Anna von Hausswolff – Ceremony
Kning Disk
2013
Jean-Michel Calvez
Anna von Hausswolff – Ceremony
Gothique, vous avez dit gothique ? Visuel, titres des morceaux et jusqu’au nom de l’artiste le sont. La jeune suédoise Anna Michaela Ebba Electra von Hausswolff ne fait pas dans la facilité dans un univers pop rock où certains codes visuels et autres semblent incontournables pour y être vu et entendu. L’apparence est trompeuse. Ceremony (le CD, voire le nom de l’artiste), pourrait être un florilège de toccatas de quelque obscur maître de l’orgue de la Renaissance flamande, sous un packaging aussi sombre et glauque que la crypte d’une église déserte par un jour glacé de pluie ou d’enterrement : une austérité absolue, pas de nom d’artiste en façade (un risque calculé ?) ; bref, un minimalisme à rendre jaloux le designer de Cyclic Law et autres labels de dark ambient. Sans indice ni « marque de nationalité », ce digipack insolite est donc un OVNI aussi dark et furtif (et invisible dans le bac d’un disquaire) qu’un chasseur F117 volant de nuit au-dessus de l’Irak. La photo, close-up granuleux et sale de tuyaux d’orgues en acier bruni aussi menaçants que des armes à feu alignées, a l’allure de masques d’un groupe de pénitents en robe et capuche de bure noire en plan serré, lors d’un sombre rituel moyen-âgeux. Dead Can Dance avait usé d’un concept assez similaire sur la pochette très dark de leur Garden Of The Arcane Delights.
Et la musique ? Ceremony l’est assurément, cérémoniel, glauque et rituel : gothique, en résumé, tant par les titres que l’ambiance ; du « funeral pop », a-t-on pu lire aussi. Et l’on pourrait voir en Anna von Hausswolff la « sœur en négatif » d’Agnès Obel, qui aurait troqué violoncelle et piano minimaliste à la Satie pour l’orgue liturgique et des synthés lugubres, minimalistes aussi, mais plus proches des drones et des accords menaçants du Klaus Schulze d’Irrlicht que de la virtuosité d’un Rick Wakeman dans « Going for the one ». Avec des titres « peu engageants »» voire explicitement funéraires (« Epitaph of Theodor », « Deathbed » ; tout un programme !), les premiers titres annoncent d’emblée la couleur avec Anna en solo sur un véritable orgue d’église (pipe organ), y plaquant des accords sombres entre doom et drone, avant que s’y ajoutent des percussions martiales et sa voix déchirée d’outre-tombe. Le climat s’apaisera un peu par la suite, avec des sonorités plus habituelles et plus « musicales » : orgue plus léger et dansant sur « Mountains Crave », guitares ambientes saturées de reverb, puis la voix de la demoiselle, moins funéraire cette fois et devenue lyrique, conférant enfin un brin de chaleur humaine aux sons toujours glaçants de l’orgue.
Globalement, l’album est assez proche de la signature sonore et de la philosophie du label historique 4AD d’Ivo Russell Watts ou, pour préciser, d’un This Mortal Coil orienté claviers analogiques. La face sombre des Cocteau Twins, en somme. Gothique par le look et les thèmes : pipe organ et synthés très dark jouant un rôle majeur dans la tonalité d’ensemble ou plutôt, une sorte d’heavenly détourné et mutant, assombri par les drones, entre post-rock (pour les guitares) et darkwave (pour les claviers). Cela dit, dark, tout ne l’est pas à ce point car, vers le milieu du CD, la voix d’Anna von Hausswolff mute moins haut perchée et moins grinçante, bien plus lumineuse que sur les premiers titres, dont le lugubre et terrifiant « Deathbed » à la vidéo gore (déconseillée aux âmes sensibles !). En duo avec sa sœur Maria, la voix fragile d’Anna éclaire enfin cette atmosphère délicieusement pesante et mystique pour devenir angélique, presque céleste. Comme si les ténèbres et la morbidité funéraires plombant les premiers titres laissaient peu à peu la place à la lumière du jour et à l’espoir. Une sorte de concept album évolutif menant l’auditeur des ténèbres et de l’affliction les plus désespérées vers la lumière (certes toujours brumeuse) et la rédemption, pour se conclure sur un « Sun Rise » encore timide mais plus optimiste.
À ce titre, la section centrale est un petit bijou, résumé de l’album tout entier et de sa progression. À savoir l’enchaînement constitué de l’intro « No body », long drone dark ambient le plus sombre et menaçant qui soit, soudain éclairé et transformé par l’arrivée des voix lumineuses en canon, sur « Liturgy Of Light » puis « Harmonica », dans un registre vocal intimiste, irréel et quasi-mystique, d’hymne religieux mutant. En comparaison, les deux titres suivants sont un peu plus banals (dont « Ocean », proche du style d’Agnès Obel, avec son piano minimaliste et cyclique imitant le ressac des vagues), juste avant que la magie opère à nouveau avec les mêmes moyens vocaux sur « Funeral For My Future Children », puis « Sun Rise ». Une magie des voix féminines ou plutôt, de l’harmonie de voix en canon, rappelant dans l’esprit les albums heavenly de Chandeen (Pandora’s box ou Echoes, sur le label Kalinkaland) ou certains morceaux élégiaques et down tempo de Loreena McKennitt (l’ambiance celtique en moins, remplacée ici par des paysages nordiques plus glacés…)
Le visuel à la Cold Meat Industry et les messages (titres et lyrics) sont dignes d’un Dark Sanctuary, dans une version moins liturgique, plus intimiste et monolithique car moins orientés sur les chœurs et la polyphonie que, malgré tout, sur la performance individuelle. En effet, fût-elle accompagnée par une poignée de musiciens (guitares électriques, clavioline, percussions, synthés et backing vocals féminins), cela reste avant tout l’œuvre d’une songwriter douée pour créer par des moyens très personnels une ambiance elle aussi très personnelle. L’orgue d’église en est le « point d’orgue », un instrument très inhabituel dans l’univers pop rock, au sens large du terme, et rarement utilisé dans ce registre parfois funéraire, car bien plus proche du ritual dark ambient que de la toccata baroque virtuose parfois clinquante qu’avaient mis en avant Keith Emerson ou Rick Wakeman.
Malgré tout ce que l’on vient de dire sur sa noirceur délibérée, Ceremony n’est pas réservé aux fans de dark ambient ou de gothique mystique rituel (dont les meilleurs représentants seraient Raison d’être ou le sublime The Entrance to Salvation de Letum sur Cold Meat Industry). En effet, le concept et la tonalité globale de cette longue suite « funeral pop » sont ici un chemin ascendant, qui nous mène des drones menaçants d’un orgue issu des enfers vers la lumière fragile et hésitante d’une paix ou d’un paradis enfin retrouvés – mais lesquels ? Loin d’user de gimmicks connus, de la majesté trop facile de chœurs synthétiques ou d’effets de manche gratuits, la voix d’Anna von Hausswolff, hantée ou émouvante, à la fois fragile et lyrique, vient appuyer puis contrebalancer les lourds accords d’un orgue et de claviers analogiques. Et aussi sombre soit l’ambiance générée, tout cela s’avère in fine très humain et empli d’espoirs, plutôt que souterrain, funéraire ou chtonien.
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