Arman Méliès Et La Trilogie Américaine – Interview
Fred Natuzzi
Arman Méliès Et La Trilogie Américaine – Interview
Arman Méliès a bien voulu prendre un peu de son temps afin de répondre à nos questions concernant la fabrication de Roden Crater et nous éclaire sur sa démarche et la trilogie américaine. Grand merci Arman !
Frédéric Natuzzi: Comment est né ce projet de trilogie américaine ? Et pourquoi américaine ?
Arman Méliès: C’est avant tout un concours de circonstance qui m’a incité à travailler à partir de lieux américains. J’avais depuis longtemps commencé un disque inspiré de New-York et de l’oeuvre de Jean-Michel Basquiat, mais c’est en travaillant sur deux autres disques aux tonalités très différentes (l’un inspiré de l’art de James Turrell, l’autre de la Californie) que s’est peu à peu dessiné ce projet de trilogie américaine.
FN: Pourquoi avoir privilégié l’électronique pour cet opus ? Comment as-tu composé l’album ?
AM: J’avais depuis longtemps le désir d’aller vers ce genre de sonorité. J’avais d’ailleurs fait quelques tentatives dans ce sens sur AM IV, puis sur d’autres titres ici ou là, mais sans jamais être aussi radical. Il me semblait que le travail sur les textures que permet la musique synthétique se prêtait tout particulièrement à ce projet que je voulais plus paysagiste que narratif.
FN: Qu’est-ce qui te fascine dans le travail de James Turrell ? T’a-t-il inspiré les morceaux de l’album ou bien existaient-ils déjà sous une forme ou une autre ?
AM: J’ai découvert son travail il y a une dizaine d’années, et très vite, j’ai pensé écrire en m’inspirant de son art. A bien des égards, le « Roden Crater » est un oeuvre fascinante. Pour moi qui ai fait des études de géographie et qui ai donc un peu étudié la géologie, l’astrophysique, la climatologie, ce monument est un puits sans fond, au propre comme au figuré. J’ai donc commencé à composer sans véritable but, mais en ayant toujours en tête le travail de Turrell, et à collecter un certain nombre d’idées qui peu à peu se sont agencées presque naturellement pour composer le squelette de ce disque.
FN: Tu proposes un premier chapitre quasi instrumental alors que Vertigone et Echappées Belles Vol 1 avaient bien mis en valeur ta voix. Pourquoi avoir choisi de ne pas chanter, excepté sur un titre ?
AM: J’ai essayé à plusieurs reprises d’intégrer du chant, ou tout du moins des voix sur certains titres, mais à quelques exceptions près (notamment le titre « Dans La Mêlée »), les morceaux instrumentaux étaient plus fidèles à l’idée que je me faisais de ce disque. L’art de James Turrell est relativement minimaliste, malgré les moyens déployés pour construire certaines oeuvres, et je voulais moi aussi être assez économe pour laisser parler la petite voix intérieure de chacun.
FN: De même, il semble ne pas y avoir de guitare. Etait-ce facile de la mettre de côté ? Etait-ce un challenge ?
AM: Détrompe-toi, il y a ici ou là des guitares sur ce disque, mais elles ont été jouées et produites pour se fondre totalement à la matière première du disque, qui est principalement synthétique. En ce sens, c’était effectivement un petit jeu : faire en sorte de proposer une orchestration homogène, quelle que soit la source (guitare, voix, percussions acoustiques…)
FN: Tu cites Brian Eno ou John Carpenter comme « amis imaginaires ». En quoi leur musique est-elle une inspiration pour Roden Crater ?
AM: Si je tente de résumer de manière un peu simpliste la musique de Roden Crater, je dirais qu’elle est d’une part spirituelle et lumineuse, d’autre part tellurique et ombrageuse. Qui d’autres que Eno & Carpenter pour illustrer ces deux tendances ? Pour moi, ce sont là les deux facettes d’une même oeuvre. Même si bien d’autres influences sont présentes tout au long du disque.
FN: Je ne peux m’empêcher de revenir sur le thème du feu que tu as développé depuis AMIV, ici avec le Roden Crater qui est un volcan éteint. Est-ce purement le hasard ?
AM: Plutôt un clin d’oeil, un façon de clore, temporairement, le chapitre.
FN: Tu es seul musicien sur ce disque, comment as-tu procédé pour tout réaliser seul ? Sébastien Fouble, qui a mixé le disque, t’a-t-il conseillé ?
AM: C’est un projet au long cours, débuté il y a des années, parallèlement à d’autres disques, et notamment à Basquiat’s Black Kingdom, qui verra finalement le jour à l’automne. J’ai donc travaillé sur ce disque à différentes périodes et en différents lieux. Mais l’essentiel de la musique présente sur le disque à été finalisé dans mon propre studio, l’Oeil de la Lune. J’y ai enregistré seul toutes les machines, réelles ou virtuelles, les guitares, les voix, les programmations. Dans un second temps, j’ai passé près d’un an à retravailler cette matière sonore, éditant ça et là les titres, modifiant les structures, les textures, jouant avec les superpositions de timbres et les effets, notamment les saturations, prépondérantes sur l’album.
FN: On pense à différents moments de AMIV et Vertigone à l’écoute de Roden Crater, mais aussi au projet Gran Volcano de 2012. Pour toi, tous ces projets sont-ils liés par un même fil directeur ? Sont-ils tous des continuités les uns aux autres ?
AM: En effet, tout est lié et procède d’une même démarche. On peut considérer que le travail de recherche sonore effectué sur AM IV puis sur les lives de Gran Volcano peu de temps après constitue le départ de cette recherche esthétique, de ce désir de développer d’autres formats musicaux, d’autres univers sonores, plus abstraits et moins littéraires.
FN: Basquiat’s Black Kingdom (plus axé post rock et également instrumental) sera le second chapitre mais a déjà été incarné en 2011. As-tu retravaillé les morceaux ?
AM: C’est un projet au long cours, lui aussi. La grande majorité des titres ont été composés et enregistrés il y a plusieurs années, mais je n’ai eu de cesse de revenir sur ces morceaux jusqu’à très récemment, ré-enregistrant certains titres, en composant de nouveaux, pour que l’album soit cohérent et équilibré, et qu’il puisse dialoguer avec les deux autres disques. A mes yeux, même si ce deuxième volet est esthétiquement très différent de Roden Crater, il en est le parfait complément. Reste qu’il faudra attendre la parution du troisième chapitre de cette trilogie pour que tout prenne sens…
FN: Que peux-tu nous dire concernant le troisième chapitre ? Quel sera son univers ? Sera-t-il instrumental également ?
AM: Sans trop en dévoiler pour l’instant, je peux néanmoins annoncer que ce troisième disque, point final de la trilogie, sera plus proche de mes albums précédents. L’essentiel des titres y est chanté. Je retourne à mes fondamentaux, en quelques sortes.
FN: As-tu pensé à une tournée pour cette trilogie ? Comment mêler les univers de ces trois albums qui s’annoncent très différents les uns des autres ?
AM: La covid a bien évidemment chamboulé un peu nos plans concernant les concerts, mais il y aura bien une tournée à l’issue de ces différentes sorties. Le concert prévu au théâtre de la Ville en mars dernier devait justement permettre de présenter un aperçu des trois disques, et j’imagine que les concerts à venir iront dans ce sens.
FN: Comment as-tu vécu cette période de confinement et cette annulation de ton concert au Théâtre de la Ville ?
AM: Bien sûr, l’annulation fut une déception, mais la date devrait rapidement être reportée. Quant au confinement, ce fût une période assez étrange… partagée entre l’écriture de nouvelles chansons, la redécouverte d’un quotidien organisé autour de tâches essentielles tout autant que dérisoires, et l’observation sidérée d’une période anxiogène, trouble et incertaine. J’avais un peu le sentiment de vivre dans un dessin-animé pour enfants réalisé par David Lynch.
FN: Florian Schneider de Kraftwerk est décédé récemment, dans quelle mesure as-tu été (ou pas) influencé par sa musique ?
AM: Kraftwerk est à la musique électronique ce que Dylan est à la folk, en quelque sorte. Après eux, tout est différent. Ils ont instauré une véritable révolution esthétique. Une nouvelle manière de composer, de créer des univers sonores, de jouer en live.
FN: Une sortie physique de l’album est-elle envisagée et où pourrons-nous se le procurer ?
AM: Plusieurs choses sont en préparation, mais il faudra encore patienter un peu avant d’en savoir plus. Rendez-vous début 2021 ?
FN: Tu as composé des musiques pour des pièces de théâtre, cette musique pourra-t-elle être disponible via ton label ?
AM: Depuis près de trois ans, je collabore en effet régulièrement avec Emmanuel Demarcy-Mota et la troupe du Théâtre de la Ville de Paris. A l’évidence, ce travail influence aujourd’hui mon approche de la composition. Sans le travail effectué sur « Les Séparables » ou « Les Sorcières De Salem », Roden Crater aurait été bien différent. Et par ricochet, il influence aussi ma manière de composer de simples chansons, en allant vers plus d’épure et de concision. Ensuite, savoir si ce matériel composé pour la théâtre sortira sous une forme ou une autre un jour… Je crois que je manque de recul pour savoir si ces musiques si particulières peuvent constituer un disque à part.
Propos recueillis par Fred Natuzzi (Juin 2020).
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