Dälek – Gutter Tactics
Dälek
Ipepac Recordings
Dälek sait mettre les pieds dans le plat. Il le fait bien et ça en jette méchamment. À tel point que chaque album est attendu au tournant par une cohorte de fans dont la base s’est fortifiée et consolidée à la super glue, le temps aidant. Presque « chébran » même. « Oha ! T’as entendu le dernier Dälek ? Trop good le gars ! » À ceci près que pas mal de ces personnes n’avaient pas pensé une seule seconde à lire les paroles du groupe sur son site ou ailleurs, même si ça se trouve facilement de nos jours. Encore un peu, et je pencherais pour le jeu du succès. Ah, dans ce milieu, on aime bien s’en prendre aux autres, les taquiner en des frappes choupinoutes, montrer qu’on a la plus grosse, mieux qu’une andouillette AAAAA. Mc Dälek en remonte, ouais, de belle manière aussi, sans tapage, avec des mots justes mais toujours acérés sur son flow trainant. « Gutter Tactics » est Old-School, comme pour montrer d’où il vient, à croire que certains l’avaient oublié. Old-School dans ses beats secs et gluants à la fois, sa prod, ses cadences.
« Gutter Tactics » est politique et il n’épargne personne. On pourra toujours dire que Dälek ne s’est pas trop foulé le cortex jusqu’à être un tantinet paresseux. Il y a bien quelques passages à vide, ternes, sauvés sur le fil du poil par les déflagrations d’Oktopus, sa manière d’emmener le rythme, de lui donner vie, au milieu de ces grincements et murs de son bétonnant quasi « drone ». Il est la mélancolie et la colère fait bruit. L’abstract dans le matériel, les tiges de fer qui maintiennent l’édifice en place, le moule qui maintient le flow lent mais toujours corrosif du gros. À eux deux ils font peur, mais ils inspirent le respect. Signer (encore) sur un label non spécialisé et enfoncer la concurrence comme un belge enfonce un clou dans un mur, jouer avec les styles, chercher des influences extérieures, même dans celui-là oui, et toujours rester au-dessus, s’accrocher au hip-hop comme un loup qui refuse de lâcher sa proie.
De son titre d’ouverture tétanisant où la voix du révérend Wright résonne telle la sentence cloutée qui t’écorche le dos (et celui de toute une nation) en des éclaboussures fractales, à ces murs « noise » qui t’enfoncent dans la boue, t’éclatent la mâchoire à la barre rouillée, « Gutter Tactics » t’emmènera loin, très loin, dans l’aciérie nauséabonde, la fange, l’enlisement, jusqu’à trouver toquer à ta propre tombe. Il est touffu et impénétrable, difficile d’accès même. C’est sa main qui me prend par les cheveux et me plonge dans la cuvette de chiottes dégueulasse à remplir mes poumons de pisse et de javel bon marché. Mal. Il fait mal, c’est un album de souffrance, des menottes se serrant d’avantage, arrachant les derniers lambeaux de peau aux poignets, ne laissant que chair à vif et fluides organiques se répandre sur le sol.
Shoegaze, indus, hip-hop, « Gutter Tactics » est tout ça en même temps. Une barre sur le coin de la tronche, une pompe écrasant le larynx comme un fruit trop mur, une banane sur les lèvres dès que l’objet est cerné, aux grillages imposants. Brut, glauque, addictif…
Jérémy Urbain (8,5/10)