Aeris – Temple
Aeris
Ex-Tension
Il y a des albums estampillés metal qui font mouche dès le premier contact, des œuvres à la production clinquante, aux mélodies qui interpellent et aux compositions pleines d’esbroufe, mais dont on se lassera vite une fois passé l’effet de séduction immédiate. D’un autre côté, il y a des disques à la conception plus artisanale souvent sortis de nulle part, qui pourront laisser l’auditeur quelque-peu dubitatif lors du premier rendez-vous, mais qui révéleront une réelle substance, un univers singulier et un incroyable pouvoir attractif renouvelé au fil des écoutes. « Temple », le nouvel EP du groupe Nantais Aeris, appartient incontestablement à cette seconde catégorie, et il m’est avis que ce bel ouvrage instrumental, riche de technicité et d’atmosphères fluctuantes, s’installera durablement dans les esprits et les discothèques des mélomanes curieux. Aeris apparait sur la scène musicale en 2004, à l’initiative de Manuel Adnot de Sidony Box (génial power trio rock imbibé de free-jazz !), du bassiste et vocaliste Samuel Diné, et du batteur Boris Louvet (officiant également dans Le Dead Projet, combo orienté post-hardcore). La musique des trois compères, riche des influences de chacun, lorgne tout autant du côté du metal que du jazz, avec un goût (et un talent) prononcés pour l’improvisation live.
Il faudra cependant attendre l’année 2009 pour voir surgir leur premier CD au titre éponyme, avec une magnifique pochette illustrée par Clémence Bourdaud, un artwork rappelant un peu l’innocence infantile et une cruauté extrême combinées avec l’hilarante (et ultra-gore !) mini série animée « Happy Tree Friends ». Il convient ici de préciser que Clémence est membre à part entière du projet Aeris, celle-ci jouant un rôle graphique important durant les concerts du combo, projections vidéo et créations spontanées à l’appui. A travers ce premier essai, les nantais affirmaient déjà une identité bien trempée, et des influences parfaitement digérées, pour un résultat naviguant entre metal progressif, jazz groovy et effluves post-rock.
C’est avec un line-up quelque-peu remanié qu’Aeris nous livre aujourd’hui sa nouvelle galette baptisée « Temple », toujours illustrée par la très talentueuse Clémence Bourdaud et son style « BD morbide » (sachant que la dessinatrice a plus d’une corde à son arc en la matière !). Cerise sur le gâteau, l’album voit le jour sous l’égide du label Ex-Tension, filiale de Seventh Records, maison renommée bien connue des fans de Magma. Les rênes du groupe sont toujours tenues par Manuel et Boris. Emerson Paris (ex-Lemurya, autre groupe rock nantais au style hybride et très original) vient remplacer Samuel qui a depuis quitté le navire (mais qui est toutefois crédité à la composition du remarquable « Flame »), sans oublier l’intégration de Louis Godart à la guitare, par ailleurs membre du groupe metal-progressif A Prison Called Earth dont le fameux « Rise Of The Octopus », paru en 2011, a reçu un bel accueil critique.
Le propos instrumental de « Temple » se déroule sur une petite demi-heure de musique délicieusement tourmentée et alambiquée, déclinée en trois chapitres : « Flame », « Richard-Horizon-Robot » et « Captain Blood ». « Flame » démarre comme un pachyderme en rut avec martèlements rythmiques et gros riffs saturés hyper-synchros, qui rappellent curieusement le pétaradant « Paradigm Shift » du premier Liquid Tension Experiment. Mais le titre change vite de registre, renonçant aux extravagances techniques pour nous plonger davantage dans une atmosphère sombre faite de saturations post-rock, avant de s’enfoncer encore plus radicalement dans le drone et le psychédélisme dans son second et son troisième mouvement. « Hidden Sun » et « Rising Light » devraient ravir en effet les accrocs au stoner le plus lourd et au doom le plus sourd, avant une conclusion jouissive qui reprend le thème ainsi que tous les ingrédients de la détonation métallique introductive.
Encore plus expérimental, « Richard-Horizon-Robot » fait moins de distinction entre les genres, mixant allègrement un metal fusion aux guitares tantôt dissonantes, tantôt ravageuses, un doux passage onirique aux sonorités cristallines produites par la six cordes, et des déflagrations sludge implacables façon Isis ou Neurosis, qui ne sont pas les moindres des références en la matière. « Captain Blood » vient clôturer un album trop ramassé, sûrement le titre le plus « accessible » du lot, avec une partie centrale planante et post-rock dans l’âme, servie par des arpèges de guitares mélancoliques en diable et une montée en puissance que ne renierait pas un Mono ou un Explosion In The Sky.
Seuls bémols à ce petit opus admirable à bien des égards : sa trop courte durée (certains passages auraient peut être gagné à se voir davantage « étirés »), ainsi que la piètre qualité de sa production, qui manque fondamentalement d’ampleur et de nuances, ce qui est bien dommage pour ce genre de musique finement élaborée qui s’écoute de préférence avec un « gros son » pour un voyage optimal.
Quoi qu’il en soit, voilà un groupe rock éclectique et « progressif » dans le vrai sens du terme, qui mérite assurément qu’un maximum de monde découvre son travail de haute volée et lui apporte tout son soutien en cas d’affinité, ce qui est plus que probable ! En ce qui me concerne, voilà assurément un de mes grands coups de cœur de ces derniers mois !
Philippe Vallin (7,5/10)