Christine Ott – Time to Die
Gizeh
2021
Jean-Michel Calvez
Christine Ott – Time to Die
Nos chroniques suivent de près Christine Ott, sans doute parce qu’elle illustre ou résume idéalement la philosophie de Clair & Obscur sur les musiques qu’on aime : progressives, texturales, extrêmes, alternatives… vous connaissez le topo. Et le « … » suspensif final importe car il laisse la porte ouverte à tous les sons, et même aux bruits si ça nous « chante » ! C’est même pour ça que vous nous lisez, n’est-ce pas ? En tout cas, après plusieurs albums de Christine Ott déjà chroniqués dans ces pages (on vous laisse y replonger, si vous aviez oublié ?), en voilà un autre. Time To Die, un titre qui fiche le frisson, avant même d’écouter… Celui-là est encore différent, et pourtant reconnaissable à cette griffe inimitable de l’artiste et qui la caractérise, cinématique et inclassable. Ambient ? Peut-être, oui, assurément, mais ce terme est devenu si vaste, et il recouvre tant de courants de surface ou plus souterrains, acoustiques ou très électriques, qu’il ne veut plus dire grand-chose et sonne souvent creux et un peu vide, comme un genre ou une étiquette utilisés par défaut.
Christine Ott donne une suite à son album Only Silence Remains. Plutôt que de copier-coller un style qu’elle maîtrise bien, cet album solo (avec néanmoins un invité, Matthieu Gabry aux claviers, son compagnon d’aventure sur son projet Snowdrops) offre une continuité tout en douceur, sans brillance ni violence, au climat plus intimiste et, disons-le, plus sombre. Le thème de la mort en est une source d’inspiration explicite avec un titre tel que Time to Die. D’emblée, la piste éponyme nous plonge dans un drone bruitiste proche de la noise. Ce cluster de synthétiseur (brutal, mais non viral !) sur un texte déclamé en spoken voice par la voix caverneuse de Casey Brown, pourrait annoncer une tonalité bruitiste pour cet album… mais non. C’est un piano acoustique et réverbéré qui prend le relais dans une atmosphère aussi brumeuse que son titre, élégiaque et romantique, en opposition radicale avec le déluge électronique introductif. Ce piano solitaire et intimiste, on le retrouvera dans « Horizons Fauves », puis sur l’étrange « Landscape », duo de voix entrelacées en re-recording sur un lit de piano, une mélopée brève mais lancinante, tel un Lied de Schubert. Et l’on n’est pas au bout de nos surprises sur ce plan (celui du tout acoustique), car c’est à la harpe solo que Christine Ott nous attend sur « Chasing Harp ». Enfin (pourquoi « enfin » ? Parce qu’on l’attend là aussi, Christine Ott !), survient « Comma Opening », une pièce plus complexe et dominée par les claviers (dont les ondes Martenot qu’attend sans doute tout fan de l’artiste), qui rappelle les compositions de Snowdrops sur Volutes, moins minimalistes et très progressives, cinématiques et presque symphoniques. Mais « Miroirs » retrouve le minimalisme avec un piano solo éthéré et réverbéré, suivi, en coda, d’une réminiscence du duo de voix clonées de « Landscape », pour un sublime et poignant duo piano et ondes Martenot entrelacées.
Si on excepte quelques effets percussifs toujours soft (tubular bells, vibraphone, percussions diverses assez légères et dispersées, jamais installées ni envahissantes) cet album s’avère donc plus doux que les précédents. Il est aussi plus recueilli, et quasiment arythmique : les séquenceurs et la batterie acoustique en sont absents, offrant un certain dépouillement en accord avec la noirceur inquiétante de son titre et de son ouverture.
Venant cinq ans après Only Silence Remains, Time To Die en est une sorte de coda ou de conclusion, de fin de cycle : « le temps est venu d’en finir », pourrait-on entendre ici ? Plus sombre ou pessimiste (en musique ça n’est pas une critique, simplement une ambiance), en tout cas bien dans l’air du temps, avec ce virus soi-disant millésimé 19 mais qui nous colle aux basques et n’engendre guère l’euphorie. Time To Die appelle avant tout à l’introspection, à la réflexion, voire au recueillement ? Cela dit, on notera que les sons et les pistes de Time To Die ont été enregistrés bien avant cette fichue pandémie : entre 2012 et 2019, précise le livret. Le choix de sortir cet album maintenant, et avec ce titre, en pleine prolongation de pandémie mondiale, porte a priori un message. Cette fois, Christine Ott nous accroche et nous retient par un climat, par la sensibilité de ses quasi-improvisations acoustiques et atmosphériques, plutôt que par la brillance symphonique et la magie de sonorités rares ou exotiques. On y regrettera peut-être la relative discrétion des ondes Martenot, qui ont été la signature sonore principale de l’artiste, celle par laquelle elle s’est fait reconnaître. Mais voilà, cet album-là est différent, Time To Die est grave et recueilli et, on l’a dit, plus poignant que brillant. C’est pour ça aussi qu’on les aime, les artistes dont on « suit les pistes » : pour qu’ils nous surprennent, qu’ils prennent des risques et des virages et collent parfois à la dure réalité du monde, plutôt que de vouloir nous en détourner à toute force.
Alors, ce Time To Die serait-il la bande-son de nos jours sombres ? Cette quasi-injonction un brin paradoxale et ambiguë, en résonance directe avec la formule memento mori, serait-elle prophétique, annonceuse d’apocalypse et de résignation ? Pas forcément, et chacun y entendra ou y retiendra ce qui résonne avec son état d’esprit du moment.
Le premier morceau reprend en spoken voice le célèbre monologue de Roy dans Blade Runner!
Il se conclut (après « all will be lost, like tears in rain »), par le « time to die »!