Blanck Mass – In Ferneaux
Sacred Bones Records
2021
Jéré Mignon
Blanck Mass – In Ferneaux
Que faîtes-vous dans un instant d’isolement qui s’étire, inlassablement ?
Blanck Mass s’est sûrement posé la question durant la période qu’on a vécu, en train de vivre ou qu’on se prépare (peut-être) à voir se consumer. Ne nous voilons pas la face… La crise pandémique de « vous savez quoi » qui régit le monde en ce moment a forcément un impact sur notre comportement, l’appréhension de notre environnement aussi bien économique, social que géographique. Comment on touche les choses à distance ? Comment les épingler ? Notre ressenti devient-il plus un souvenir qu’on cherche à réactualiser ? C’est quoi au final ? Blanck Mass est dans l’expectative… Où ? Il n’en sait rien. Comment ? Encore moins… Toutefois, comme bon nombre de ses comparses, le musicien écossais a été « inspiré » par ce marasme sanitaire synonyme de repli sur soi de fausses interactions. Maintenant, la question est de savoir comment on peut encore être à l’écoute d’un monde dont on ignore des repères de plus en plus flous ? Comment en dresser un portrait ? Comment alors que tout semble à distance désormais même si c’est à portée de main du « streaming ». Musique, Cinéma, Art…
Pour cela, John Power dans cette recherche sur la douleur, son utilité et son identité, a puisé dans des field recordings que l’écossais à collecté pendant plus de dix ans durant ses voyages. À chaque fragment, c’est une histoire qu’on a oublié, à chaque pièce de puzzle qu’on assemble, une nouvelle narration qui s’ouvre, un morceau qui se télescope à un autre, se mélangeant devenant par accumulation une fresque, un reliquat de réminiscences. In Ferneaux ne sera pas simple d’écoute, les deux phases qui le composent amènent forcément à une attention, une capacité d’écoute qu’on a tendance à oublier… Rentrer dans ce labyrinthe qu’est In Ferneaux c’est se confronter à ses relents très années 80 au milieu de drones abrasifs étirés (pas loin d’un Mika Vainio ou d’un Franck Vigroux) et de ses enregistrements/mémoires placés ça et là dans un faux désordre. Bruits de foules, sermon d’un prédicateur, silence bruyant et montée en puissance techno fulgurantes sur la première phase, sentiments et ressentis en dents de scie et une expérience d’écoute sans arrêt renouvelée à ceux qui voudront bien s’y prêter.
Parce que In Ferneaux, c’est un voyage… Pas aussi simple que les précédents efforts de John Power, ayant gagné en galons ainsi qu’en puissance notamment avec Dumb Flesh (2015) et World Eater (2017) où ce dernier perçait les frontières d’une techno abrasive, tour à tour percutante, acérée, grésillante et plus en phase, parfois, avec des sonorités drone purement ambient et claustrophobes. Ce dernier opus est un témoignage. Ce qui a été vécu, ce qui se vit hypothétiquement et qui se vivra tout aussi de manière hypothétique dorénavant. Un cri du cœur, celui qui vient du passé pour résonner avec celui du présent. L’écossais se montre d’autant plus démonstratif qu’il révèle une faille d’humilité, notamment avec ses instants de suspensions industriels comme ces débordements flirtant avec la noise-music. Malgré son caractère casse-gueule c’est ce côté humble qui ressort de In Ferneaux. Jamais le musicien donne des pistes mais plutôt il préfère jouer des nœuds, cul-de-sacs et embranchements distordus pour laisser à l’auditeur le choix du chemin à traverser.
J’avais bien dit que In Ferneaux n’était pas à la portée de tout le monde. C’est vrai… Moins calibré, plus introspectif, laissant plus durer certaines « phases » pour mieux perdre son auditeur tout en en laissant plus de liberté de ressenti, John Power se permet plus de choses, plus de détours (ou raccourcis ?) pour ne laisser qu’une plainte mélodique de piano terminer une œuvre monolithique. Comme finir sur un point d’interrogation…
https://blanckmass.bandcamp.com/album/in-ferneaux