Colin Masson – The Old Bridge Of Awe
Autoproduction
2025
Thierry Folcher
Colin Masson – The Old Bridge Of Awe

En parcourant les crédits de The Old Bridge Of Awe de Colin Masson, je n’ai pas pu m’empêcher d’être un peu perplexe. En effet, ce natif de Salisbury est seul à l’affiche sur presque une heure de musique avec, hélas, ces fameux drums programming, certes bien pratiques, mais qui ne remplaceront jamais un véritable batteur. En revanche, le visuel avait tout pour me plaire. La magie celte de ces entrelacs très typiques encadrant un paysage aussi attirant qu’effrayant était un gage de belle plongée dans une ambiance que j’apprécie beaucoup et que je côtoie régulièrement. Le fait d’être imprégné de cette culture et de ces paysages est à la fois une chance et un handicap pour faire les bons choix dans des musiques qui parfois se parodient ou se cherchent un petit peu. Néanmoins, d’une manière générale, la musique celte se porte bien et embarque sans peine les jeunes générations avides de soirées fraternelles et festives. Alors, pourquoi ce vieux pont, situé près du Loch Awe (Obha en gaélique) dans les Hautes Terres d’Écosse, a-t-il ouvert une brèche dans mon armure et fait pencher la balance du bon côté ? La réponse est liée à un ressenti qui ne trompe pas. The Old Bridge Of Awe vibre, pulse et résonne de vie quasiment du début à la fin. L’écoute au casque est recommandée, surtout en accentuant les basses et à volume correct, pour ne pas dire fort. La bonne surprise vient de la production maison qui révèle un savoir-faire étonnant et une habileté certaine pour pallier le manque de vraies percussions. Cette petite contrariété est vite oubliée au profit d’un torrent de bruits et de fureur qui emporte tout sur son passage. D’autant plus que The Old Bridge Of Awe peut se traduire aussi par le vieux pont de l’effroi. En résumé, la perplexité ne s’imposait pas, tout se présentait bien et il ne restait plus qu’à prendre la claque tant espérée.
Mais attention, cet album n’est pas non plus un brulot de métal chauffé à blanc, on demeure dans une puissante tradition celte seulement animée d’un incomparable souffle bienfaiteur. Colin a quitté son Wiltshire natal pour venir s’installer dans ce coin d’Écosse austère et magnifique à la fois. Pour un musicien de sa trempe, l’inspiration est arrivée presque instantanément et tout un passé glorieux est venu se greffer sur le décor de ce « loch » parsemé de forteresses et de rudes souvenirs enfouis sous les pierres. Ce décor, je vous l’offre avec le clip de « The Sun Will Rise In A Pool Of Fire » en illustration ci-dessous. Un premier titre à l’allure guerrière qui manifeste d’emblée la volonté de Colin de rendre hommage à un lieu, à ses habitants et à son histoire. Tout un ensemble de choses qui feront désormais partie de sa vie. La guitare règne ici en maîtresse absolue, mais ce sont surtout les arrangements, caractérisés par un assaut de basses profondes, qui remuent mes sens en tous sens (bon, celui-là, je le garde). Les paroles chantées par Colin lui-même ne s’attardent pas sur les souvenirs (The past is a shadow we leave behind…), mais font preuve d’une folle énergie tournée vers l’avenir. Tout est clair, avec The Old Bridge Of Awe on ne va pas visiter un musée, mais plutôt se rendre compte avec quelle félicité ce baroudeur du prog (Colin Masson est également à l’origine du groupe The Morrigan, apparu au milieu des années 80) nous donne une percutante vision de son nouveau cadre de vie.

Après les tumultueuses vagues de « The Sun Will Rise In A Pool Of Fire », on était en droit de se demander si un tel début allait mourir dans l’œuf ou bien préluder à un assaut maîtrisé de nos oreilles. La réponse ne s’est pas fait attendre, car les treize minutes de « Fallen Eagle » se joueront dans la continuité en utilisant des « mots absurdes » (c’est Colin qui le dit) comme autant d’armes d’intimidation directement inspirées d’un étrange parler moyenâgeux. La bataille fait rage et les accents de Mike Oldfield se précisent. Et c’est vrai qu’il est difficile d’échapper au maître quand on emprunte ce genre de chemin où la musique instrumentale se « celtifie » et navigue dans des répertoires pleins de cris et de fureur. Heureusement, sur la fin, les choses s’apaisent et permettent de faire la jonction avec les douces circonvolutions de « Falls Of Avich ». Cette chute d’eau existe et malgré l’ampleur de son débit, elle se transforme en une promenade acoustique qui repose un peu l’auditeur malmené. Un joli morceau apte à nous montrer la belle technique de Colin et la diversité de son écriture. Sur cet album, la nature est omniprésente et « The Hollow Mountain » emprunte une vive allure pour escalader les reliefs escarpés d’un paysage grandiose que la musique traduit avec beaucoup de majesté. Puis c’est au tour de l’île de « Innis Chonnell » de se dévoiler dans une symphonie de claviers particulièrement impressionnante. La technologie est ce qu’elle est, mais réaliser un assemblage musical de ce type n’est pas donné à tout le monde. Pareil pour le fougueux « Tamlinn » qui insère une danse écossaise dans un moment rock particulièrement vif et entraînant. Et tout cela dans les mains (et le cerveau) d’un seul homme. L’avant-dernière chanson du disque, intitulée « Strange Old World », donne la parole aux hommes, conscients de vivre dans un endroit à la fois unique et pas si éloigné des tourments du monde actuel. Cette belle virée au pays des Scots s’achève avec le morceau titre « The Old Bridge Of Awe », une célébration posée qui rappelle Blackmore’s Night et qui donne une conclusion en forme d’apothéose à ce voyage superbement mis en musique.

Colin Masson n’est pas un inconnu. Que ce soit avec The Morrigan ou en solo, il a traversé les époques sans jamais se renier et en suivant une même ligne directrice fabriquée autour d’un prog-folk très riche à tendance symphonique. The Old Bridge Of Awe, son septième album solo, relate avec beaucoup d’énergie son installation dans le nord de l’Écosse ainsi que son périple dans des paysages à la douce rudesse et à la violente beauté. La musique celte qu’il emprunte est à coup sûr la plus légitime et la plus imagée pour les retranscrire dans toute leur majesté. Des sons vibrants qui l’auront accompagné tout au long de ses découvertes autour du Loch Awe. La qualité et la sincérité de ses compositions ont atteint leur but et permis au monde de découvrir un authentique musicien, heureux de ses choix et désormais bien présent dans de nombreux foyers. Si les musiques de Mike Oldfield, Anthony Phillips ou Blackmore’s Night vous manquent un petit peu, alors l’alternative Colin Masson vous tend les bras.
https://colinmasson.bandcamp.com/album/the-old-bridge-of-awe