Chevalien – Sunderground
Nuun Records
2016
Frédéric Gerchambeau
Chevalien – Sunderground
Chevalien, déjà le nom intrigue. Il imbrique cheval et alien. Ce qui ne manque pas d’intriguer encore plus. Mais c’est assumé. Comme est assumée l’étrangeté de ses compositions, qui sont souvent très belles. Autant dire que Chevalien, jeune tourangeau de 26 ans, qui s’inspire tout à la fois du hip-hop de Kendrick Lamar que de l’électro de Gesaffelstein, ou encore de Lorn, de Slipknot et de Manson, est un artiste complexe, ce qui le rend d’autant plus intéressant. Il faut dire que ses productions ont souvent des allures d’hymnes occultes, de chants étranges dédiés à des rites païens oubliés. On évoque aussi des rythmes chtoniens venus des abîmes d’un autre monde, un rap déviant qui sombre dans des ambiances d’apocalypse ou encore des mantras para-religieux portés par une musique aussi tranchante qu’un scalpel. Troublant, fascinant, hypnotisant même parfois. Accompagné par plusieurs clips et un documentaire tournés aux États-Unis, au Canada et en France, ce musicien communique avec une grande intelligence, utilisant à merveille aussi son image, ses concepts que les outils modernes de diffusion.
Clairement, le tacticien émérite qu’est Chevalien, n’est pas un rappeur ordinaire. D’ailleurs, son premier EP intitulé Allrats, sorti en 2014, avait beaucoup impressionné par la maîtrise du mélange de ses influences de rap, de metal et d’électronique. Chevalien dit lui-même de sa musique qu’elle est hybride, épique, ethnique, tellurique et tentaculaire, entre électro sombre et hip-hop ténébreux. On peut ne pas adhérer complètement à son esthétique sombre, morbide et souvent viscérale, mais on peut sûrement se laisser séduire par sa musique habitée et crépusculaire, associant d’une façon aussi animale que chimique le processus un tantinet torturé de la composition et l’assimilation méthodique et travaillée des influences. Chevalien décrit son style fait de contraste et de collisions comme de la Bath Music, sans qu’une définition un tant soit peu précise soit donnée. Il nous dit cependant que s’il chante en anglais son rap sans temporalité ni territorialité, c’est justement pour s’affranchir des contraintes du temps et de l’espace. Du rap universel, en quelque sorte.
Avec Sunderground, le hip-hop épique et obscur de Chevalien évolue encore, devenant plus électronique, plus expérimental mais aussi, paradoxalement diront certains, plus abouti. Ce musicien, aux clips bourrés de références historiques et inspirés du paganisme, ne se cherche plus. Il surfe avec élégance et détermination sur son avant-gardisme mystique, il scelle son style aux multiples facettes. De fait, écouter Sunderground, c’est comme entreprendre un voyage, tantôt syncopé, tantôt planant, à travers des atmosphères sonores en dehors des zones usuelles du rap. Par moments, ce rap/non-rap au beat électronique mais déterré du fond des âges prend des allures cinématographiques, avec des synopsis rageurs et audacieux, décalés et peaufinés. Du grand art, aux accents aussi modernistes que tribaux. Cependant, Sunderground possède un scénario général qui part de morceaux plutôt lourds et rythmés et se termine pas des titres sans paroles nettement plus aériens. Partir du terrestre pesant pour aboutir à la stratosphère agravitationnelle. Et ensuite, quoi ? Le ciel, les étoiles, les galaxies ? Peut-être le prochain territoire d’inspiration de Chevalien, qui sait ?