ARC – Umbra

Umbra
ARC
2014
DiN

Arc Umbra

Ian Boddy est un vétéran, un authentique DiN…osaure, issu non pas du Jurassique mais de l’ère post-Berlin School. Ils ne sont plus guère qu’une poignée de cette ère héroïque. Certes la relève existe (Radio Massacre International récemment chroniqué, qui « sévit » encore avec quelques autres). Cela dit, même si cette Berlin School (qui a traversé le Channel ?) est à l’origine d’une certaine idée et du développement ultérieur de la musique électronique « grand public », elle est désormais étouffée, écrasée sous une avalanche de genres et de sous-genres : electronica, ambient, techno, dub, noise voire indus, qui tous ont forgé leurs sons et leurs styles en écoutant et en digérant les monuments de cette épopée via ses albums fondateurs : « Ricochet » (Tangerine Dream) ou « AutoBahn » et « Trans Europe Express » (Kraftwerk), avec leurs nappes de drones et leurs séquences « motoriques » typiques.

Avec son complice Mark Shreeve (leader du groupe Redshift), Ian Boddy n’a rien renié. Il avance seul ou parfois masqué sous le nom de ARC (pas si facile à trouver sur le net, tant il est discret, ça marche mieux en lui accolant DiN, tel un sésame). Il a déjà enregistré cinq à six CD sur son propre label DiN, sous ce nom codé qu’il réserve à des hommages répétés à la Berlin School, en particulier à de longues sessions improvisées ou parfois en live. Ce qui est à nouveau le cas ici, comme sur l’avant-dernier, « Church » (DiN 36, 2010). Ces CD signés ARC viennent s’ajouter à de nombreuses productions sous son nom, en solo donc, ou en duo comme pour ARC, mais avec d’autres compères tels Bernhard Wöstheinrich ou Markus Reuter (sans oublier le bien connu Robert Rich, à trois reprises), pour une electronica haut de gamme ciselée et mâtinée d’ambient, certes moins berlinoise ou rétro, mais tout aussi superbe.

ARC Band

Côté matos (et donc, côté son), on est dans l’analogique pur et dur ou son équivalent, c’est-à-dire des synthés modulaires et séquenceurs qui sonnent comme à la grande époque des seventies, même si laptop et synthés virtuels complètent l’arsenal vintage pour aider le duo à maîtriser les contraintes de la scène live. Ian Boddy avoue d’ailleurs sur son site que pour cette session live enregistrée en octobre 2013 au Theater de Enck à Oirschot (Pays-Bas), lui et son complice ont dû mettre les séquences en boîte avant le show, afin de pouvoir se concentrer sur les solos de synthé et d’éviter plantages ou transitions délicates qui font toujours tâche pour le public d’aujourd’hui (un public qui n’imagine même pas la difficulté à piloter en direct les bestioles capricieuses et parfois imprévisibles que sont les séquenceurs analogiques).

Au résultat, comme pour leur alter ego Radio Massacre International déjà cité, ces six longues plages de 10 à 18 minutes (excusez du peu) sont à nouveau des clones bien fichus des concerts de la meilleure époque du Dream. Cela dit, peut-on parler de clonage ou de copie quand, dans l’esprit, il s’agit d’improvisations ? Assurément non, et le combo ARC a sa propre signature sonore, souvent très rythmique, aux sons très travaillés et aux solos plutôt TDream que schulziens. Même si « Arcadia » commence assez soft (normal, vu le titre, il s’agit là de tapestry music décrivant un paysage ou un pays rêvé), les séquences reviennent très vite sur un beat infernal avec « Proxima Obscuro ».

Puis, sur le titre éponyme « Umbra », une autre séquence mid tempo majestueuse, avec des réminiscences de la B.O « Sorcerer » du Dream d’avant 80. « Autostratus » est plus léger et aérien, y compris la séquence, alors que « Panthera » enfonce à nouveau le clou d’un martèlement métronomique implacable sur fond de nappes sombres, pour finir par un « Cherry Bomb » qui débute presque romantique, avec sa séquence légère et quelques échos se rapprochant parfois de notre Jarre « national » à ses débuts, avant que ne se déclenche une séquence martiale digne du Schulze historique (celui d’avant 80 et de l’ère du digital, comme je disais plus haut).

Au final, « Umbra » est un autre « grand » album du duo ARC ; cela dit, sans jamais vraiment surprendre, aucun n’a jamais déçu, comme toute bonne recette préparée avec amour dans les « vieux pots ». Au point que, même face à la pénurie relative de musiciens reprenant le flambeau de la Berlin School seventies, on peut dire que ce duo-là met la barre très haut et qu’il est sans doute l’héritier le plus méritant et obstiné de l’école berlinoise, ce courant devenu souterrain (faut-il dire underground ?). Les prétendants à ce titre sont rares en effet ; depuis ses débuts, Radio Massacre International a quelque peu évolué dans son style et ses prétentions, vers une electronica plus générique et moins typée, moins orientée vers l’hommage à tout prix que la poursuite de la route vers d’autres horizons.

D’autres encore (les Français n’en sont pas absents, on les trouvera dans les pages de C&O) ont dans leur production des allusions et clins d’œil appuyés mais avec leur propre style, sans être aussi radicaux. ARC conserve donc le flambeau. Ce duo de choc cache des purs-et-durs de la Berlin School, des intégristes ? (oups, que n’ai-je pas dit là !) Et ça fait du bien, de trouver à se mettre sous la dent un peu de « neuf » fait avec du vieux (disons du vintage !) si on a déjà en tête ou si on connaît par cœur tous les albums historiques du Dream et de leurs émules, toutes leurs séquences qui déménagent.

ARC c’est tout à fait ça, c’est à chaque album un voyage dans le temps, un saut musical d’une quarantaine d’années en arrière, un « Retour vers le futur passé ». Et même si on n’y était pas (car pas forcément né à l’époque), on peut quand même aimer, voire préférer ça de loin à la masse d’ambient au kilomètre qui encombre un peu trop les autoroutes de la musique.

Alors n’hésitez pas, car il n’y en aura pas pour tout le monde. Depuis le début du label, les productions DiN (et en particulier celles signés ARC) sont en série limitée, à savoir 1000 exemplaires pour celui-ci.

Jean-Michel Calvez (9,5/10)

http://www.din.org.uk/din/

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