Thousand Ravens : un son très américain en sol français

Thousand Ravens Band

Thousand Ravens – Sacred Flame (single, 2013), Hole (EP, 2014) et 7 Days (EP, 2015)

« Oyez Oyez, dernières nouvelles : le nouvel album de Thousand Ravens est maintenant disponible, demandez votre exemplaire », scanderait un crieur public (si le métier existait encore). La formation de Bordeaux en est à son troisième album. Il est possible que vous ne les connaissiez pas. Y’a pas de mal… après tout, il y a tellement de musique à entendre et à découvrir. Mais le crieur public que je suis a pris l’initiative d’isoler cet album pour vous, histoire d’en faire la manchette. Inutile de parler de Slayer, de Metallica, d’Iron Maiden ou de Lamb Of God. Le « buzz » qui les entoure suffit à leur offrir de la visibilité. Et puis, eux, ils ont des agents ! Donnons plutôt une place aux plus petits (qui éventuellement deviendront grands).

Thousand Ravens, c’est une formation toute jeune mise sur pied en 2011 par Geoffrey Neau (alias Shob), Nicolas Jeanny et Simon Renault. Or, si vous n’avez pas entendu parler de ces trois mecs, cela ne veut pas dire que ces gars ne sont actifs sur la scène musicale européenne que depuis 2 ou 3 ans ! En fait, le curriculum vitae de chacun est assez impressionnant. Shob, le leader du groupe, est formateur invité au Centre départemental de ressources en arts en Hautes-Alpes, ex-bassiste de Kubiack, Keishah et ETHS, l’homme derrière le projet jazz Shob & Friends et le musicien derrière un nombre de projets dont DurdN et Charlie Plane. Simon, le batteur, est lui aussi membre de Shob & Friends et de Charlie Plane, ex-batteur de Warattah et de Narvalo, le musicien de Hell In Town et de Toxic, en plus d’être enseignant au CIAM, une école de musique bordelaise, alors que Nicolas partage son temps entre Thousand Ravens et son projet solo, Tenkan. On ne parle pas ici de néophytes !

On peut aussi dire sans se tromper que le groupe bordelais ne chôme pas : trois productions échelonnées sur près de deux années, c’est plutôt bien, non ? Quoiqu’il en soit, ce travail démontre une vision d’avenir, une planification sérieuse. Je dirais même qu’il s’agit d’une habile stratégie. Pourquoi, me direz-vous ? Parce qu’en éditant du nouveau matériel à chaque année (un EP par an, plutôt qu’un LP aux deux ans), les risques d’être oublié des fans et du marché sont quasi nuls. Là réside peut-être le remède contre l’instantanéité contagieuse de notre hypermodernité (sur ce terme, courrez consulter votre dictionnaire de sociologie illico !).

Thousand Ravens EPs

« 7 Days », le troisième EP de la formation, est une suite logique au EP « Hole » (2014) et au single « Sacred Flame » paru en 2013. On peut d’ailleurs définir ces disques comme des œuvres complémentaires, voire une trilogie. Bout à bout, les trois enregistrements du groupe pourraient être considérés comme un album complet tant l’esprit de la composition est similaire. Hormis un léger écart dans la qualité du mixage d’un EP à l’autre, on ne pourrait y voir que du feu. N’y voyez toutefois pas une tare, comme si le groupe n’avait pas évolué depuis 2013; de grâce, non ! Car si le canevas des trois mini-albums est apparent, l’arrangement des pièces, lui, se perfectionne et se raffine. Et puis, il est important de préciser qu’un peu plus de deux ans séparent la parution du premier single et celle du plus récent EP (la durée classique que prend un group avant de réaliser un nouveau disque, quoi).

Du point de vue musical, nos musiciens français ont du talent. À n’en pas douter ! La basse de Shob est ce qui retient tout de suite l’attention. Son jeu, semblable à celui de Billy Gould (Faith No More) et de Chi Cheng (le défunt bassiste de Deftones), est d’un dynamisme marquant. On ne peut s’empêcher de taper du pied ou de brasser de la tête (on se retient en public, mais on « mosh » tout de même intérieurement). Et sa voix, visiblement inspirée de celle de Mike Patton (l’homme derrière une douzaine de collaborations et de formations diverses), procure un agréable frisson. Les chansons « Welcome Home » et « Shadowless Man », deux pièces parues sur « Hole », rappellent d’ailleurs « Tomahawk » et Faith No More, tant par le style vocal semblable à celui de Patton que par l’usage du « palm-mute » et du « down-picking » communs aux jeux de Nicola Jeanny et de Duane Denison. La chanson « Your Last Crossing » fait inexorablement penser à « God Hates A Coward » et « Rape This Day », deux excellentes pièces du supergroupe américain.

Quant aux pièces « Dark Waters », « 7 Days », « The Last Witness » (« 7 Days », 2015) et « Roaming In The Depths » (« Thousand Ravens », 2013), on ne peut s’empêcher de les comparer à certains morceaux de Deftones, l’album éponyme du groupe américain paru en 2003. Les éléments que l’on retrouve dans la voix de Chino Moreno, ses respirations, son style à la fois sensible et puissant, se retrouvent également dans la voix de Shob. Quant à la batterie de Simon Renault, disons seulement qu’elle soude le tout et qu’elle déménage comme on l’aime. Son style, sans être des plus techniques, est ce dont a besoin la formation pour boucler la boucle (on peut davantage constater tout le talent de Renault dans la batterie de Hell in Town).

Sur ces observations, il ne me reste qu’à donner mon appréciation générale. Eh bien, les amis, cette musique me plait. Elle est très ressentie, très profonde et très intense. On ne s’attend pas à moins venant d’un groupe aux influences aussi marquées. Je veux dire, Deftones, Faith No More, Tomahawk… que pourrait-on reprocher à une musique qui concilie tous ces éléments en un seul esprit ? Une petite chose, peut-être : j’aimerais entendre le vrai Thousand Ravens sans la tonalité pattonesque, sans l’accent de notre bien-aimé Chino. Avec le temps, il n’est pas impossible que Thousand Ravens se défasse de toutes ces influences, si exquises soient-elles. Le temps fera les choses et l’expérience elle aussi, j’en suis certain. Et puis, zut, j’adore cette musique! Trêve de critiques, je me la boucle. Ne portez plus attention au crieur public que je suis. Écoutez plutôt la discographie du groupe. Treize morceaux, totalisant une cinquantaine de minutes, cela s’écoute tout seul !

Dany Larrivée

https://www.reverbnation.com/thousandravens

http://thousandravens.bandcamp.com/

Chroniques parues simultanément chez Clair & Obscur (France) et Daily Rock (Québec).

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