’empresse de signaler que ce disque est loin d’être larmoyant. Pour preuve ce « Fireflies » magnifique qui enchaîne juste après et qui permet de s’extraire des marécages malsains où les chansons risquaient de s’enliser. La grande qualité de ce disque est de toujours assurer un bon équilibre entre paroles fortes (pour ne pas dire difficiles) et interprétations musicales attirantes. Au pays des lucioles (fireflies), on replonge avec délice dans un folk US qui rappelle aussitôt les accointances californiennes de son auteur. Ici, le rythme se veut entraînant mais sans trop de fougue, le décor s’installe doucement et la nuit apporte son lot d’émois et de sons étranges. On entend le coyote hurler avec insistance (Nicole Lawrence ?) et le saxo d’Euan Inshelwood se manifester tardivement pour habiller une fin dépouillée. Superbe chanson qui figure aussitôt parmi les plus belles réalisations de l’ami Banhart dont le catalogue de perles excentriques s’étoffe à chaque sortie. Ensuite « Nun » accélère le mouvement, mais nous laisse perplexes quant à la compréhension de cette histoire tarabiscotée où le mot « running » revient avec insistance. Pas de panique, cette course angoissante vaut pour son rythme soutenu ainsi que pour l’entrain qu’elle donne au disque. Et puis, les bonnes surprises ne manquent pas, à l’image des backings de « Sight Seer » aussi surprenants que bienvenus ou encore l’intervention tranchante de la guitare de Devendra sur « Sirens » qui force le respect. Même le dépouillement de « Charger », chanté en communion par Devendra et Cate, possède une élévation spirituelle qui va bien au-delà de la simple chanson.

Cela dit, tout n’est pas à la même hauteur sur ce disque et lorsque le morceau titre « Flying Wig » déroule sa longue litanie plaintive, je me sens décrocher petit à petit. Heureusement que « Twin » qui suit juste après relève aussitôt le niveau et réveille les organes assoupis. Ce titre est un des plus réussis de l’album dans un registre proche de Bowie où la guitare incisive, la basse de Todd Dahlhoff et la batterie de Greg Rogove assurent une intense prise en main rock que l’on ne peut que féliciter. Le disque tire à sa fin et « May » ne se débrouille pas trop mal avec ses boucles répétitives qui servent à souligner le propos insistant de Devendra : « I want you here, I want you here, I want you here… ». Autant dire que les tourments affectifs rongent lentement le bonhomme. « The Party » qui commence par : « I know you don’t love me… » reste dans la même tonalité et achève doucement cette amère confession qu’il faut voir comme une catharsis pour son auteur. Sinon, on peut toujours revenir à « Twin » et rester sur ses bonnes sensations musclées.

Devendra Banhart - Flying Wig Band 2

Aimer un artiste ne pousse pas au diktat, loin de là. Le libre arbitre existe encore et c’est tant mieux. Alors, même si je fais parfois preuve d’insistance, c’est juste pour ouvrir des portes et me sentir accompagné au pays des belles musiques et des émotions fortes. L’univers de Devendra Banhart n’est ni froid, ni pesant (même sur ce dernier album) et peut facilement amener à l’adhésion. Plus j’écoute Flying Wig, plus je me dis que c’est un bon album, peut-être pas le meilleur, mais un des plus intimes en tout cas. Devendra a certainement vécu des moments affectifs difficiles et pour lui, il était vital de les faire sortir. Cette forme de libération trouvera t-elle un public réceptif et compréhensif ? Je n’ai pas la réponse, mais ce dont je suis sûr, c’est que la qualité musicale est, quant à elle, bien moins sujette à interrogation.

https://devendrabanhart.com/

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