Arno Boytel : le nouveau visage du rock psychédélique ?
Le psychédélique, c’est comme « le gras, c’est la vie » (célèbre citation de Karadoc de Vannes, chevalier de la Table Ronde), donc c’est bien ! Et il y a l’un de nos représentants hexagonal en la matière qu’on apprécie d’autant plus : Arno Boytel. Nous avons déjà parlé de lui et de son projet personnel Special Deliverance au fur et à mesure de ses sorties dans les méandres de nos pages. Bref, voilà un artiste qu’on aime suivre. C’est en toute logique qu’il nous manquait une interview pour parfaire le tableau, en attendant la sortie prochaine de « The Mystic Dance », nouvel opus de ce combo atypique hybridant free-folk, acid-rock, minimalisme et blues, entre-autres, dans cet écrin rutilant de psychédélisme. Monsieur Arno, c’est à vous !
Entretien avec Arno Boytel (Special Deliverance)
C&O : Salut Arno et merci beaucoup pour cette entrevue. Comme toute interview de bonne tenue, pourrais-tu présenter ton parcours de musicien à nos lecteurs qui ne te connaîtraient pas ?
AB : Hello ! J’ai commencé à m’intéresser à la musique vers l’âge de 10 ans. Mon père m’a fait découvrir pas mal de groupes de son époque (lui-même étant aussi musicien). J’ai ensuite approfondi la question en recherchant par moi-même les discographies de groupes et artistes de l’époque 60’/70′. La musique est devenue tellement importante pour moi qu’à l’âge de 17 ans, j’ai claqué la porte de l’école pour rentrer dans deux écoles privées de musique (CIM et ATLA), afin d’apprendre dans un premier temps la guitare et la basse. Parallèlement à ça j’ai appris en autodidacte l’harmonica sur du Dylan et Led Zeppelin, ainsi que les percussions (bongos et congas). A cette même époque, j’ai voulu former un premier groupe en tant que guitariste avec un ami d’enfance qui était batteur. C’était tellement difficile de trouver un bassiste que j’ai décidé de prendre moi même l’instrument. Le groupe n’a pas du tout fonctionné, je suis donc allé rencontrer d’autres musiciens de l’école ATLA. Je me suis ensuite retrouvé bassiste pour des concerts et sessions d’enregistrement avec quelques chanteuses de soul/funk et, au même moment, j’ai formé le groupe Monoplan, très influencé par le grunge de Pearl Jam et de Soundgarden. Puis j’ai enregistré un premier album avec le groupe de funk/fusion Fishbone Rocket, et pour finir, il y a eu le groupe Dentelles Nerveuses. Nous avons réalisé un 45 tours et un EP sur le label Close Up, et donné beaucoup de concerts en France et à Manchester. A partir de 2009, j’ai voulu développer mon propre projet personnel. C’était la période où j’étais influencé par la chanson rock francophone (Thiefaine, Bashung, Arno), alors j’ai pris le micro et j’ai formé Arno Boytel & les Voyageurs. Nous avons fait quelques concerts et deux albums auto-produits (Le Coup De Grâce et Spleen Social Club). Je me suis finalement lassé de la chanson, et suis revenu a mon style favori, le rock issu des 60’/70′, et tout particulièrement le rock psychédélique, d’où la naissance de Special Deliverance, que je continu aujourd’hui avec un réel plaisir.
C&O : Tes premiers albums sont sortis en autoproduction. Doit-on y voir une volonté DIY assumée, ou une nécessité devant la difficulté de trouver une maison d’édition ?
AB : Effectivement, la difficulté de trouver un label de nos jours est tellement importante que j’assume maintenant ma volonté de faire du DIY. J’ai passé tellement de temps à chercher des petits labels qui auraient pu être intéressés par mon travail, mais qui finalement n’avaient pas le temps où le budget pour sortir mes disques, que le « Do It Yourself » est le seul moyen pour que je puisse publier mes enregistrements. Et j’ai tendance à composer très rapidement, donc il est nécessaire pour moi de ne pas me retrouver avec 5 albums sous le bras !
C&O : Je trouve Special Deliverance difficile à catégoriser. Folk, stoner-rock, blues, psychédélique, voire drone-doom, on sent clairement que tu aimes brouiller les frontières et construire des ponts entre différents styles. N’est-ce pas trop difficile de garder une cohérence dans ce magma ?
AB : J’aime toucher à tous ces styles. Le plus dur étant effectivement de personnaliser et donner une originalité à tout ça. Je me moque un peu des étiquettes free-folk, stoner ou drone-doom, je fais les musiques que j’aime et j’essaie de donner une originalité a tout ça. Aussi, je me réfère à des gens comme Zappa. Il a pondu énormément d’albums qui ne se ressemblent pas, et pourtant, on retrouve dans ses œuvres sa personnalité et son originalité. J’essaie de m’amuser avant tout avec tout ces styles de musique. Je personnalise mon rock psychédélique ! (rires)
C&O : Au passage, peux-tu nous citer certaines de tes influences qui me semblent multiples ?
AB : Oh bien sûr ! Parmi mes plus grandes références, il y a en haut de la liste Pink Floyd (surtout la période 67/73), Edgar Broughton Band, Frank Zappa, Johnny Winter, Redbone, Pink Fairies, John Mayall (période 65/75), principalement le rock de la fin des années 60, début 70, mais aussi le jazz électrique de Miles Davis, et puis Don Ellis, Funkadelic, Sly & the Family Stone, Prince, et enfin Six Organs Of Admittance pour les trucs plus récents.
C&O : Je ne peux pas m’empêcher à certains moments de penser à Six Organs Of Admittance lorsque que j’écoute ta musique. Le travail de composition de Ben Chasny est-il pour toi une référence, une influence ?
AB : Six Organs Of Admittance a été pour moi une véritable révélation. Le travail de Ben Chasny est très intéressant et nourrissant. J’ai écouté également ses autres projets comme Comets On Fire, c’est très bon aussi. Malheureusement, ce qu’il fait maintenant avec Six Organs me touche un peu moins. Je préfère les anciens albums, c’est le coté DIY et LO-FI qui me plaît chez lui.
C&O : Special Deliverance est davantage instrumental que chanté. Est-ce intentionnel afin de laisser l’auditeur se faire son propre voyage intérieur ?
AB : Oui et non… Quand j’ai composé mes albums, pour la plupart des titres, je ne voyais pas ce que le chant pourrait bien faire dessus, je me suis dit que c’était très bien comme ça, comme des musiques de films imaginaires. J’avais également peur de ne pas être à la hauteur au chant, car la voix est l’instrument le plus difficile. Mais j’ai pris le taureau par les cornes, j’ai bossé ma voix, j’ai écrit mes textes et vous verrez que dans le prochain album, 6 titres sur 7 seront avec du chant, mais il y aura toujours dans ces morceaux chantés une partie Instrumentale. Par rapport aux textes, je parle de choses que j’ai vécues et qui toucheront un plus large public. Ou alors les rêves que je fais, je les écris à mon réveil et j’en fait des textes, si ça peut donner quelque-chose d’intéressant.
C&O : Il se dégage dans A Garden Out Of Time un aspect plus alambiqué (voir compliqué) et personnel, comme si tu tentais d’exorciser un événement en plongeant dans les profondeurs de l’âme sans parachute… Qu’en penses-tu ?
AB : A la base, A Garden Out Of Time est un genre de patchwork de divers styles de musiques que j’aime. J’ai vraiment pris du plaisir à faire ce disque car c’était le premier enregistrement vraiment solo, et je pouvais donner aux compos exactement la couleur que je voulais. C’est un album très personnel de toutes façons. La pochette représente la forêt où je me promenais avec mon père étant enfant, je venais de perdre ma grand-mère qui avait une maison juste à coté. La maison a été vendue et la dernière fois que je suis retourné dans cette forêt, j’en ai profité pour faire photo. C’est un album souvenir.
C&O : Si A Garden Out Of Time me paraît plus sombre et torturé, Deep & Exalted semble naviguer dans une sorte de lisière entre lumière et obscurité, effectuant des allers/retours constants. Es-tu d’accord ?
AB : Oui tout a fait ! Tu sais, j’ai remarqué une chose par rapport à cet album, les avis sont partagés en deux : d’un coté on me dit qu’il est plus dark et moins bien que A Garden Out Of Time, et de l’autre, qu’il n’est pas plus dark et qu’il est aussi bon mais différent. Et moi je dis que je voulais faire quelque chose qui soit fait à la manière d’une musique de film. Il y a des cotés sombres effectivement, mais aussi un coté plus lumineux comme sur « Time » et « Desire », que je joue toujours en live d’ailleurs. C’est la période où j’écoutais beaucoup de musiques de films de John Carpenter et d’autres trucs comme Sun City Girl et Current 93, donc plutôt dark-folk/free-folk
C&O : Peux-tu nous dire quelques mots sur la sortie de Holy Wind, qui semble dénoter dans ta discographie ?
Après A Garden Out Of Time, j’ai voulu faire un album avec les musiciens qui étaient à cette époque avec moi pour les concerts (Adrien Estournel et Gwilherm Hue), car je pensais qu’il était temps pour Special Deliverance de devenir un véritable groupe, aussi bien en live qu’en studio. Il y avait une énorme différence entre les versions live et studio des mêmes titres. On devaient réarranger les morceaux en power trio afin qu’on puisse les jouer sur scène. J’ai voulu faire quelque chose de plus psyché/stoner, car je voyais ce style vraiment cartonner partout. A la fin du mixage de l’album, je me suis rendu compte que cette musique n’était pas moi, qu’elle ne venait pas de moi, juste une envie d’essayer de faire un truc un peu plus « à la mode » pour rentrer dans une « famille ». J’ai vu le nombre de groupes adopter ce style là, rien qu’en Allemagne, en Suède et aux Etats-Unis, j’ai vite lâché l’affaire. Il n’y à qu’avec mon nouveau line-up actuel que ça marche vraiment bien. Un percussionniste (Antoine Gomila), un flûtiste/percussionniste (Michel « Seuls » Thiboult) et moi à la guitare électrique, à l’harmonica et au chant. Les morceaux sont plus proches des versions studio, et on réarrange à trois quelques trucs et voilà… D’ailleurs Michel « Seuls » joue sur quelques titres du prochain album, et on compte enregistrer le suivant tout les trois, les compos sont déjà prêtes. Pour revenir à Holy Wind, je me suis quand même dit que c’était dommage de le laisser dans le tiroir. J’ai pris les meilleurs morceaux de la session et j’en ai fait un EP 4 titres.
C&O : Tu composes seul. Néanmoins, la formation semble évoluer au fur et à mesure des invités qui parcourent tes albums. Ont-ils une influence sur ta manière de ressentir et d’écrire ta musique ?
Quand je joue avec des musiciens, il y a toujours un partage, un échange d’idées. Tous les musiciens avec lesquels j’ai joués sont individuels et uniques. Dans ce sens, ils m’ont tous apporté autant de satisfaction. Quand on joue ensemble, j’essaie de les coordonner, de les assembler de la façon la mieux adaptée à leurs possibilités, tout en essayant de leur faire conserver leur individualité qui est la qualité pour laquelle je les ai choisis. C’est très dur de faire comprendre à un musicien ce que j’attends de lui, ce que j’aimerais sur tel où tel titre. C’est ça, la musique. Il faut penser et travailler. Il y a tellement de choses qui se croisent, la musique, les paroles… Ça n’a l’air de rien, mais des fois, on n’en voit pas la fin. Mais j’aime ce challenge avec les musiciens, et faire des disques a toujours été pour moi un besoin.
C&O : Ce que je ressens en écoutant ta musique est à peu-près comparable à une ballade sous acides, où la réalité se distord, croisant des divinités oubliées, des paysages désertiques, des vestiges de vaisseaux spatiaux qu’aurait dessiné Moebius. Où cherches-tu à emmener les personnes qui s’aventurent dans Special (Spatiale ?) Deliverance ?
AB : Je veux juste les faire oublier le passé, le présent et le futur. Une délivrance du quotidien le temps d’un album, exactement comme un film ou un livre.
C&O : Comment t’organises-tu pour tes prestations live ? Il n’est pas toujours aisé de retranscrire les sensations qui parcourent tes albums, surtout au vu du line-up évolutif.
AB : Oui, c’est pour ça que je suis bien content avec mon nouveau line-up. C’est plutôt minimaliste et finalement, plus proche des albums. Je n’ai plus trop envie de batterie autant sur disque qu’en live. J’utilise les percussions sur les disques, donc j’en fait autant pour les concerts. Antoine Gomila est un très bon percussionniste et j’espère qu’ont fera un bon bout de chemin ensemble. Par rapport à Michel « Seuls », nous faisons les concerts ensemble depuis déjà deux ans. On arrive a bien communiquer et on s’entend plutôt bien depuis le début.
C&O : Clairement, à quoi peut-on s’attendre pour le prochain album ? Quel trait vas-tu étirer ?
AB : Le prochain album s’appellera The Mystic Dance. Il a était enregistré début 2016 et sortira courant octobre/novembre sur les plate-formes de téléchargement ainsi qu’en CD, mais en tirage très limité. Musicalement, ça sera un mélange de rock psyché/space-rock avec un petit coté blues. La pochette est une photo que j’ai faite à Pompéi. Un endroit qui m’a beaucoup marqué pour le coté mystérieux et mystique. L’album sera donc mystique, dansant, mystérieux, bluesy et plus accessible. J’ai eu beaucoup de plaisir à le faire, et d’après quelques retours d’amis qui l’ont écouté en fin de mixage, il est très différent des précédents, et c’est le plus réussi !
C&O : Comme toute bonne entrevue qui se respecte, le mot de la fin est pour toi !
AB : Merci à vous pour cet entretien ! J’annonce quelques dates qui tomberont si tout se passe bien courant septembre/octobre (Paris/Troyes/Bruxelles) et avis aux programmateurs de concerts : nous recherchons encore d’autres dates a venir, donc n’hésitez pas a nous contacter !
Propos recueillis par Jéré Mignon (août 2016)
http://arnoboytel.bandcamp.com/
excellent et beaucoup de mérite une personnalité qui me touche
T’es le meilleur nono