Bon Iver – i,i
Jagjaguwar
2019
Fred Natuzzi
Bon Iver – i,i
Trois ans après le virage musical de 22, A Million, Bon Iver aka Justin Vernon revient avec un quatrième opus, i,i. Un titre assez mystérieux pour un album censé clôturer un cycle de saisons. For Emma, Long Ago symbolisait l’hiver, Bon Iver le printemps, 22, A Million l’été (ah bon ?) et ce i,i l’automne. Autant les deux premiers ont donné un renouveau à la folk atmosphérique, autant les deux derniers servent une saveur électronique. Bien entendu, cela serait trop réducteur, l’univers de Vernon étant assez travaillé et chiadé pour ne se limiter qu’à cela. Mais comme sur le précédent, on retrouvera vocoder, superposition de voix et déstructuration. Par contre, le tout est plus chaleureux et parfois organique. Le retour de la guitare est apprécié et on se plaît à retrouver les anciennes sensations qu’avaient provoqué les débuts du groupe. Alors, est-ce la fin après ce cycle ou Vernon reviendra-t-il avec autre chose pour Bon Iver ? Lui seul le sait (ou pas !).
Un sentiment mi-figue mi-raisin se dégage de l’écoute de i,i. Déjà, certains morceaux sont enrobés d’un titre mystérieux, qu’on ne comprend qu’à peine. Quelques-uns sont bien développés, d’autres trop courts, d’autres encore semblent embryonnaires. Mais ils forment un tout, comme pour l’album précédent. Le voyage pour aller au bout est normalement ce qui a de plus passionnant, même si la fin est décevante. « Happiness Is The Road » comme le chanterait Steve Hogarth. Comme pour la série « Lost », quoi ! Mais là, arrivé au bout des morceaux, on se demande « pourquoi ? ». Comme pour la série « Lost » aussi oui… Alors on retient des bribes, des fragments, des moments carrément géniaux, mais peu de chansons entières sauf « Hey, Ma », « Faith » ou « Naeem ». Pourtant, avec « iMi », on avait quelques espoirs mais le côté foutraque de l’ensemble ne permettait pas une complète harmonie ou adhésion. On en ressort aussi quelques émotions poignantes comme seule la voix de Justin Vernon peut en créer. « Marion » et sa simplicité folk en est le parfait témoignage. Évidemment, l’ensemble est très créatif, demandeur, mais quelque chose d’insaisissable s’en échappe. Comme si le puzzle musical devait inspirer l’auditeur plutôt que de montrer que son créateur a été inspiré. Alors on écoute, on réécoute, on apprécie mieux certains passages, on raccroche certains wagons mais il y a toujours quelque chose qui nous échappe. Le sens de tout cela ? Peut-être.
Bon Iver propose une nouvelle fois un patchwork d’émotions musicales où l’on se plonge et se perd. On erre dans des paysages folk ou électroniques, urbains ou classiques, sans vraiment savoir où on va, ni pourquoi on y va. Mais on y va quand même, poussé par la voix fascinante de Vernon et curieux de savoir jusqu’où on ira. Sauf qu’à la fin, on ne sait pas trop où on est arrivé. Soit on refait le voyage, soit on reste sur le quai. A ce petit jeu-là, il faut espérer que Vernon soit gagnant, en souhaitant que le prochain cycle soit un peu plus structuré et construit solidement car l’errance proposée ici, même si elle est plus convaincante que sur l’opus précédent, s’avère parfois lassante ou indigeste, malgré d’énormes moments musicaux, malheureusement fugaces.