David Bowie – Low
David Bowie
RCA
Pardon de l’annoncer ainsi d’entrée, mais comme pour beaucoup d’admirateurs de David Bowie, s’il n’y avait qu’un album à retenir de tout son parcours, ce serait celui-là… avec le suivant. Mais il y a cependant un mystère à cette préférence inconditionnelle, sinon passionnelle, pour ce disque sorti le 14 janvier 1977. En effet, comment un demi-échec du point de vue des ventes à sa sortie – Low ne contenant a priori aucun tube – s’est-il inexorablement mué en un opus adulé qui a fini par influencer jusqu’à Nirvana et Guns N’ Roses ? C’est ce que je vais brièvement tenter d’expliquer.
Indiquons néamoins tout d’abord que ce premier volet de ce qu’on appelera plus tard la trilogie berlinoise n’a dans un premier temps rien à voir avec Berlin, puisque l’enregistrement de l’album a débuté en France, au célèbre studio du Château d’Hérouville, près de Pontoise. Oui, c’est très loin de Los Angeles, ville dans laquelle vivait David Bowie et où a été enregistré le précédent Station To Station. Il faut dire que 1) la maison de disques de Bowie n’a pas trop apprécié Station To Station dont la tendance un tantinet expérimentale a été jugée franchement anti-commerciale malgré le succès de « Golden Years », et 2) Bowie se sait alors camé à l’excès, sujet à la paranoïa et des accès de délire, au bout du rouleau et pas loin du cercueil s’il continue ainsi. Dans tous les cas, il faut une coupure totale d’avec le passé et les moyens d’un nouveau départ.
C’est en Suisse que David Bowie opèrera sa renaissance début 76, tout d’abord en flânant dans les galeries d’art. Puis il se fixe à Berlin-Ouest et plus précisément dans le quartier de Schöneberg en compagnie de son fidèle ami, mieux, de son alter ego Iggy Pop. Là-bas, David Bowie essaie de repartir sur de bonnes bases. Dans le même temps, il renoue avec Tony Visconti, qui avait produit Young Americans. Et il noue également une fort intéressante relation avec un autre musicien et producteur, Brian Eno. Visconti, Berlin, Eno, voici le trio qui s’apprête à transformer de fond en comble la musique de David Bowie.
Bien qu’adepte du hasard quand il s’agit de composer ses pièces musicales, Brian Eno ne se rend pas régulièrement à Berlin par hasard. Pour lui, c’est là que ça se passe, comme on dit. Car c’est à Berlin que vivent la plupart des musiciens qui enfantent alors le Krautrock et la Kosmiche Musik, une nouvelle forme de rock d’une nature incroyablement polymorphe et un nouvel art de la musique électronique qu’il suit avec le plus grand intérêt. A cette époque, il collabore d’ailleurs régulièrement avec des groupes comme Cluster ou Harmonia qui sont à la pointe de l’avant-garde européenne.
Mais au fait, pourquoi David Bowie est-il lui-même précisément à Berlin ? C’est pitoyable à dire, mais il est sans le sou. Sa consommation galopante de cocaïne lui a entièrement coûté son compte en banque. C’est donc dans un quartier on ne peut plus modeste de Berlin qu’il vit à ce moment-là, tout simplement parce que Berlin est une ville où on peut vivre très correctement pour pas cher. Et puis, là, personne ne le connaît. Ici, il peut renaître en paix, à son rythme, dans l’obscurité protectrice de l’anonymat. Mais Berlin-Ouest n’est pas non plus n’importe quelle ville. C’est une île en plein empire communiste rattachée au monde occidental par une noria d’avions qui apportent à ses habitants tout le nécessaire. Berlin, après avoir été la capitale à détruire coûte que coûte du nazisme est désormais la ville à sauver à tout prix, un symbole, une anomalie, une étrangeté. Cela n’a pu qu’attirer David Bowie, toujours en quête d’inspirations radicales pour ses futurs albums.
Comme je le disais précédemment, ce fut au Château d’Herouville que furent enregistrées les premières bandes de ce qui allait devenir Low. Brian Eno fait déjà partie du casting mais est absent la première semaine. Cependant c’est dès le départ un album inclassable qui se profile car David Bowie et Tony Visconti s’entendent à merveille pour partir tout schuss en hors-piste, de quoi effrayer la maison de disques. Cela devient évidemment encore « pire » quand Brian Eno entre dans la danse, d’abord petit à petit puis plus amplement. Dans un premier temps, il ne fait que rajouter des pistes plutôt audacieuses de synthé aux chansons déjà mises en boîte. Celles-ci occuperont la majeure partie de la face A de l’album. A ce stade, Low n’est encore qu’un album bizarre mais n’a toujours pas basculé dans le hors-norme. C’est la face B, enregistrée à Berlin, qui va se charger de faire de cet opus un impérissable chef-d’oeuvre, sans qu’on y entende pourtant ne serait-ce qu’un instant la voix de David Bowie !
Eh oui, la face B de Low aligne cinq instrumentaux, tous géniaux dans leur caractère mélancolique, froid et envoûtant. Mais quel choc pour la maison de disques, dont on imagine aisément le profond désarroi, et aussi pour les fans de David Bowie, qui se demanderont longtemps quoi penser exactement de ce nouvel album. De fait, Low est loin de faire un carton à sa sortie. Il faudra l’oeuvre lente des années et la constitution d’une trilogie pour lui donner peu à peu son inaltérable lustre et l’installer pour toujours dans son statut d’album culte.
Frédéric Gerchambeau
Chronique intéressante. Dans cet album mi-chanté, mi-instrumental, on retrouve un « Warszawa » orthographié sans fautes, et dont bon nombre de fans doivent encore se poser la question de la prononciation…
Je me souviens très bien de ma réaction mitigée à l’écoute de cet OVNI à l’époque de sa sortie. Mais en même temps ravi que Bowie fasse du Bowie. Être là où on ne l’attend pas.
Pour l »anecdote , Bowie arrivant à Berlin a habité plusieurs semaines chez le regretté Edgar Froese
Cela dit , excellent album