Altesia – Paragon Circus
Autoproduction
2019
Rudzik
Altesia – Paragon Circus
Altesia est un mot qui sonne bien, tellement bien que sur la toile c’est pêle-mêle le nom d’un cabinet expert en médiation, d’une compagnie d’électricité, d’une plateforme de compétences financières mais, et c’est là où ça devient intéressant, surtout celui d’un groupe bordelais très prometteur. Il s’agit du projet de l’émérite chanteur/guitariste Clément Darrieu, son nom de groupe évoquant pour lui un arbre (une métaphore de l’humanité) dont la croissance serait sans limite (imagé dans son logo). Clément est connu également pour œuvrer activement au sein de la vénérable association Eclipse, organisatrice de concerts sur le Bordelais et animatrice de l’émission U.G.U.M. tous les jeudis soirs sur O2 radio consacrée aux musiques progressives. Incontournable ! Et justement, c’est à l’écoute de cette émission animée par l’inénarrable Fabrice que, tels les marins d’Ulysse par les sirènes, mes oreilles ont été envoûtées par le rock/metal progressif équilibré d’Altesia.
Encore sous le coup de ce charme ensorcelant, je me précipitais sur mon clavier pour contacter le sympathique Clément qui, tel le génie d’Aladdin, éclaira ma lanterne (sans doute l’avais-je frottée… la lanterne, pas Clément… OK je sors !) au sujet de Paragon Circus, le tout premier album d’Altesia, fraîchement sorti.
Voici un opus qui traite assez amèrement du modèle (parangon) de monde façonné par l’être humain qui le mène à sa perte tout en étant incapable de le remettre en question pour y échapper. Vaste sujet qui me parle. Donc, si je résume, la musique m’envoûte et les textes me parlent. En voilà deux bonnes raisons pour en tirer une chronique non pas martienne à la Bradbury mais bien terre à terre puisque c’est du destin d’un terrien dont il est question.
Altesia ouvre la boîte de « Pandora » avec leur péché mignon : l’acoustique pour un prélude à cette galette alléchante, une parfaite mise en bouche avec ses chœurs mélancoliques à souhait mais le meilleur reste à venir. Ce sont réellement cinq pièces de choix qui vont se succéder par la suite avec la multitude de tiroirs qui convient à ce style de commode progressive (le meuble, pas l’empereur sanguinaire romain qui, contrairement à son nom, n’était pas commode, ah ! J’étais revenu ? Bon ben je ressors).
Et justement, parlons-en des préludes. Chacun de ces titres est remarquablement introduit qu’il s’agisse du piano suivi du riff à la Opeth de « Reminiscence », de la majesté d’« Amidst The Smoke », du blast de « The Prison Child », des vocaux poignants d’« Hex Reverse », du tellurisme de « Cassandra’s Prophecy », c’est un sans faute. Fort heureusement, ces morceaux ne se circonscrivent pas à leur introduction. Ils sont résolument teintés de certaines des influences d’Altesia, à savoir, selon Clément, Steven Wilson, Between The Buried And Me et Opeth, auxquelles je rajouterais volontiers Dream Theater. Certains trucs m’ont vraiment botté comme les passages enjoués d’orgue Hammond à la John Lord délivrés par Henri Bordillon sur pratiquement chaque titre. Également, la partie funky de « Reminiscence » solidement imprimée par la section rythmique formée par Antoine Pirog (basse) et Yann Ménage (batterie) avec un solo de saxophone épatant de Julien Deforges, un invité issu de Bokale Brass Band, un groupe de… fanfare/cuivres typé New Orleans ! Et d’ailleurs les invités ne sont pas des grands noms « pour faire style» mais des potes surdoués dont la contribution apparaît essentielle lorsqu’on l’identifie. Les growles en background et en soutien du chant de Clément sur « Hex Reverse » et « Cassandra’s Prophecy » d’Esteban Sainz et le violon entêtant de Thibault Malon (Unicorn Blaster tous les deux) ne font pas de la figuration.
Qui dit premier album dit péchés de jeunesse (quand on disait qu’il ne fallait pas l’ouvrir cette boîte de Pandore, source de péchés) et forcément, Paragon Circus n’en est pas exempt. Certaines transitions manquent de fluidité (« Cassandra’s Prophecy ») et le chant de Clément, clairement dans les sphères d’un Gilmour ou d’un Wilson, apparaît parfois un peu timoré (« Reminiscence »). Au niveau de la production, un son plus rond et musclé aurait pu doper la section rythmique bien qu’il faille noter un mix « maison » de qualité dans lequel, tous les instruments s’entendent très distinctement. Je reconnais que l’équilibre à obtenir est toujours très fragile avec, en filigranes, la tentation de saturer le paysage sonore pour obtenir ce gros son et « À cela, tu ne succomberas pas » (comme le dirait Obi-Wan Kenobi). Donc, ces broutilles ne délitent pas l’ensemble : on a réellement affaire à un sacré bon opus et quand-même bien produit.
Le faux rythme d’« Amidst The Smoke », où Altesia traite de la fascination humaine envers un fléau addictif et pervers à savoir l’argent, crée une ambiance aérienne ballottée entre les rafales d’arpèges guitaristiques assénées par Alexis Casanova. Si les riffs de Clément et les parties acoustiques qu’il délivre avec beaucoup de sensibilité sont la charpente ouvrière de tout l’album, les soli d’Alexis laissent pantois en particulier sur « Hex Reverse » (où l’on apprend que les concepts de « gentils » et « méchants » ne sont pas manichéens) et sur le final de « Cassandra’s Prophecy ». Il faut dire que ce dernier titre démontre tout au long de ses dix-sept minutes l’étendue du potentiel et la richesse du propos musical d’Altesia. Les dieux avaient condamné Cassandra la prophète à ce que ses prédictions ne soient crues par personne et bien force est de constater que ce morceau épique et classieux permet de prédire à Altesia un avenir créatif radieux et moi j’y crois !
Pour parvenir à cette récompense ultime, il aura fallu passer par deux plages très versatiles et « opethiennes » : « The Prison Child », un concept à l’opposé du célèbre « J’Irais Au Bout De Mes Rêves » de J.J. Goldman (en fait, c’est de l’emprisonnement des rêves d’enfants dont il est question vu qu’on ne les réalise pratiquement jamais du fait de la pression sociale) qui, en son sein, donne un coup d’accélérateur bienvenu à Paragon Circus puis « Hex Reverse » se « pachydermisant » par de puissants à-coups. Ça n’est surtout pas un chemin de croix mais plutôt un tremplin vers le nirvana prophétique de « Cassandra’s Prophecy » car en définitive, il n’y a rien à jeter dans cette rondelle. La justesse de son propos est à proprement parler étonnante pour un premier jet.
Alors, inutile de décortiquer outre mesure une œuvre dont il est impossible de faire le tour en seulement quelques écoutes. Il est indéniable qu’Altesia a frappé un grand coup avec ce premier LP ambitieux, pantagruélique mais jamais outrecuidant ou pompeux… même si je me suis surpris à faire côtoyer dans cette chronique Ulysse, Aladdin, Ray Bradbury, l’empereur Commode, Obi-Wan Kenobi et… J.J. Goldman. Diantre !
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