Ange – Heureux !
Art Disto – L’Autre Distribution
2018
Ange – Heureux !
Attardons-nous un instant sur l’emballage. Le sticker nous dit : « Anniversaire 50 ans ! Un des plus grands groupes rock français de tous les temps », là-dessus aucun doute. Mais je me pose la question, Ange n’est-il pas le groupe français le plus ancien encore en activité ? Après pas mal de recherches, je n’en vois pas d’autres. Il me semble que Tri Yann, toujours bien vivant, soit juste derrière. Alors bravo messieurs de maintenir à flot ce majestueux navire. Bien sûr le capitaine a renouvelé son équipage, mais l’esprit est toujours là et ce 24e album studio continue la légende. La pochette signée, comme toujours, par Phil Umdenstock nous montre un soleil cyclopéen souriant nous annonçant un Ange Heureux !. Sûr que cela va attirer le regard (du moins je l’espère) de tous ceux qui fréquentent encore les disquaires. C’est une citation de Prévert : « Et si on essayait d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple », qui a suggéré le titre. Le propos sera donc optimiste et lumineux, sans pour autant tomber dans la béatitude.
À noter que l’enregistrement s’est passé en public mais dans des conditions studio à l’EDEN de Sausheim, dans le Haut-Rhin. Les 600 privilégiés ont donc été conviés à partager ce grand moment à condition de ne manifester aucun sentiment. Pour certains, ça n’a pas dû être simple à mon avis. L’album débute avec le très introductif « L’Autre Est Plus Précieux Que Le Temps ». Excellent morceau pour mettre le feu en début de concert. On constate aussitôt la qualité de l’interprétation très carrée avec un Benoît Cazzulini impressionnant à la batterie et Tristan Décamps original dans son solo façon harmonica. Bien sûr la voix du Père n’a plus la puissance d’autrefois, mais c’est quand même diablement convaincant. En revanche, son timbre si caractéristique est toujours intact. Changement d’ambiance avec « Ce Que Murmurent Les Pierres » et son chant qui nous rappelle « Aurélia » d’Émile Jacotey. Cette façon si spéciale qu’a Christian de frôler la dissonance et d’exécuter un numéro d’équilibriste vocal. Une très jolie chanson accompagnée de façon poétique par la basse caressante de Thierry Sidhoum. Deux morceaux assez classiques qui vont servir d’introduction aux trois perles suivantes.
Nous rentrons donc dans les grands moments du disque avec tout d’abord « Jour De Chance Pour Un Poète En Mal De Rimes ». Une composition à tiroirs typique du style Ange et de son rock progressif. Cela commence par un puissant solo de guitare d’Hassan Hajdi, suivi de riffs très lourds soutenant le discours du poète (certainement du vécu) face à la page blanche. On passe les presque neuf minutes du morceau en alternant des atmosphères lourdes avec des moments plus calmes, une vraie réussite. À la fin, le second solo de guitare plus aérien est une merveille. « Sens Et Jouissances », qui aurait pu figurer sur Culinaire Lingus, est une petite valse lente à la mélodie superbe qui parle d’amour avec des mots choisis dans le catalogue coquin de l’ami Décamps. J’adore cette chanson, une de mes préférées. On arrive alors au sommet du disque avec « Nancy – Jupiter À La Nage », un drôle de titre pour une drôle d’histoire, qui nous raconte comment les rêves d’enfant peuvent un jour se réaliser. La musique, à la fois symphonique et aérienne, s’accorde parfaitement au discours onirique. Presque dix-sept minutes de bonheur avec Tristan sur une partie du chant et Hassan qui nous décomplexe des guitaristes d’Outre-Manche. Du très grand Ange. À signaler la présence du lithophoniste Fabrice Bony au début du morceau. Un musicien qui se sert de pierres et d’autres éléments de la nature comme moyen d’expression. Ses prouesses valent de s’y arrêter un instant, vous verrez c’est fascinant.
Alors bien sûr, la suite aura un peu de mal à rivaliser. « À Tort Ou À Raison » est une petite chanson sans prétention qui permet au Père de faire une mise au point sur sa vie, son œuvre et le monde qui l’entoure. « Charabia », superbement illustré par Phil Umdenstock, lui sert, comme souvent, à jongler avec les mots et « Heureux ! » vient mettre des paroles pleines de joie et d’optimisme au titre de l’album. Puis arrive « Chante N’importe Quoi » qui finit cette belle partition avec un texte plus acide mais tellement vrai. C’est un morceau idéal pour clôturer un show, avec un refrain à reprendre en chœur, et un final au clavier qui peut s’étirer à volonté. En bonus figure ce même morceau en version courte avec une fin très disco.
Alors oui cet album est bon, très bon même. C’est du Ange comme on l’aime, avec de vraies pépites qui resteront parmi les plus belles du répertoire angélique. J’ai souvent vu Ange en concert et même rencontré le Père et le Fils. Ce fut toujours chaleureux, convivial et de grande qualité. Il faut vraiment entretenir ce monument de la scène française et ce n’est pas les médias nationaux qui nous aideront. En revanche, Ange pourra toujours compter sur son public de fidèles pour propager le rêve.
Thierry Folcher