Alexandra Stréliski – Inscape

Inscape
Alexandra Stréliski
Secret City Records
2018
Thierry Folcher

Alexandra Stréliski – Inscape

Alexandra Stéliski Inscape

Jamais titre d’album n’a aussi bien porté son nom. Inscape (contraction de Inner Landscape), c’est l’aventure intérieure, le voyage vers nos paysages intimes et profonds. La musique d’Alexandra Stréliski a cette capacité d’arrêter le temps pour nous permettre d’entreprendre ce cheminement introspectif. D’un point de vue cinématographique, c’est comme si le décor autour de nous s’arrêtait de vivre pour laisser notre esprit prendre possession des lieux. La première impression, c’est que cette déconnexion fait un bien fou et répond à un besoin salutaire de ralentir notre cadence habituelle. La simplicité apparente des mélodies nous laisse la liberté d’illustrer à notre façon chaque passage du disque. Inscape est une œuvre d’art que l’on doit ressentir de façon personnelle et qu’il est difficile de partager. Les onze titres de l’album sont autant d’aventures à rassembler et à savourer égoïstement pour y construire notre propre histoire. Inscape c’est aussi un « packaging » particulièrement réussi, en parfaite harmonie avec la musique. La simplicité des dessins d’Elisabeth Gravel, ainsi que l’absence de repères évidents, nous offrent la même liberté d’interprétation.

Mais qui est Alexandra Stréliski ? Cette jeune pianiste franco-canadienne d’origine polonaise s’est d’abord fait connaître en 2010 avec un premier album auto-produit, Pianoscope, largement partagé sur les réseaux sociaux grâce à un bouche à oreille épidémique. Ensuite, sa rencontre avec le cinéaste Jean-Marc Vallée et ses apparitions sur des bandes originales de film (la série « Big Little Lies » notamment) ont fait le reste. Le cas Stréliski pouvait désormais sortir de l’anonymat et enflammer la planète. Rigoureuse interprète classique, Alexandra nous émeut encore plus avec ses propres compositions. Cette faculté de créer des images avec ses phrases mélodiques n’appartient qu’à elle. Une aptitude qui va directement rechercher l’émotion chez l’auditeur. Sa démarche ressemble d’assez près aux musiques cinématographiques de Sylvain Chomet (« L’Illusionniste ») et de Yann Tiersen (« Amélie Poulain ») ou se réfère à la contemplation gymnopédique d’Erik Satie. Des compositeurs qui ont fait du piano une arme qui vise directement le cœur. Pourtant, Alexandra évoque ses propres souffrances, la vulnérabilité du piano solo et sa difficulté de jouer devant un public. Elle a dû faire, elle aussi, son voyage intérieur pour en ressortir plus forte et plus lumineuse.

Alexandra Stréliski Inscape Band 1

Inscape a été enregistré au Studio PM à Montréal et réalisé par Alexandra elle-même, assistée de son fidèle collaborateur Maxime Navert. Par rapport à Pianoscope, on constate aussitôt que la musique est plus enveloppante et occupe plus d’espace. La collaboration talentueuse de Taylor Deupree et de Pascal Shefteshy ainsi que l’ajout de discrets montages sonores en arrière plan y sont certainement pour beaucoup. Il s’est passé huit ans entre les deux albums et tel un papillon sorti de sa chrysalide, Alexandra semble libérée et maîtresse de son art. Son toucher est souple, instinctif et rempli de grâce. Cela se vérifie d’entrée avec « Plus Tôt », un premier titre où notre montréalaise tisse en quelques notes un décor propre à la rêverie. Une belle introduction où les phrases  mélodiques se succèdent de façon évidente. Ne croyez surtout pas qu’Alexandra utilise systématiquement la lenteur et la suspension comme arme de séduction. Sur ce morceau, c’est tout l’inverse, le tempo est rapide et joyeux, ce qui ne l’empêche pas de nous faire « sortir des clous ». Le voyage onirique est enclenché, et à moins que votre smartphone ne vibre, le retour sur terre devra attendre. Attention, écouter Inscape, c’est se déconnecter de tout, dans tous les sens du terme.

La suite du disque va nous promener clopin-clopant « The Quiet Voice » avec une grâce et une légèreté admirables. On vivra des moments intimes « Par La Fenêtre De Théo » où le piano se substitue au narrateur et à la caméra. Alexandra a inventé un langage capable de décrire les émotions plus intensément que n’importe quel discours. « Ellipse » est d’une douceur incroyable et ressemble à ces moments de fin de soirée où le pianiste improvise quelques dernières notes pour lui tout seul. Mais que dire de « Changing Wind » que l’on pourrait mettre en illustration de n’importe quelle scène de vie où les personnages poseraient, sourire aux lèvres, face au cameraman. Une merveille de composition terriblement optimiste. On se laisse porter, morceaux après morceaux, dans le monde d’Alexandra et on s’approprie sa musique. On y met nos propres histoires et nos propres sentiments. « Interlude » est très alerte et, comme l’explique la belle canadienne, ressemble à un voyage en train à la destination inconnue. Un titre qui va nous mener vers des contrées plus sombres et plus douloureuses. Tu plonges « Blind Vision » et tu te révoltes « Burnout Fugue », deux pièces qui font référence au passé douloureux de l’artiste mais qui parlent à chacun de nous. Le rythme s’apaise « Overturn » avec des mélodies qui portent des mots. La musique se chante et les paroles viennent toutes seules. L’album se termine sereinement avec « Revient Le Jour » et « Le Nouveau Départ », deux titres en conclusion d’un parcours de vie cahoteux mais intensément riche. Bravo Madame Stréliski.

Alexandra Stréliski Inscape Band 2

Inscape est un album à la fois personnel et universel. Alexandra Streliski a déversé toutes ses émotions sur ces onze titres et nous les offre comme guides à nos propres tourments. Tous ceux qui, comme moi, ont succombé à ces instants de pur bonheur musical connaissent désormais une nouvelle amie qui risque de nous aider très souvent à ralentir la cadence, à regarder autour de soi et surtout, à regarder en soi.

www.alexandrastreliski.com

 

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