Deathprod – Morals & Dogma
Deathprod
Rune Grammophon
Cette nuit-là, je l’ai vu, je l’ai suivi, je l’ai traqué, je l’ai touché. J’ai parcouru, malgré moi, des milliers et des milliers de kilomètres. J’ai traversé des galaxies, perdu dans un vaste réseau de cartes et de forces magnétiques. Je me suis senti envahi par cette torpeur. Je l’ai laissé prendre possession de mon corps et de mon esprit. Pris au piège dans un dédale aspirant concentrant un million de fois la plus tentaculaire des toiles d’araignées, j’ai cherché en vain à ouvrir mes yeux. Finalement, je ne le désirais pas. Si cela avait été possible une seconde, je me serais cousu les paupières afin de ne rien perdre des sensations environnantes, mais aussi de crainte de perdre la vue. En cet instant, j’ai quitté l’attraction terrestre, j’ai senti le vide, sa matière, son volume, sa froideur, son autonomie propre. En elle, j’ai ressenti la tristesse, infinie et palpable. Cette affliction, je l’ai laissée me submerger, me noyer dans cet espace de création magmatique allant au rythme d’une pulsation ouatée dont seul le cerveau peut percevoir au plus profond de son mécanisme chimique et électrique.
Abstraction tendant vers une corde de tension, je l’ai vu, je me suis porté vers lui. J’ai tendu le bras, la main, mes doigts, je l’ai touché de ma respiration. Sa taille n’importe finalement peu. Aussi petit qu’un dé à coudre ou bien gigantesque telle une planète gazeuse, sa forme est parfaite dans ses lignes, tout en restant austère dans ses angles. D’un noir d’ébène aussi profond que l’espace en formation, il entraîne avec lui dans un vortex de magnitude ce qui se prépare à être avant même d’avoir été pensé, poussières et remous, gaz et arc de cercle, monotonie et puissance. Exaltation de ténèbres fécondes, maelström de naissances taries, volatilisées et déjà mortes. L’Homme n’arrivera jamais à s’en approcher, il essaiera, mettra son orgueil en jeu, voire même son existence, pour percer les mystères de son humanité, de son ambivalence. Je le sens, je le touche de mes sens aveugles, je me plie face à lui, mes oreilles, yeux décalés sans paupières, voient. Les vibrations sont terrifiantes, marées de tremblements sans fin qui me font chavirer à intervalles réguliers. Ce que j’entends tiens de l’épure. Dialogue, connections insignifiantes, compression des songes et des êtres, peut-être tout ça à la fois.
Je me tiens face au monolithe tout en étant écrasé par ses convulsions semblables à des tentacules. Je le vois, il me touche. Ce que j’entends, ce n’est pas de l’embryon de matière en formation, mais une partition, invisible, vide, perpétuelle. Celle de l’interrogation de l’être humain, son humanité, son image, sa vie, sa destruction. Cette partition, c’est celle qui englobe dans sa masse, sans aide de notes et encore moins de techniques, des sensations, des échos, bruits et respirations, beauté et abîme. L’Homme est peut-être seul, mais face à sa peur, le monolithe lui offre la vie, le son, la musique, la création atonale.
Jérémy Urbain (10/10)
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