Cirrus – Mama Please
Cirrus
Iris Music
Au beau milieu d’une production musicale incroyablement dense et diversifiée, dont l’accès se voit facilité et démocratisé surtout grâce à Internet, les explorateurs mélomaniaques que nous sommes brassent sans cesse de nouvelles créations musicales. Parfois, on se sent même un peu perdus au sein de cette formidable profusion d’artistes, groupes, labels, genres et sous-genres, avec quelques difficultés à « assimiler » toutes nos découvertes, voir à faire preuve d’un peu de discernement. Et puis, surprise, au détour d’une écoute, blasé dans notre quête sans fin, on finit par tomber sur l’arlésienne, le truc original, le son qui fait mouche dans l’oreille, bref, le coup de cœur immédiat. C’est ce qui m’est arrivé récemment en insérant le premier album de Cirrus dans ma platine (eh oui, certains écoutent encore des CD de nos jours !), jeune formation française inclassable à l’univers teinté d’influences folk, rock et traditionnelles. Cette rencontre avec la musique de Cirrus me replonge dans cette époque pas si lointaine où je pénétrais avec émerveillement dans les mondes imaginaires de Nosfell et son premier opus inégalé, ou du troisième essai de Sigur Ros, le définitif « ( ) » et son titre pour le moins énigmatique. Le disque de Cirrus, de la même manière, me séduit instantanément. « Mama please » pose d’emblée les fondations d’un style solide qui, malgré des influences évidentes et avouées, possède ses propres codes et dévoile des couleurs sonores inédites, aux parfums de mystère.
Cirrus, c’est d’abord la rencontre artistique d’une bande d’amis musiciens, fédérés autour d’un projet commun par la jeune vocaliste autodidacte Nawel Ben Kraiëm. De père tunisien et de mère française, Nawel passe toute son enfance en Tunisie, avant de venir s’installer en France avec ses parents. La chanteuse à la voix suave et délicatement éraillée (qui n’est pas sans rappeler le timbre si particulier d’Alison Goldfrapp à ses débuts), déclare cependant toujours souhaiter garder un pied en Orient et l’autre en Occident. Aussi, à travers sa démarche, elle tente de créer un pont entre les deux cultures, situées de part et d’autre de la méditerranée. Mais le fabuleux voyage auquel Nawel et sa bande nous convient va beaucoup plus loin qu’un simple et banal métissage musical. Point de collage superficiel à redouter ici, les influences du groupe se confondent et se mélangent en une alchimie ensorcelante, d’où jaillira une sorte de folklore imaginaire à nul autre pareil.
Dans la musique 100% acoustique de Cirrus, se côtoient les rythmes africains et orientaux (djembé, darbouka), les sonorités nordiques ou balkaniques (violon, bouzouki), mais aussi des influences plus modernes, issues de la pop-rock contemporaine. Impossible en effet de ne pas penser à Nosfell (encore lui !) en savourant le jeu de guitare de Remy Laurent et celui d’Alexandre Hetzel, qui composent ensemble et revisitent ici et là le touché atypique de notre Klokochasien préféré. Aussi, les explosions de violon et violoncelle ne sont pas sans rappeler les digressions jubilatoires de l’impassible Pierre Le Bourgeois, complice de Nosfell en studio et sur la scène. Point de langage imaginaire par contre chez Cirrus, mais un chant en diverses langues, tantôt arabe, tantôt anglais, avec quelques rares incursions dans le français (« Au Crochet De La Lune », « La Tzigane ») qui confèrent à l’œuvre une petite touche poétique surprenante et bienvenue.
Tout aussi mystique mais plus original que Loreena Mc Kennitt ou Irfan, aussi fascinant qu’un Gjallarhorn en état de grâce, classieux et envoutant tel le Dead Can Dance de l’âge d’or, Cirrus crée la surprise avec un premier album de toute beauté, qui risque de squatter longtemps vos platines et baladeurs numériques. Espérons que le second volet sera à la hauteur de cette petite merveille, ce qui n’est pas un moindre défit à relever pour les musiciens de Cirrus. En attendant, ne cherchez plus et précipitez vous à la découverte de ce « Mama Please » riche de créativité revigorante et empli de promesses !
Philippe Vallin (8/10)