Bohren & Der Club Of Gore – Piano Nights

Piano Nights
Bohren & Der Club Of Gore
2014
Pias/Ipepac Recordings

Bohren & Der Club Of Gore – Piano Nights

Ecouter du Bohren & Der Club Of Gore, c’est revenir dans le même bar, cet endroit familier au coin d’une ruelle. C’est renifler les mêmes senteurs, rencontrer les même gens, commander le même verre. Ce n’est pas tous les jours, pas vraiment une habitude, mais c’est marrant : on n’en n’oublie jamais le chemin, ni les effluves de tabac froid, le touché du sofa gentiment désuet, l’arrière-goût au fond de la gorge, cette ambiance feutrée, du minimalisme de la déco et à cette lumière tamisée à l’extrême. C’est toujours la même rengaine, on parle de style, on ne cherche pas à choquer la clientèle une fois qu’on l’a trouvée. On parle doucement et même, de préférence, on ne dit rien pour laisser la place au silence. C’est la règle du club. On se laisse appesantir au son d’une basse qui couche après sous-couche nous plonge davantage au fond du verre et du vide existentiel. Le chemin, on le connait, on l’a susurré aux voisins et aux amis de passage. Il faut emprunter la ruelle et traverser le porche. Et puis, les années passent, la déco reste la même, ça prend un peu la poussière, les couleurs sont passées. On fait dans l’économie de moyens dans cette taule. Résultat des courses : la lumière est toujours au plus bas et la carte ne change jamais. Pas une seule fois : ils sont tellement contents du menu qu’ils n’y ajoutent même pas d’assaisonnement. Et donc, Bohren revient tel qu’il est parti.

Le club rouvre ses portes. On ne perd pas grand-chose. On a droit aux mêmes voilages, aux mêmes lampes, fumées, alcool et verres de bourbon. L’ambiance, inchangée. Du feutre, du suave, de l’obscurité et les souvenirs qui accompagnent le tout. Un standing. Ça ne fait pas un peu déjà vu ? Oui, et c’est pour ça qu’on aime, qu’on y revient, malgré la redondance dans le menu. Ils pourraient, au moins, rajouter un glaçon dans le verre, une rondelle de citron, ou toute autre chose au moins. Parce que là, on nage vraiment en plein immobilisme. Ils se sentent même obligés de faire une pub sur le piano et sa réinterprétation. M’enfin quoi, le taulier ne change pas ses habitudes. Il n’est pas con non plus. Il a sa clientèle, ses réguliers, ses curieux. Et il s’en fout si certains ne connaissent pas les premiers menus : de toute façon, ce sont les mêmes. Alors, oui, il pourra rétorquer qu’il a mis plus de persil et moins de champignons dans le plat bavarois, moins de saxo et de plus de xylophone dans la partition. Il peut le dire. Les clients peuvent bien excuser cet écart en ne changeant pas une recette qui marche. Et pour cause, ça plait, c’est unique. Ah, on sera toujours écrasés, endoloris, bercés par les volutes jazzy de nécrophages.

On redemandera bien un verre, allez, si on parvient à capter l’attention du serveur. À croire qu’il est aussi lent que la musique, celui-là. En fait, on est contrariés. D’un côté, c’est toujours aussi bon de se retrouver là, tranquilles, avec l’impression de regarder Twin Peaks au ralenti. Il n’y a plus de surprise, mais quand même, merde ! Ce n’est pas parce que je te mets une pochette bien partie pour devenir la plus glauque de l’année (non mais regardez la !) que je prends ça comme une justification. Je sais comment ça commence et comment ça se termine et, finalement, je ressortirai du bar en faisant une moue boudeuse. Bien, c’est qu’avec le temps on n’est plus surpris par grand-chose. Je penserai même à changer de crémerie, tiens, devant tant de fainéantise malgré ce doux parfum mortifère…  Soupirs…

Au final, Bohren & Der Club Of Gore, c’est un rendez-vous, pris dans cette même ruelle, ce même bar : une habitude, en sorte. Bien, ce n’est pas peu dire, mais c’est chiant d’assister au même numéro, même si celui-ci est potable. La même musique, le même contexte, ça a tendance à emmerder. Je pense qu’ils vont perdre une étoile au guide Michelin… Pour dire, c’est la première fois que je déclare forfait, parce qu’on se fait un peu chier, pour revenir sur « Sunset Mission » ou « Black Earth ». Et vous croyez qu’il y a une différence ? Que dalle. Et c’est ça le pire.

Jérémy Urbain (5/10) 

http://www.bohrenundderclubofgore.de/

 

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