Valtteri Laurell Nonet – Tigers Are Better Looking

Tigers Are Better Looking
Valtteri Laurell Nonet
We Jazz Records
2023
Thierry Folcher

Valtteri Laurell Nonet – Tigers Are Better Looking

Valtteri Laurell Nonet Tigers Are Better Looking

Le jazz vous intéresse ? Et quand je dis le jazz, je parle du vrai, pas celui des arrangements hybrides, fort séduisants certes mais pas toujours dans l’attitude irréprochable que réclame ce genre de musique. Non, avec Valtteri Laurell Nonet on est dans du solide et du respectueux. Je dirais même que Tigers Are Better Looking abolit le temps et nous renvoie très loin en arrière. La bande son est celle des films noirs et des cabarets parisiens qui ont vu Miles Davis rencontrer Juliette Greco et Boris Vian, par exemple. Voilà, le décor est planté et si vous êtes toujours là, on va passer un joli moment ensemble. Bon, maintenant il va falloir faire les présentations. Valtteri Laurell Nonet, ce sont neuf musiciens d’origine finlandaise qui se sont réunis autour du compositeur, musicien et chef d’orchestre Valtteri Laurell Pöyhönen pour réaliser un projet où le clarinettiste Antti Sarpila serait mis à l’honneur. Et c’est vrai que ce fils spirituel de Benny Goodman est omniprésent sur les six morceaux que constitue Tigers Are Better Looking. Les compositions de Pöyhönen sont faites pour lui et sont un régal pour les amoureux de cet instrument à la chaleur incomparable. Cela dit, pour ne pas être en reste, l’introduction du disque avec le morceau titre « Tigers Are Better Looking » est toute dédiée à la guitare claire et rêveuse de Pöyhönen. Antti Sarpila et sa clarinette interviendront plus tard, mais alors quelle claque ! On retrouve des sensations perdues, des effluves d’un passé que l’on commence à croire imaginaire et les frissons sont garantis. Alors maintenant, il faut accrocher du monde et pas seulement ceux qui vibrent depuis longtemps à l’évocation d’une musique éternelle et sans égale. Ce que je peux dire, c’est qu’on est en Scandinavie, sur une terre où la tradition s’enracine et transpire dans toutes les créations artistiques. Même si nos amis jazzmen sont à fond dans le culte ancien et dans la célébration sans faille de leurs aînés, on ne peut s’empêcher de repérer ça et là de petites touches autochtones qui feront la différence et donneront à l’ensemble un attrait supplémentaire.

Il faut ajouter que la production est bien ancrée dans notre temps et que par moments, la belle machine se permet quelques pas de côté tout à fait charmants pour ne pas dire surprenants. Mais reprenons la musique là où on l’avait laissée. Le titre « Tigers Are Better Looking » voit défiler toute l’équipe sur presque sept minutes de jazz de haute volée avec une rythmique aussi légère que bien foutue. A l’honneur Ville Herrala à la double basse et Jaska Lukkarinen à la batterie. Alors, même si la clarinette s’octroie la part du lion, elle n’en laisse pas moins un peu de place aux autres et notamment à la trompette de Jukka Eskola. Ce premier morceau est vraiment superbe, d’une simplicité confondante mais avec ce qu’il faut de sentiment pour le rendre étourdissant d’émotion. Le jazz n’a rien d’élitiste, c’est une musique de l’âme qui touche celui qui écoute. Car le maître mot c’est « écouter » et dés l’instant où tous les a priori se sont fait la malle, il suffit de se laisser porter par la beauté des notes et des arrangements. Ici, c’est relativement simple car on est dans de la musique mélancolique, plutôt soft et loin, très loin des démonstrations arides que l’on rencontre parfois dans le jazz. Pöyhönen nous explique qu’il a trouvé son inspiration dans les écrits de Jean Rhys, une écrivaine britannique dont Tigers Are Better Looking est également le nom de l’une de ses nouvelles publiée en 1968. On est bien obligé de constater que la nonchalance et l’aspect rêveur de certains morceaux sont étroitement liés à la jeunesse caribéenne de cette artiste. A tel point qu’on a du mal à croire que ce disque, gorgé de soleil et de langueur, a été fabriqué sur les bords de la mer baltique. Laissons de côté ces idées toutes faites et revenons à la musique avec « Let Them It Call Jazz », un titre que j’affectionne particulièrement avec sa mélodie, insolente de beauté, sur laquelle Antti Sarpila s’installe d’emblée, minaude un petit peu avant de laisser courtoisement de la place aux autres. Je peux vous assurer qu’on frise ici le bonheur absolu et que la capitulation de tout autre combat est inévitable. Le moment est rare et il faut en profiter.

Valtteri Laurell Nonet Tigers Are Better Looking Band 1

Autre coup de cœur avec « Wide Sargasso Sea » (célèbre roman de Jean Rhys) et son originalité presque dérangeante. Comme je le disais plus haut, la conformité n’empêche pas les dérapages et les prises de risque. Depuis le début, la pierre était polie, lisse et brillante mais les quelques rugosités qui surgissent à la fin de ce titre vont surprendre l’auditeur un peu trop chouchouté jusque-là. Pourtant cela démarre doucement dans un contexte jazz band des plus rassurant. La clarinette et la trompette sont très élégantes puis la guitare se bagarre gentiment avec la batterie jusqu’à ce que le morceau ne soit emporté dans une sorte de maelstrom coléreux. La métaphore avec les tourbillons de la mer des Sargasses, réputée calme, semble alors évidente. Ce moment débridé était attendu, presque espéré pour sortir d’un confort qui pouvait devenir risqué. Le danger était de se contenter des belles dorures et de la chaleur enveloppante d’une musique finalement très sensuelle. Un peu à l’image de ce qui arrive sur « At The Villa d’Or » et son parti pris luxueux. On a quitté les caves de Saint-Germain-des-Près pour les palaces de la côte et ses music-halls fastueux. L’équipe est ici bien resserrée autour d’une rythmique très alerte, propice à lancer de savoureuses interventions à la trompette et au saxophone. La fin déborde du cadre classique et l’on applaudit, une fois de plus. On continue avec « Till September Petronella » qui est certainement le morceau le plus aventureux du disque avec sa construction saccadée et ses joutes instrumentales un peu désordonnées. Le type même d’exercice capable de passer en revue l’effectif et de lancer dans de bonnes conditions le classique et ultime « Temps Perdi » aux sonorités métissées d’orient, de Sydney Bechet, de Gerry Mulligan et de beaucoup d’autres inspirateurs de génie.

Valtteri Laurell Nonet Tigers Are Better Looking Band 2

Mais laissons de côté (si possible) les légendaires figures du jazz et concentrons-nous sur la scène actuelle, foisonnante de talents et d’inventivité. L’univers de cette musique est tellement vaste qu’il est pratiquement impossible de le maîtriser et de se définir comme un spécialiste sans faille. Ce que je remarque, c’est qu’en me focalisant sur la scène scandinave, j’ai découvert une multitude de jeunes créateurs, bourrés d’ingéniosité et capables d’ouvrir de nouvelles perspectives tout en s’appuyant sur de solides références. Je suis tombé un peu par hasard sur ce disque mais en plus de son charme indéniable, il m’a amené vers de nouveaux horizons comme par exemple les prestations de l’UMO Helsinki Jazz Orchestra que je vous recommande particulièrement. En attendant, je suis vraiment content de vous avoir fait découvrir ce Tigers Are Better Looking qui, je l’espère, aura fait valser quelques barrières inexplicables pour cette musique vraiment belle et abordable.

https://wejazzrecords.bandcamp.com/album/tigers-are-better-looking

 

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