Ataraxia – Adolescence Of An Ancient Warrior
Ataraxia
Musea
Avis aux curieux et aux collectionneurs : le premier et unique album du groupe rock japonais Ataraxia (à ne surtout pas confondre avec le quatuor darkwave éponyme en provenance d’Italie !), initialement paru en 1986 en pleine vague néo-progressive, vient tout juste d’être réédité chez Musea. Le dernier pressage de cette galette aussi obscure que le combo qui en est l’auteur date de 1994, à l’initiative du label Made in Japan Records. « Adolescence Of An Ancient Warrior », totalement épuisé depuis, était de ce fait devenu une vraie rareté jusqu’à ces dernières semaines. Ataraxia (baptisé au départ « Position A ») voit le jour en 1983, formé à l’université par un groupe d’étudiants particulièrement influencés par la musique de Genesis. Dans sa mouture originale, la formation compte 5 musiciens, dont l’excellent Takashi Aramaki, qui très vite quittera ses petits camarades pour rejoindre Outer Limits. Ce groupe légendaire du rock progressif japonais (avec Ars Nova, Pageant, Gerard, et quelques autres), connaîtra un tout autre destin que le combo qui nous intéresse ici, avec pas moins de quatre albums studios réalisés dans les années 80, et un retour inespéré et diablement réussi en 2007, en attendant la suite.
C’est donc avec un certain Atsushi Ohmiya à la six corde que Position A, devenu Ataraxia, enregistre son premier et unique opus en 1986, avec une production étonnamment soignée pour l’époque. La musique d’Ataraxia doit tout autant au Genesis de la période Peter Gabriel qu’au rock néo-progressif anglais façon IQ. Ces deux références sont d’ailleurs celles qui sautent le plus aux oreilles tout au long des cinq compositions qui jalonnent l’album, un ouvrage se démarquant assez nettement des productions japonaises en matière de rock prog, tant au niveau du « son », du style, et même de cette patte mélodique si propre à culture nippone. Ici, on a vraiment l’impression d’avoir affaire à un disque anglais réalisé… par des musiciens japonais !
D’ailleurs, le choix du chant dans la langue de Shakespeare est finalement assez rare pour être souligné. Et puisqu’on parle de chant, signalons sans plus attendre qu’il s’agit là du gros (et seul ?) point noir de l’album. Si Hideaki Murata (seul compositeur à bord avec Nobuka Numata, le Tony Banks de service) voudrait bien ressembler à Peter Gabriel, il n’a cependant pas la moindre once de talent en la matière. Sa voix à la texture pauvre est aussi poussive que maniérée, quand elle n’est pas tout simplement à côté de la plaque au niveau de la tonalité, un comble quand on occupe le poste de lead singer ! Les brailleries de Murata sont parfois au-delà des limites du supportable, comme sur le pénible « (N) » (très certainement le plus mauvais titre de l’album) où on aurait presque l’impression d’entendre Peter Nicholls se faire égorger sur scène par des fans de Magma !
Côté musique, c’est heureusement d’un tout autre calibre, avec une succession de compositions dynamiques et maitrisées qui raviront justement les fans du IQ période « Tales From The Lush Attic » et surtout « The Wake ». Ces influences transpirent sur le titre d’ouverture « Adolescence Of An Ancient Warrior », sans oublier le très bon « A Low-Value Counting Clock », ou encore l’instrumental et plus ramassé « Plug Cord II ». Signalons également quelques petits relents de Van Der Graaf Generator et de son mentor Peter Hammill sur l’excellent « Gabble » et son final grandiose, un morceau qui compte par ailleurs l’un des solos de guitare les plus lyriques du disque. Cette œuvre s’achève en fanfare avec une très belle suite aventureuse aux rebondissements multiples, parfois dissonants (quelle énorme partie centrale !), où les guitares sonnent tantôt à la manière de Steve Hackett, tantôt en mode Robert Fripp. L’apport d’authentiques marimbas sur les nappes de claviers apporte une petite touche de magie à l’ensemble de l’édifice, le plus solide et passionnant de cet opus qui restera donc à jamais orphelin.
Et pour rester dans la féérie, un petit clin d’œil s’impose au très joli artwork signé Brian Froud, dont une autre illustration célèbre avait également été utilisée pour le visuel de « The Scene Of Pale Blue » des compatriotes d’Outer Limits. A l’arrivée, « Adolescence Of An Ancient Warrior » devrait avant tout séduire les amateurs de néo-prog symphonique, et si l’œuvre de ce collectif éphémère n’a vraiment rien ne révolutionnaire, elle n’en demeure pas moins tout à fait fréquentable. A acquérir dans toute bonne discothèque progressive, ne serait-ce que pour le caractère on ne peut plus « underground » de cette référence. Bravo à Musea pour son travail d’exhumation de trésors de brocante, pour le plus grand plaisir des mélomanes !
Philippe Vallin (7/10)