Andrea Bruera – Lost, Found

Lost, Found
Andrea Bruera
2015
SØVN Records

Andrea Bruera Lost Found

« Lost, Found » d’Andrea Bruera, est le premier EP de cet artiste sous son nom ; et c’est à la fois le tout premier EP (3 titres) du tout nouveau label, SØVN Records, dans le genre des musiques électroniques expérimentales : drone / ambient / noise… voire « post-everything » (sic), formule qui résume en un mot leur philosophie. Le label se veut aussi délibérément international et son nom, issu du danois SØvnlaboratorium, qui signifie « sommeil », a été choisi aussi pour son esthétique. Toutes nos félicitations aux heureux concepteurs de ce superbe premier opus. Superbe en effet, car sa dimension « inter-média » (sic), notamment visuelle et esthétique, est (presque ?) aussi importante que la musique pour ses concepteurs, qui ont aussi des projets de showcases, de scène live en Europe, et de collaborations diverses avec d’autres labels, bref, une ouverture maximale sur le monde réel. On leur souhaite longue vie dans ces multiples activités.

Les trois titres de cet EP acte de naissance sont assez courts (de 5 à 6 minutes), dans un registre globalement drone/noise à la Tim Hecker, mais il s’y ajoute une nette dimension post-rock similaire à Godspeed you! Black Emperor ou Light of Shipwreck (beaucoup moins connu, mais plus proche). Et ça n’est sans doute pas un hasard, car Andrea Bruera a déjà œuvré dans ce genre et bien d’autres encore, métal ou expérimental, au sein de plusieurs groupes, avant de lancer ce premier opus sous son propre nom.

Andrea Bruera

La particularité de ces trois titres est que s’y trouvent fusionnés de superbe manière sons électroniques ou field recordings, et « vrais » instruments (ceux du rock ou du post-rock ?). Et ceux-ci y sont utilisés en tant qu’instruments, au lieu de se limiter à en sampler les timbres. A savoir une mandoline, des synthés (a priori non virtuels ?) et, plus inhabituel, une batterie acoustique dont les rythmes, bien plus que les sons, ont été ici manipulés, déconstruits puis reconstruits. Tout cela se mélange de façon surprenante mais harmonieuse, c’est-à-dire que la fusion a bien pris, comme on dit en (al)chimie… ou en cuisine ? Et sur cet EP, le résultat dépasse tant la somme de ses parties que les frontières d’une étiquette unique.

Andrea Bruera dit lui-même que cet EP est né sous le signe de la « concentration », à savoir le focus, la fusion de plusieurs composantes (artwork compris), formant le tout que constitue cet EP, dopé par sa dimension inter-media revendiquée. La batterie y est donc très reconnaissable, mais exploitée selon des schémas rythmiques « brisés » ou déstructurés assez complexes (rappelant la manière d’Autechre, notamment sur les premier et troisième titre ; ou encore, en allant chercher cette fois bien plus loin dans le temps, les fameux « accords brisés » des luthistes français du 17ème siècle ?).

Hormis qu’il s’agit donc ici d’une « vraie » batterie, et non pas de beats synthétiques, sur des schémas rythmiques plus asynchrones que polyrythmiques, qu’Andréa Bruera associe au concept très organique de « broken bones », en lien avec les notions de dispersion, d’irrégularités dans la dé-destruction et/ou la reconstruction d’un os brisé ? Sordide, direz-vous ? Mais non, juste conceptuel et biologique puisque, dans le corps humain, ce qui a été brisé repousse et se « reconstruit » toujours, même si c’est de façon différente ! En somme, on pourrait voir là une sorte d’antithèse, version sonore, de la théorie de la déconstruction de Derrida ? Difficile à expliquer, tout cela ? Certes, mais la musique et sa vidéo sont plus qu’explicites sur ce plan et « valent mieux qu’un long discours », comme on dit en France.

Sur la vidéo de « She Sells Sea Shells By The Sea Shore », premier titre en jeu de sonorités sifflantes, l’allusion à broken / la destruction est limpide, bien qu’inversée, c’est-à-dire reconstruite ; un clip superbement réalisé par Anna Rubi, une artiste multimédia associée de très près à ce projet et au label pour illustrer sur mesure chacun de leurs morceaux. S’il y avait des regrets, disons un seul, ce serait que ces trois morceaux soient si brefs (avis d’un fan de musiques « progressives » qui prennent tout leur temps), car ils supporteraient sans mal un développement un peu plus prolongé (mais peut-être est-ce une formule qui sera réservée à la scène ?).

Cela dit, compact ou pas, ce qui est fait est impeccable et sans reproche ; c’est ce qui importe, et on en redemande. Alors, à quand la prochaine galette de chez SØVN Records ? C’est pour très bientôt, semble-t-il, car sont attendus ces prochains mois une poignée d’autres sorties dans le même registre, par les autres artistes fondateurs du label.

Jean-Michel Calvez (10/10)

https://sovnrecords.bandcamp.com/releases

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