Chaos And The Cosmos – Our Song
Langer/Allday
2023
Thierry Folcher
Chaos And The Cosmos – Our Song
Un peu de fraîcheur, ça fait du bien. De la nouveauté aussi et qui plus est, de la bonne, de celle qu’on n’attend pas et qui vous prend au dépourvu sans crier gare. Chaos And The Cosmos, mais c’est quoi ce truc ? Pour vous orienter musicalement, je dirais que c’est un Electric Light Orchestra qui ne fait pas dans la démesure ou un Arcade Fire sans surenchère. Mais la meilleure indication vient peut-être de John Allday, cofondateur du groupe et actuel claviériste de Moon Letters, vous savez, cette formation de Seattle qui vient de rallier tous les suffrages avec son Thank You From The Future de grande classe et récemment chroniqué ici même. On est donc entre amis et bien disposés à prolonger la fête avec ce « side project » assez différent de la maison mère, mais tout aussi attrayant. Chaos And The Cosmos est un ensemble musical que l’on pourrait qualifier d’art rock, de dream pop, de space rock ou d’électronica, même s’il n’est la conséquence que d’un patchwork d’explorations musicales qui vont du rock sudiste au trip hop en passant par le prog. À tout cela il faut ajouter une belle dose d’humour et de second degré qui font plaisir à voir et à entendre. Vous l’aurez compris, ça brasse large dans les intentions. Chaos And The Cosmos c’est John Allday aux claviers, Paul Langer au chant et à la guitare plus une redoutable section de cordes composée de Rachel Nesvig au violon, Aleida Gehrels à l’alto et Phil Hirschi au violoncelle. Ce dernier faisant même partie de la deuxième mouture du Mahavishnu Orchestra, rien que ça. Et croyez-moi, cette mixture un peu folle fonctionne à plein régime. Pour vous en convaincre, je vous invite à visionner leurs clips aussi déjantés que bien foutus. Notamment sur deux d’entre eux où Paul Langer s’est transformé en clone de Jeff Lynne habillé en vieux Star Trek, ce qui me fait penser que la filiation avec ELO est peut-être bien voulue. Les images nous transportent dans un cosmos un peu kitch avec des effets désuets, une avalanche de couleurs et un regard déjanté sur l’espace proche de Mars Attacks ! Ou de la planète Gong.
Et tout ça pour produire une musique qui se laisse déguster sans heurts ni froncement de sourcil. C’est fluide, travaillé et toujours innovant. Leur tout premier album s’appelle Our Song et se partage en deux parties distinctes. Une première face (de vinyle) composée de trois titres pop psyché absolument délicieux et une deuxième regroupée sous l’appellation Our Song Suite divisée en quatre pistes séparées. Le disque démarre avec « The Singularity », une ravissante première chanson où les quelques accords à la « My Sweet Lord » suffisent à mettre notre battement de semelle en action. C’est facile, je sais, mais toujours aussi efficace. L’ambiance est très rétro dans un environnement spatial fait de bidouillages et de voix off d’un autre âge, mais qu’importe, le sourire apparaît instantanément sur nos visages redevenus adolescents. John Allday nous gratifie d’un enrobage mélodique très riche et de quelques « bruits » plus ou moins parasites, assez semblables à nos alertes téléphoniques habituelles. Je me suis même surpris en train de tout lâcher pour regarder ce foutu portable… Tout à coup, je me dis : « mais ils ne nous referaient pas le coup des Buggles avec leur The Age Of Plastic de 1980 ? ». Musicalement, ce n’est pas tout à fait pareil, mais dans l’enrobage et dans le délire, ça y ressemble beaucoup. Un petit mot sur le chant de Paul Langer qui rappelle par moments Wayne Coyne (The Flaming Lips), Neil Hannon (The Divine Comedy) et pourquoi pas Win Butler (Arcade Fire). Que des chanteurs de groupes allumés aux intentions plus ou moins festives et qui vont bien dans l’univers pétillant de Chaos And The Cosmos. Un premier morceau donc qui a le mérite de mettre l’auditeur en appétit et surtout, très impatient de connaître la suite.
La suite se nomme « u Go-Go » et poursuit le voyage vers les étoiles dans le même état d’esprit et de fort belle manière. Regardez la vidéo ci-dessous, tout le monde a l’air de bien s’amuser, les claviers sont cosmiques et les coups d’archer très ELO (décidément). Cette association avec une vraie section de cordes est une franche réussite. Cela amène une profondeur musicale très classique qui contrebalance à merveille une fantaisie pop pleine de surprises à l’instar des aboiements de la fin. Tout semble permis, c’est certain, mais sans mettre en péril un ensemble qui reste solide et bien structuré. La première face s’achève avec « Heart Flies » une chanson écrite il y a quatre ans et que les auteurs définissent comme : « une chanson qui pleure dans votre bière romulienne » (autre allusion à Star Trek). La partition est effectivement plus mélancolique avec une longue introduction très spatiale où les claviers de John Allday tissent une envoûtante toile stellaire. Pour sa part, Paul Langer semble pencher pour un registre plus en retrait, adoptant même la nonchalance caractéristique du chant de Brian Eno. Superbe morceau qui clôt ce premier acte en beauté et avec le sentiment du travail accompli. Surtout que la suite sera plus expérimentale et du coup, moins accessible. Apanage des disques vinyles qui proposaient parfois deux faces différentes avec deux expériences et deux choix distincts pour l’auditeur. C’est ce qu’il se passe ici, certains préféreront l’assurance tranquille de chansons bien calibrées et d’autres, des schémas plus aventureux et peut-être moins confortables. Moi, je prends les deux sans problème, car c’est l’assurance de ne pas s’ennuyer. Our Song Suite se décline donc en quatre morceaux avec tout d’abord « Prologue » qui s’installe sans peine dans l’imagerie cosmique un peu datée présente depuis le début. Le piano sert de fragile fil conducteur pour un instrumental qui porte bien son nom. Ensuite, « Our Song » verra se manifester le côté progressif du groupe avec tout ce que cela comporte comme fausses pistes, changements de rythme, séquences à tiroirs et fin en apothéose. De la belle ouvrage, comme on se plaisait à le dire à la cour du Roi-Soleil.
En fait, toute la face Our Song Suite peut être vue comme un seul et même morceau progressif construit avec les habituelles alternances et transitions. « Floating In The Atmosphere » par exemple, joue le rôle de tremplin aérien servant à lancer le gros pavé de « House Of Love » et son flagrant parti pris cinématographique. Là aussi, tout se chevauche et s’imbrique dans un tourbillon de notes qui vont flirter dans un premier temps du côté d’Ennio Morricone (John Allday y va même de son solo de trompette) avant une deuxième partie plus orientée jam à rallonge, et ce, jusqu’au solennel retour des éléments du début. J’aurais tendance à dire que ce sont là des choses qu’on a déjà entendues mais qui se font de plus en plus rares. Prendre le risque de vouloir sonner ancien et se raccrocher à une imagerie quasi loufoque est ma foi fort louable et donne à ses auteurs une largesse d’esprit inattaquable. L’album s’achève donc par cette étonnante virée au pays des cow-boys cosmiques, comme si c’était dans l’air du temps et attendu par la foule. Pour ma part, je dois vous avouer que c’est ce genre d’œuvre, complètement décalée, qui m’incite à croire aujourd’hui en la création artistique.
Malheureusement, il faut rester lucide et les pieds sur terre. Our Song de Chaos And The Cosmos risque de passer inaperçu et ne pas trop intéresser un univers médiatique beaucoup trop frileux. Raison de plus pour se fidéliser à Clair & Obscur et à ses étranges découvertes qui n’ont pas peur de vous envoyer vers des mondes où se côtoient Star Trek, Morricone, Moon Letters et toutes sortes de dingueries bien maîtrisées. La belle formation de Seattle est certainement un peu barrée, mais elle a réussi à rendre tout ce fourbi, crédible et passionnant. Bravo à elle et merci pour ce voyage sans tabou dans l’espace et dans le temps.
https://chaosandthecosmos.bandcamp.com/album/our-song
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