Caravan – It’s None Of Your Business
Madfish
2021
Thiery Folcher
Caravan – It’s None Of Your Business
L’école de Canterbury, ça doit bien vous dire quelque chose, non ? Surtout si vous avez trempé dans le rock psychédélique et progressif des années 70. A moins qu’à l’instar de monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, vous écoutiez des artistes canterburiens sans en être conscient. Si je vous dis Soft Machine, Robert Wyatt, Gong, Steve Hillage ou Kevin Ayers, cela vous parle certainement. Eh bien, tout ce joli monde et beaucoup d’autres encore appartiennent à ce courant musical né dans les années soixante sur le campus universitaire de la ville de Canterbury, dans le sud-est de l’Angleterre. Un mouvement d’une puissance telle qu’il va se distinguer sur de nombreux fronts alliant les délires psychédéliques aux improvisations jazz tout en s’incrustant dans le rock progressif naissant. La recette est assez innovante car elle va faire sauter le carcan des chansons pop de l’époque, formatées et guère aventureuses. Les morceaux s’allongent et mettent au service d’une rythmique rock, de longues interventions à la guitare, à la flûte et surtout à l’orgue. En 1968, Caravan amené par Pye Hastings et les frères Sinclair va vite se distinguer comme groupe le plus représentatif et le plus fidèle aux concepts de cette école. Une ligne directrice indélébile qui subsiste encore aujourd’hui avec la sortie de leur quinzième album, le curieusement nommé It’s None Of Your Business (ce n’est pas votre affaire). C’est assez rare pour être signalé, mais l’enregistrement s’est déroulé « in the old-fashioned way » (à l’ancienne) lorsqu’une fenêtre de déconfinement s’est ouverte entre juin et juillet 2021. Pye Hastings, toujours fidèle au poste, s’est vraiment réjoui de pouvoir réunir ses comparses et de travailler de façon beaucoup plus humaine que par téléphone ou par mail.
Maintenant, y a-t-il un intérêt quelconque à écouter ce style de musique plus d’un demi-siècle après sa création ? Ce que je peux dire, c’est que les héritiers existent. Qu’ils s’appellent King Gizzard & The Lizard Wizard ou encore mieux Magic Bus, la relève est assurée et pas seulement dans la musique. C’est toute la philosophie de l’époque qui renaît à travers cette nouvelle génération avide de créer et de se comporter librement et sans compromis. Mais revenons à Caravan qui malgré la marque des années ne fera pas pitié, loin de là. Alors bien sûr, Pye Hastings a perdu sa voix de jeunesse, mais c’est un détail qui a l’avantage de démarquer la musique d’aujourd’hui avec celle du passé. Il ne faut surtout pas faire de comparaison entre It’s None Of Your Business et le monumental In The Land Of Grey And Pink (1971), cela n’aurait pas de sens et ne rendrait pas hommage au travail de l’équipe actuelle. Une formation déjà en place sur l’honorable Paradise Filter sorti en 2013 et à laquelle il faut ajouter le mercenaire Lee Pomeroy à la basse. Cela commence par « Down From London », une chanson joyeuse traitée en forme de lever de rideau où le violon de Geoffrey Richardson et la guitare de Pye Hastings seront les maîtres des lieux. Une belle entrée en matière qui donne des frissons à tous les aficionados du groupe et tous les nostalgiques d’un passé lointain, pleins d’espoirs sur le futur de l’humanité. On a bien déchanté depuis. C’est incroyable comment la musique peut être le meilleur indicateur d’une époque et coller à l’Histoire comme un témoin privilégié. Je ne veux pas dire, mais ce n’est pas la franche rigolade en ce moment et les créations musicales s’en ressentent.
Le thème de certaines chansons de It’s None Of Your Business n’échappent pas à l’actualité mais bizarrement, la musique n’en souffre pas et garde une chaleur rassurante qui contraste avec la pesanteur des propos (« Spare A Thought »). Côté musique, alors là c’est un régal même si je me rends compte que je ne serai jamais objectif avec un groupe comme Caravan qui m’accompagne depuis de longues années et ne m’a jamais déçu. Le parfum de cette musique est indescriptible et terriblement évocateur. Je sais bien qu’il ne faut pas vivre dans le passé mais on possède tous en nous des sons, des images et mêmes des senteurs que l’on chérit au plus profond de notre âme. C’est bien simple, mais la tonalité des claviers de Jan Schelhaas sur l’excellent « I’ll Reach Out For You » fait sauter la gangue environnante et me projette illico au pays gris et rose du début des années 70. Si vous voulez comprendre, écoutez les vingt minutes de « Nine Feet Underground » (1971), cela vaut tous les discours. Sur It’s None Of Your Business les bons moments ne manquent pas, à commencer par le morceau titre, certainement le plus progressif du disque avec ses changements de direction multiples, son aspect cinématographique et sa débauche d’envolées instrumentales. Du grand art d’une extrême précision et fichtrement efficace. J’aime bien aussi la mélodie entraînante et les coups d’archet incisifs de « Ready Or Not », la flûte du frangin Jimmy Hastings sur la fin de « I’ll Reach Out For You », le balancement sensuel de « There Is You » et le violon majestueux de l’instrumental « Luna’s Tuna ».
Caravan est de retour et les fans applaudissent. Leur nouvel album est un beau condensé de chansons dynamiques prolongeant un style de musique né il y a fort longtemps sur un campus universitaire où la jeunesse de l’époque s’abreuvait de rock, de jazz et de délires en tous genres. Je ne sais pas pour vous, mais It’s None Of Your Business me donne le sourire et me fait plisser les yeux. Et si je m’écoutais, j’aurais presque envie de les fermer carrément et de m’envoler vers des contrées stratosphériques où il devient de plus en plus difficile de revenir.
https://officialcaravan.co.uk/
On sent que la »Madeleine de Proust » a encore fait des ravages. Ceci dit, et même si je ne suis pas un fan de la première heure, je te rejoins dans ton analyse. Cet album est vraiment bon et agréable à écouter, un parfait équilibre entre technique et émotions.
Tu as raison, certaines musiques sont bien installées dans mes gènes. J’aime beaucoup cet album même après pas mal d’écoutes. Les trois derniers titres sont superbes.
On est plus proche de la sonorité Dire Straits (en moins bien) que de celle de Caravan des années 70. En ce qui me concerne, je vais rester sur « In the Land… » !
Caravan est également bien dans mes gènes depuis le début.
Je ne m’en lasse pas.
Fan de la scène Canterbury.
Eu l’occasion de les voir il y a 20 ans un régal.
Bien sûr ce n’est pas le Caravan des quatre premiers albums…ou de leur formation parallèle « Hatfield and the North »..de la formation originelle il n’y a plus que Hastings
C’est un bon album avec de bonnes compositions et un excellent enregistrement. Cependant ils ne prennent aucun risque et Sinclair manque bcp…..bref pourrait mieux faire ….tout cela ne me rajeunit guère !!!!!
4 étoiles qd même
Il ne s’agit pas des « frères » Sinclair mais des « cousins » Sinclair !
Alors là ! Je mérite de me faire taper sur les doigts. Et dire que j’ai toujours cru qu’ils étaient frangins. Mea Culpa et merci de remettre les choses en bon ordre.