Avec GRANDVAL, la vie se rêve « à ciel ouvert… » !
Autoproduction
2016
Avec GRANDVAL, la vie se rêve « à ciel ouvert… » !
L’histoire est peu banale, car c’est à l’un de nos propres chroniqueurs que nous avons posé quelques questions pour cette interview qui en dit long. Il s’agit d’Henri Vaugrand, musicien passionné qui porte à bout de bras son projet GRANDVAL. Nous devrions plutôt dire son « bébé », puisque l’ami Henri et ses comparses invités à venir participer à l’aventure ont accouché d’un album de rock évolutif vraiment singulier, aussi classieux que soyeux, et affublé d’un nom évocateur : « A Ciel Ouvert… ». Alors, à défaut d’ouvrir le ciel, une entreprise qui ne lui fait même pas peur, habitué qu’il est à déplacer les montagnes, nous avons demandé à Henri d’ouvrir son cœur pour les colonnes de Clair & Obscur. Dans la foulée, nous vous invitons à découvrir notre chronique de l’album, mais pour le moment, la parole est à Henri Vaugrand…
C&O : Henri, nous n’allons pas te faire injure en te demandant de nous retracer l’ensemble de ton parcours musical (le lecteur le retrouvera dans la rubrique « Qui sommes-nous ? » du site). En revanche, peux-tu faire un petit retour en arrière et nous confier la genèse du projet Grandval ?
HV : Il n’y aurait aucune injure à retracer mon parcours dans ce qu’il peut avoir de plus banal, comme bon nombre de musiciens… J’ai commencé la basse à 14 ans dans un groupe de copains qui n’avait plus de bassiste. Ensuite j’ai eu une période musicale plus importante quand je vivais à Clermont-Ferrand, avec plusieurs groupes dans lesquels j’étais soit chanteur soit bassiste-chanteur, entre AOR, hard-rock et rock progressif. Le projet Grandval a mis un bon bout de temps à mûrir ! En fait, il y a dans A Ciel Ouvert… des titres qui se sont arrêtés à la porte du studio il y a une vingtaine d’années. J’ai quasiment arrêté la musique au début des années 2000 en partant vivre en Dordogne. Il y a 5 ou 6 ans, j’ai recommencé à travailler là-bas sur un projet avec un musicien qui cherchait un chanteur, plutôt dans un style AOR en anglais. Le projet a capoté alors qu’il y avait de quoi entrer en studio avec de très bonnes compos. Cela m’a remis le pied à l’étrier. J’ai racheté du matériel et un logiciel de home-studio et j’ai commencé à bosser doucement sur les premiers titres de cet album, en anglais au début, et dans des versions plus sombres. J’ai pris pas mal de temps pour composer, réfléchir, ressortir des titres oubliés qui me semblaient faire corps avec les nouveaux, jusqu’à trouver la bonne formule. De l’anglais sous le nom provisoire de Up That Great Vale, le choix s’est porté sur le français, à la fois parce que les anciennes maquettes étaient en français, mais aussi parce que je suis attaché aux textes et que cela collait mieux au projet qui se dessinait : Au delà De Ce Grand Val (comme le titre du dernier morceau de l’album), qui s’est raccourci en Grandval. Je me suis retrouvé avec 10 titres en démo, dont une reprise et une adaptation française qui ne sont pas sur l’album. J’ai cherché des musiciens et surtout un batteur, démarché des studios proches de chez moi. Et puis, la vie et l’amour m’ont fait revenir en Auvergne, là où j’avais fait le plus de musique dans ma vie. Les choses se sont alors accélérées d’un coup…
C&O : Dans la foulée, peux-tu nous nous décrire un peu le « parcours du combattant » qui t’a conduit à donner naissance à ce « A Ciel Ouvert… » ? En particulier, quels enseignements retires-tu d’être passé par le site de Crowfunding « Ulule » ?
HV : C’est vrai que se lancer dans l’aventure d’un premier album, ce n’est pas évident, surtout quand tu fais tout seul à la base. Mais bon, j’avais les démos, avec leurs qualités et leurs défauts, j’avais une idée et des accords de principe pour les musiciens qui pouvaient y participer… Elodie, ma compagne, m’a énormément aidé à me convaincre de la nécessité quasi vitale pour moi de me jeter corps et âme dans le projet Grandval. Une fois le studio trouvé – studio « La Vallée » à Chambezon, en Haute-Loire (ça ne s’invente pas un truc pareil, ça a aussi la force d’une évidence !) – avec en plus le batteur idoine pour apporter les couleurs que je recherchais, le montage financier montrait la nécessité d’un financement participatif (sachant que toute la partie studio était autofinancée).
Quand tu viens de nulle part, ce n’est pas évident de faire adhérer des gens. Sans doute le fait que l’on me connaisse un peu, notamment dans le monde du progressif, par mes chroniques dans des webzines dont l’excellent C&O (rires), a beaucoup aidé à ce que des gens me suivent. On a énormément travaillé sur la communication pour présenter un projet cohérent, avec une identité propre. On a également étudié comment d’autres musiciens faisaient, notamment sur des projets comparables en termes de budget, premier album, contreparties, etc. On a bien calé le timing entre le travail studio, la bonne période pour le financement (qui finissait le 30 juin, pour éviter l’été), le temps du financement (40 jours pour nous, certains financements sont trop longs). Et puis on a animé la campagne, avec un premier « demo trailer », des photos, des posts réguliers, une première vidéo… Quand je regarde d’autres projets qui capotent, je m’aperçois que cette communication a été essentielle dans notre réussite.
Le plus difficile a été de tout faire en même temps, les journées au studio et la com’ le reste du temps. Mais c’est une expérience enrichissante, même si je pense ne pas procéder de la même manière la prochaine fois, ou alors en bouclant le crowdfunding avant d’entrer en studio… Ce que je voulais par-dessus tout, c’est être cohérent et respecter les délais. C’est un point important car, finançant moi-même des projets d’autres artistes, j’ai beaucoup de mal à adhérer quand je vois les retards pris par certains et l’absence de communication de la part des groupes. On ne peut pas perpétuellement se plaindre des difficultés, réelles, que l’on rencontre pour financer les albums et, en même temps, ne pas jouer le jeu comme il faut ! De notre côté, nous avions annoncé que l’album sortirait le 5 septembre 2016 et c’est le cas ! C’est important si tu veux que les gens qui te suivent aient confiance en toi…
C&O : Avec cet album tout fraîchement réalisé, on peut dire que tu viens de te jeter dans la fosse aux lions, ou plutôt devrait-on dire… aux loups ! D’où te viennent ces références et clins d’œil appuyés au monde de ce bel animal sauvage ?
HV : Ah, les loups ! Il y a bon nombre de portes d’entrée et de tiroirs cachés à mon affection pour cet animal. Bien entendu, cela se comprend notamment au travers du titre « Comment Les Loups Changent Les Rivières… » dont le titre est inspiré d’une excellente vidéo qui raconte l’expérience de la réintroduction du loup au parc de Yellowstone et les changements opérés grâce à ce retour. Cet animal magnifique est devenu un paria, comme certains humains d’ailleurs, et je n’aime pas la stigmatisation. Canis lupus est également un animal mythique et totémique qu’on peut voir par exemple dans une série comme Game of Thrones que j’adore (je suis également fan de science-fiction et d’heroic-fantasy). Et puis le loup a une organisation sociale cohérente où chacun trouve sa place dans l’ordre de la meute. Enfin, je lutte à ma manière contre l’image du loup : « l’homme est un loup pour l’homme », « les loups sont entrés dans Paris », etc., ce qui fait également un contrepoint à la chanson « Aktion T4 » qui parle des abominations commises par les nazis, que l’on a souvent comparés à des loups, envers les handicapés… Bref, l’imagerie du loup collait bien avec les intentions de l’album et mon ami Stan W. Decker a fort bien retranscrit cela dans le logo qu’il a dessiné pour Grandval.
C&O : Comment définis-tu le ou les styles développés à travers ton premier album ? Quels sont les artistes et les courants qui t’ont le plus inspiré pour mettre en chantier ton propre univers musical ?
HV : Je pense que c’est toujours compliqué de définir son propre style. Il y a des gens dont c’est le boulot ou presque (rires). J’ai appelé ça du crossover prog, à défaut d’autre chose… Au départ, ça démarrait un peu comme une fusion entre Ange et Porcupine Tree. Ange, par que c’est le premier groupe prog français qui m’a marqué (j’étais ado au concert de Paris qui a donné l’album Tome VI), que je les ai rencontrés pendant les périodes de l’enregistrement de Les Larmes Du Dalaï-Lama à Clermont-Ferrand. Et Porcupine Tree, mais surtout Steven Wilson, parce que j’aime son travail et les différents styles qu’il propose, se foutant un peu des conventions et des étiquettes. J’aime bien l’idée développée par Motis de parler de « chansons progressives », mais je ne pense pas que Grandval corresponde tout à fait à cette définition.
Dans A Ciel Ouvert…, je me suis nourri de tout ce que j’écoute depuis des lustres. Je suis fan des Beatles à la base, c’est l’influence de McCartney qui m’a amené à être bassiste chanteur, puis d’autres comme John Wetton, Glenn Hughes, Geddy Lee, Sting… Dans A ciel ouvert…, il y a plein de clés : vers Pink Floyd (période Meddle), Styx, Gérard Manset, Michel Polnareff, Marillion (période Fish), Naos (le titre « Maîtresse Eternelle » est un peu une réponse au « Triste Sire » de feu le groupe Naos dont le chanteur Philippe Mottée est devenu un ami…), Gong, Harmonium, Atoll, Asia (il y a une petite allusion à « Only Time Will Tell » dans un morceau), King Crimson (la période bénie de 1972 à 1974 pour le traitement « cradingue » de mes propres guitares), etc. Et puis, le passage en studio m’a amené vers d’autres choses plus françaises : Christophe, William Sheller… Le dernier titre, « Au Delà De Ce Grand Val » fait une sorte de coda sur tout l’album mais de manière décalée : un ami musicien a fait un rapport avec un titre de Pigalle, j’y ai mis du parlé-chanté sur les conseils d’une amie chanteuse, j’ai fait ça un peu à la façon Thiéfaine, et à un moment, je fais un clin d’œil à Fuzati, du Klub Des Loosers ! C’est aussi pour ça que nous avons laissé mes programmations de batterie, des guitares crimsonniennes un peu crades, un orgue qui dégueule…
En fait, cet album est à mon image. J’aime bien ne pas suivre les chemins tracés, expérimenter, me décaler… J’ai demandé à Martial Semonsut de jouer des parties de batteries dans différents styles, évoquant qui Bill Bruford, qui Billy Cobham ou Nick Mason. Je voulais des choses vraiment différentes mais dans un esprit cohérent et à mon sens il a fait un travail formidable. D’ailleurs, si d’aucuns pensent que les morceaux sont « faciles », je les invite à demander à Martial ce qu’il en pense (rires). On a également fait attention au rendu de l’album, que ce soit au mixage ou pour le mastering réalisé par Cris de Almeida qui a bien transposé nos intentions. On voulait vraiment que la musique respire, quitte à ce que l’auditeur doive monter le volume de sa chaîne. Aujourd’hui, tout est noyé par la « Loudness War », avec une compression trop importante qui fait perdre les détails. Même d’excellents albums se perdent dans cette guerre et c’est dommage… Bref, comprenne qui pourra ou voudra bien – et je sais que certains ne comprennent et ne veulent pas – mais la démarche est avant tout sincère, parfois fragile (on a laissé des trucs qu’on aurait pu modifier, on n’a pas utilisé saint Autotune, etc.) et, sans m’accorder aucun mérite particulier, je pense que cela devient rare et précieux… Après, ce sont peut-être ceux qui écoutent ou qui chroniquent qui pourront définir ce qu’est la musique de Grandval, dans quelle(s) case(s) faire rentrer l’animal (rires)…
C&O : Sans te compter toi, pas moins de quatre guitaristes ont œuvré sur cet album. Et effectivement, les guitares y sont omniprésentes, avec une diversité plutôt jouissive. Certains choix ont dû être cornéliens en matière de « qui joue quoi ? » non ?
HV : C’est vrai que j’aime les guitares, d’autant plus quand elles sont jouissives (rires) ! De mon côté, j’aime plus travailler un aspect mélodique, un son, plutôt que d’aller vers de la démonstration que je serais d’ailleurs incapable de réaliser, sauf à faire et refaire des prises et des bouts de prises (rires). J’ai beaucoup écouté les guitares des Beatles et encore plus ce qu’a fait McCartney ensuite. J’aime les sons des albums des Wings en particulier et cette manière d’appréhender le jeu de guitare et la façon dont celle-ci accompagne ou construit les mélodies. Après, en fait, vous le savez l’un comme l’autre, c’est parfois le hasard et l’intuition qui provoquent les collaborations. Ce sont d’abord les discussions avec Steph Honde qui m’ont amené à toquer à la porte de certains musiciens. On est devenus amis et on discute souvent de nos projets. Il est l’un des premiers à avoir entendu les démos et à avoir spontanément dit oui, même sans trop savoir où on allait ! Steph est un gars formidable, doublé d’un excellent compositeur, d’un très bon chanteur et d’un guitariste hors-pair. Quand il a monté son projet Hollywood Monsters, même s’il avait ouvert sur scène pour des gens comme AC/DC ou Deep Purple, puis été guitariste pour Paul Di’Anno (le premier chanteur d’Iron Maiden), il n’a pas hésité, petit Français, à partir à Los Angeles, contacté des gens comme Vinnie Appice ou même, encore plus fort, Tim Bogert. Ces fabuleux musiciens ont dit « oui », et Steph va sortir bientôt son deuxième album avec encore d’autres invités prestigieux ! J’ai un peu fait pareil, toute proportion gardée entre mon projet et celui de Steph, et plusieurs musiciens contactés ont répondu favorablement.
Après, c’est compliqué, effectivement ! C’est Steph Honde qui a choisi le premier, connaissant l’ensemble des démos. Il devait d’abord jouer sur « Crevé Les Nuages ». Finalement il ne fait qu’une petite intervention au début du morceau car entre-temps le titre avait évolué en studio et il n’y voyait plus sa place. En revanche, sur « Aktion T4 », il délivre des soli dantesques, tout à fait dans l’esprit de ce que j’attendais, voire au delà ! Ce gars est un guitariste monstrueux dont on n’a pas fini de parler ! Ensuite, j’ai demandé à Jean-Pierre Louveton (JPL, Némo, Wolfspring) que j’avais rencontré au festival Quadrifonic l’an dernier. Il a spontanément posé ses guitares sur « A Ciel Ouvert ». Cela correspondait tellement à l’esprit du morceau que j’ai enlevé mes propres guitares (rires). Et puis, pris au jeu sans doute, il a fait un travail formidable sur « Entendre Les Engoulevents », apportant là aussi ses talents de guitariste et d’arrangeur. D’ailleurs, ce sont ces deux titres qui ont été réalisés en vidéo les premiers ! Pour Kevin Serra et Colin Tench, c’est moi qui ai choisi les titres, connaissant leur style respectif. Je leur ai laissé carte blanche car je tiens à ce que les intervenants puissent s’exprimer avec leur sensibilité. Là encore, le résultat a dépassé mes espérances, et Kevin sur « Jongleur Des 4 Vents » et Colin sur « Comment Les Loups Changent Les Rivières… » ont vraiment fait du super boulot ! Après, certains musiciens auxquels j’avais pensé n’ont pas pu participer à l’album pour différentes raisons, mais je ne désespère pas de les convaincre pour le prochain (rires).
C&O : Qu’est-ce qui a motivé chez toi le choix d’un chant en français ?
HV : Cela faisait un moment que cela trottait dans ma caboche. J’adore chanter en anglais et je le fais encore souvent. La musique que j’écoute est en majorité anglo-saxonne. Mais je voulais que les textes soient importants et c’est plus évident dans sa langue maternelle, même si en français c’est quand même plus compliqué ! La transition a été longue. Et puis, j’en ai eu marre de cette hégémonie de l’anglais. Dans mon esprit, l’argument selon lequel on écrit dans la langue de la musique qui nous influence est un faux argument. Je connais peu de groupes ou artistes français qui sont capables d’écrire de bons textes en anglais (parmi les rares, il y a mes amis de Lady Fuel). Et je ne parle pas de la qualité de l’anglais de certains (rires). Aujourd’hui, j’accorde autant d’intérêt aux textes qu’aux musiques et je défends de façon plus ardente les musiciens qui font ce pari difficile (comme Lazuli, Gens De La Lune, Motis ou JPL). Pour ma part, j’ai choisi la difficulté et le côté suicidaire du truc (vu que les quotas de chanson française ont en fait flingué le principe), mais je ne regrette en aucun cas mon choix !
C&O : Les thèmes évoqués à travers tes compositions sont tous très différents, mais témoignent d’une même sensibilité à fleur de peau. Y a-t-il des titres dont les textes te touchent tout particulièrement et plus personnellement que d’autres ?
HV : J’ai déjà gagné un peu mon pari si vous avez relevé l’aspect sensible des chansons… Certes les thèmes sont différents, mais je crois qu’ils tournent tous plus ou moins autour de la difficulté de nos existences d’être humains, de manière personnelle, sociale ou métaphorique. J’ai tenté de développer ça de façon imagée et parfois, enfin, j’espère, poétique. Ce qui est drôle au final, c’est d’arriver à placer de multiples références sans que personne ne les relève vraiment… Chaque chanson a une histoire pour moi et je pense ne pas arriver à en détacher une en particulier. Peut-être « Entendre Les Engoulevents », composée il y a bien longtemps lors de vacances à Contis dans les Landes et dont j’aime les images parfois inattendues. Ou encore « Aktion T4 », le texte le plus court, parce que la question du handicap me touche personnellement de près depuis peu… Voire « A Ciel Ouvert » et « Crevé Les Nuages », parce qu’on n’arrive pas à savoir si ce sont vraiment des chansons optimistes ou pessimistes et qu’elles sont à la base de l’album… Mais je crois que je pourrais parler de chacun de ces 8 titres sans tarir…
C&O : A l’écoute du CD, mais également en découvrant son artwork ainsi que les clips vidéo qui l’accompagnent, on fait un grand plongeon rafraîchissant en pleine nature, avec des images dignes de figurer dans GEO Magazine. On suppose que tu as dû t’entourer d’artistes de la photo pour obtenir un pareil résultat ?
HV : Merci ! En fait, oui et non. Tout est parti de l’instant où le nom Grandval s’est imposé pour de multiples raisons. En furetant, j’ai trouvé une photo sublime en HDR du barrage de Grandval situé dans le Cantal. J’ai su que ce serait l’image de la pochette. J’ai contacté le photographe, Fabien Monteil, qui m’a gentiment autorisé à utiliser cette photo. Partant, c’est ma rencontre avec Elodie Saugues qui a amené tout le reste. On a organisé des shootings photos nous-mêmes à différents endroits qui ont illustré la campagne de promotion et qu’on trouve sur le livret. Le livret, c’est moi qui l’ai réalisé. J’ai fait de l’édition pour des revues et une maison d’édition, j’ai travaillé dans l’imprimerie… Et puis, quand s’est posée la question des vidéos, nous n’avions pas les moyens de faire appel à un professionnel. Sans rien y connaître techniquement, Elodie s’est lancée dans la conception et la réalisation du premier clip, celui de « A Ciel Ouvert ». On a fait une journée de tournage sur le site du barrage de Grandval et au château d’Alleuze à partir du lever du jour. Sa formation en histoire de l’art, nos discussions, ses intuitions par rapport à l’ambiance générale et conceptuelle de Grandval, et beaucoup d’amour ont fait le reste. On voulait faire une deuxième vidéo pour « Entendre Les Engoulevents ». Le dépassement des 100 % du crowdfunding ne nous a encore pas permis d’appeler un pro… Mais c’était plus compliqué d’aller tourner au bord de l’Océan. En deux jours, Elodie a trouvé les idées, bâti un story-board et rassemblé des extraits de films et de vidéos. Elle a tournée quelques images chez nous et fait un montage extraordinaire avec trois fois rien (un appareil photo numérique Panasonic Lumix DMC-FZ200 et le logiciel de montage VideoPad) ! J’ai été bluffé par le résultat tant elle a su mettre sur la pellicule ce qu’il y avait d’enfoui dans ce titre et dans ma tête, tout en y ajoutant une touche personnelle, une vraie patte de louve (rires).
La troisième vidéo, celle qui sort en même temps que l’album, « Aktion T4 », elle l’a également réalisée, mais uniquement à partir d’images et de films d’archives. C’est un boulot monstre, et là encore elle a parfaitement capté l’intention qu’il y a dans la musique. Cet aspect amateur, avec ce côté un peu Old School (celui du cinéma européen de ses débuts aux années 70), le côté mélancolique que l’on trouve dans le traitement des couleurs et le déroulé des clips sont influencés par le travail de Lasse Hoile que nous admirons tous les deux. On rejoint là les côtés obscurs de ma personnalité (une des raisons pour lesquelles je suis caché sans vraiment l’être derrière le nom d’artiste Grandval) dans leur alliance entre le visuel et le sonore comme chez Hoile, Steven Wilson ou le groupe Soup…
C&O : Les préventes sont en train d’être honorées avec l’envoi des packages à tous les souscripteurs, alors que la sortie officielle du CD est programmée le 5 septembre. Comment comptes-tu assurer la distribution ultérieure de celui-ci, et à partir de quels critères considéreras-tu que l’essai est transformé ?
HV : Oui, on voulait faire un petit signe aux contributeurs via Ulule, qu’ils aient la possibilité d’avoir l’album en main avant sa sortie officielle. Ils avaient déjà la version numérique depuis quelques jours, mais beaucoup ne l’ont pas téléchargée. Il y a encore des amateurs de musique qui aiment les albums, les toucher, voir les livrets… Pour l’instant, l’album est en vente sur le seul site Bandcamp qui donne une visibilité aux artistes, évitant ainsi la contrainte d’un site Internet. Et puis, leur commission est raisonnable. Le seul ennui, c’est que tous les titres sont en écoute et que cela peut freiner les achats à l’heure du zapping culturel permanent… J’ai refusé un label bien connu parce que les conditions ne me plaisaient pas. Je préfère risquer de vendre moins en quantité, mais que la majeure partie de l’argent récolté aille au financement de la suite. J’ai pas mal discuté de cet aspect avec d’autres artistes avant de me décider. On va voir comment ça évolue, on ajoutera peut-être un site Internet. On y réfléchit. On a créé une structure associative, Vallis Lupi, qui produit l’album, mais qui pourrait aussi accueillir d’autres formules ou formations musicales, mon travail photo, peut-être d’autres vidéos d’Elodie… Tout ça n’est pas encore arrêté, on verra après la sortie de l’album, mais on ne s’interdit rien ! Quant à la transformation de l’essai, pour employer une métaphore sportive, je dirai que ce sera lorsque j’aurai rassemblé une équipe solide pour défendre A Ciel Ouvert….
C&O : Justement ! Le ciel étant désormais ouvert, envisages-tu de te faire ouvrir les scènes pour aller le défendre en live ?
HV : Je crois que la musique de Grandval se prête à être jouée sur scène, évidemment. Bien entendu, j’ai envie d’aller la défendre, j’ai déjà quelques contacts avec des salles ou des festivals. La difficulté réside pour l’instant dans le fait de trouver des musiciens autour de Clermont-Ferrand pour préparer les concerts. Maintenant que l’album existe, cela va être plus facile, enfin, j’espère (rires). C’est une base, j’ai vraiment envie que des musiciens investissent cette musique pour la marquer de leur style, de leurs idées, de leur empreinte, comme l’ont fait ceux qui m’ont accompagné sur l’album.
C&O : Justement, quel avenir envisages-tu pour Grandval ? Son line-up sera-t-il pérenne ? Penses-tu mener ce projet sur le long terme avec d’autres sorties dans les années à venir ?
HV : Grandval est un one-man-band comme il en existe beaucoup aujourd’hui. J’aimerais vraiment que l’évolution soit comparable à celle des amis de Motis, dont le leader porte ce nom mais qui est désormais vraiment un groupe avec 3 identités fortes unissant des musiciens talentueux sur un même projet. Pour Grandval, il n’y a rien de défini encore à ce niveau. Aujourd’hui, avoir un groupe permanent, c’est compliqué. Les musiciens tournent souvent sur plusieurs projets (ce sera peut-être mon cas, qui sait ?) parce qu’il faut jouer souvent pour gagner sa vie. Monter un groupe résidant, cela demande une complicité, de la disponibilité, de l’amitié, tout un tas de facteurs qui ne se trouvent pas sous le sabot d’un cheval. Alors, c’est encore le hasard des rencontres et des contacts qui fera le reste ou pas… Après, il est également possible que Grandval reste un projet à géométrie variable avec de nouveaux musiciens invités à chaque fois ! J’ai déjà une idée de la couleur du prochain album, de son intention (« prendre des p’tits bouts d’trucs et puis les assembler ensemble… »), j’ai même son titre… Reste à faire en sorte que A Ciel Ouvert… trouve sa place dans la foison des productions actuelles !
C&O : Merci Henri de nous avoir encore un peu plus consacré de ton précieux temps en cette période chargée en promotion de tout ordre ! Longue vie à Grandval et… « A Ciel Ouvert » !
HV : Merci à vous et à Clair & Obscur. Oui, la vie se rêve à ciel ouvert…
Propos recueillis par Rudy Zotche & Philippe Vallin (août 2016)
Wow ! Rude tâche que vos serviteurs se sont ici auto-attribuée, à savoir passer en revue l’album d’un de nos collègues chroniqueur de C&O. C’est bien simple, nous ne nous y sommes pas attelés à deux pour rien ! Il s’agit en effet d’un exercice périlleux, ou quand deux types pianotent de concert à quatre mains sur une corde raide, soumis à un véritable dilemme partagé. Car il est évident que l’envie ne manque pas de faire un grand plaisir à un ami qui s’est investi à fond dans un projet artistique à la fois ambitieux et personnel. Mais il s’agit aussi (et surtout !) de faire preuve d’honnêteté et d’impartialité afin d’être en accord avec soi-même et, en quelque sorte, de respecter à la fois le lecteur et l’artiste.
Et puisque nous parlons d’honnêteté, vous pouvez déjà être certains que nous n’aurions pas chroniqué cet ouvrage si nous ne l’avions pas apprécié un minimum. Alors oui, A Ciel Ouvert… a sur faire mouche et toucher nos palpitants mélomanes ! Certes, ce premier essai est encore empreint de quelques approximations, mais celles-ci contribuent au final à créer cette atmosphère de sensibilité à fleur de peau, de poésie et de candeur authentique. Dans un premier temps, c’est le visuel de l’album qui attire et retient l’œil, avec cette opposition entre logo sobre et élégant (la symbolique d’une griffe de loup ne nous aura pas échappée !) et la richesse de la photo « landscape », juste sublime. On y admire un paysage luxuriant d’Auvergne sur lequel plane un ciel magnifiquement ouvert, mais aussi un tantinet menaçant. Le décor est donc superbement planté, en totale harmonie avec le contenu, et en particulier avec les thèmes et les textes très travaillés (et inspirés) du poète multi-instrumentiste Henri Vaugrand.
Et justement, ces textes sont écrits dans la langue de Rabelais, car l’auteur a eu le souci de maîtriser totalement son propos. Donc ici pas d’anglais mâtiné d’un désagréable accent français, comme trop souvent constaté dans le genre. Ainsi, l’auditeur francophone pourra apprécier toute la substance poétique et conceptuelle des chansons de GRANDVAL. Un choix qui reste courageux, car bien en dehors du courant actuel, anglophone à tout va. Et pour tout vous dire, l’émotion et la poésie ne manquent pas tout au long des huit titres de cette jolie galette, hantée par le charme du chant suave, velouté et un tantinet laconique d’Henri (on pense au timbre de Christophe, voire à celui d’un William Sheller !), alternant la simple et la double-voix, quand le texte n’est pas tout simplement déclamé sur les couplets d’ « Au Delà De Ce Grand Val ».
D’ailleurs, ce titre (et sa courte introduction estampillée King Crimson 70’s) est la preuve la plus convaincante que notre auteur s’élève au rang de magicien des mots. Celui-ci les manipule, les tourne et les retourne dans tous les sens, les exprime sous forme de périphrases, de métaphores, mais aussi de clins d’œil, comme il nous a semblé le discerner par exemple dans « Crevé Les Nuages » (et son ambiance instrumentale évoquant le The Cure le plus planant !) avec une allusion au groupe Gens De La lune. Les spécialistes confirmeront… ou pas ! Le propos se fait parfois plus sombre, comme sur l’excellent «Aktion T4», une chanson qui fait directement référence au programme nazi d’élimination des handicapés mentaux ou physiques. Il est à noter que sur ce morceau de bravoure, Steph Honde fait des merveilles à la six cordes, délivrant quelques solos anthologiques dignes du Pink Floyd de la grande époque ! D’un point de vue musical, nous sommes bien ici plongés dans les sphères progressives, avec des titres excédant tous la barre des six minutes, à l’exception d’«Au-Delà De Ce Grand Val », plus léger et balancé, qui vient habilement conclure l’album.
Outre les textes, le cœur de l’album bat principalement au rythme des guitares, sans oublier le jeu de basse ondoyant et solide d’Henri Vaugrand (n’oublions pas que le maître d’oeuvre de GRANDVAL est avant tout bassiste de formation). En effet, et c’est quand même la grande classe, pas moins de quatre guitaristes internationaux se sont partagés les riffs et les soli qui jalonnent l’album, sans que cela ne nuise à son homogénéité. Leur jeu se dévoile donc tour à tour jazzy (dans «Maîtresse Eternelle», sur l’introduction d’«Aktion T4»), planant et bluesy à la David Gilmour («Aktion T4», encore lui !) ou carrément entraînant («Jongleur Des 4 Vents», «Au-Delà De Ce Grand Val»). Colin Tench (Corvus Stone), JP Louveton (Némo), Steph Honde (Hollywood Monsters) et Kevin Serra impriment également des riffs variés qui colorent efficacement l’album. Nous retiendrons tout particulièrement l’alternance de sonorités country/western et hard-rock sur le tubesque «Entendre Les Engoulevents», qui donne largement de quoi prendre son pied !
En revanche, nous avons moins apprécié le jeu de batterie de Martial Semonsut, qui nous a semblé parfois un peu « flou », en particulier dans «A Ciel Ouvert», peu « moderne » aussi (comme le dirait Christina) et relativement délaissé par la superbe production de l’album, en regard des guitares qui elles sont brillamment mixées. Et puisque nous sommes au chapitre des points faibles, notons par ailleurs que certaines transitions sont relativement laborieuses. Ainsi, le final d’ «Entendre Les Engoulevents» avec en bruitage le claquement d’une portière et des crissements de pneus, peut laisser dubitatif. Dans un même esprit, l’intro d’ « Aktion T4 » apparaît trop décalée par rapport à la lourdeur (rien de péjoratif ici dans cet adjectif) du titre. A cet égard, ce passage au demeurant très sympatoche et techniquement brillant aurait pu faire l’objet d’une plage instrumentale allongée à part entière, et donc plus « disgressive ».
Impossible enfin de ne pas remarquer l’attirance de Grandval pour le monde des loups. Oh, bien sûr, pas ceux de la grasse finance internationale ou des multinationales. Pourtant, c’est bien le contraste entre la nature et les réalités économiques qui est évoqué dans un «Comment Les Loups Changent Les Rivières », très aérien dans sa première partie et plus sautillant par la suite. On sent que Grandval est profondément attaché à des valeurs écologiques essentielles, pour ne pas dire plus. Ses messages vont droit au but et donnent une envie sauvage de rallier la meute pour hurler avec elle, ou encore de s’envoler tel un engoulevent dans ce grand ciel ouvert…
Le crossover équilibré de cet album entre progressif, rock, darkwave, pop (et quelques touches de psychédélisme fort bienvenues), fait que ses cinquante-deux minutes au compteur passent comme une lettre à la poste. Avec une telle ribambelle de musiciens et la volonté d’exprimer beaucoup de choses très différentes, GRANDVAL a réussi à traiter tous ses sujets sans pour autant que le résultat ne soit bancal ou incohérent d’un point de vue de l’écriture ou de la composition. C’est ce qui fait la force de cet album qui souffle un air frais et poétique sur le rock progressif français. Et celui-ci nous est allé droit au cœur.
Si vous souhaitez investir dans A Ciel Ouvert…., surtout privilégiez la magnifique édition CD digipack qui vous en met vraiment plein des mirettes avant l’écoute. Profitons-en pour saluer le remarquable travail de l’esthète Elodie Saugues, qui signe plusieurs photographies (et toutes les vidéos) d’un album décidément peaufiné dans ses moindres détails !
Rudy Zotche & Philippe Vallin
http://grandval.bandcamp.com/
Un grand Monsieur, Henri, du talent, un timbre de voix peu ordinaire et une gueule ! alors quoi d’autre dirait « georges le clown » ? phil mott
C’est trop, Phil… Mais venant de toi, ça fait énormément plaisir ! Henri ou Grandval (je ne sais plus bien, ha ha)