t – Psychoanorexia

Psychoanorexia
t
2013
Progressive Promotion Records

t – Psychoanorexia

Naviguer dans la galaxie t, c’est s’engager dans une nébuleuse faite d’incertains, de doutes, de peurs, d’analyses et de thérapies. C’est s’immerger dans un univers où la musique emporte ses attraits magnifiquement planants et poétiques pour esquisser une dimension humaine sublimée. La mélancolie, ce doux sentiment à la fois beau et triste, est reine dans ces contrées feutrées, et elle s’installe implacablement, bien en évidence. Derrière l’énigmatique lettre « t », se cache le compositeur, chanteur et multi-instrumentiste allemand Thomas Thielen, qui élabore seul ses projets musicaux. Sous ce pseudo on ne peut plus minimal, l’artiste fait son apparition en solo sur la scène musicale avec « Naive » (2002), un premier album non exempt de défauts, mais bourré de charme et de potentiel, délivrant une pop-rock atmosphérique et langoureuse qui fit alors belle impression auprès des amateurs du genre, tout particulièrement les fans de Marillion de l’ère Hogarth. L’œuvre est entièrement écrite et réalisée par Thomas, seul à la barre de A à Z (histoire de bien rester ancré dans le champ alphabétique !), un choix qu’il assumera jusqu’à aujourd’hui, après avoir été auparavant membre de plusieurs groupes dont Scythe, formation germanique fondée à la fin des années 90, et au style directement inspiré du rock progressif des seventies.

« Psychoanorexia » est déjà le 4ème album de Thomas Thielen qui occupe tous les postes (écriture, arrangements, enregistrement et même mixage !). Il joue de tous les instruments, des claviers aux guitares, en passant par le piano, la basse, les effets électroniques et les « drum-machines ». Ce nouvel opus s’inscrit dans la même veine que les précédents, subtil et classieux mélange de progressif moderne, de post-rock, et de pop élaborée flirtant avec l’ambient, à cela près qu’il ne contient cette fois-ci que 4 morceaux à rallonge. « Psychoanorexia » est un long trip passionnant auquel t nous convie à nouveau, et via lequel il nous délivre sa propre vision du monde, aux antipodes de l’optimiste béat : le conformisme, la médiocrité, l’opportunisme, la manipulation politique, l’absence de but, l’apathie, l’éducation qui ne provoque qu’une « ‘anorexie psychologique », tels sont les maux de notre société contemporaine pour l’artiste.

L’album s’ouvre sur le sublime « The Aftermath Of Silence », vaste suite de 18 minutes planante et mélodique, qui reprend les bases et fondamentaux des précédents albums. On pense immédiatement à la « Pink Floyd Touch », mais aussi à la sensibilité extrême d’un Steve Hogarth en mode introspectif, aux lentes progressions oniriques des premiers opus des islandais de Sigur Ros, voire aux passages les plus éthérés des « Disintegration » et autres « Wish » signés The Cure. En effet, les parties de guitares introductives sonnent un peu comme du pur Robert Smith en apesanteur ! Mélancolique à souhait, ce titre envoûte et ne lâche jamais l’auditeur, jusqu’à son final intense et Marillionesque à souhait. La voix de t, incroyablement expressive sans jamais trop en faire, a souvent été comparée à celle de Steve Hogarth et de David Bowie. Etrangement, on pense ici bien davantage à Andrew Latimer de Camel, dont Thomas possède tout autant le timbre cotonneux que l’extrême sensibilité, avec la puissance en plus.

« Kryptonite Monologues » se veut plus violent et agressif que son prédécesseur. La maîtrise des instruments (tous assurés par t himself rappelons-le) est impeccable, le piano en particulier, à la fois colonne vertébrale de sa musique et révélateur de sentiments. Ressortent ici et là par contre quelques clichés progressifs plutôt dispensables sur la première partie un poil bordélique baptisée (à juste titre ?) « Breakfast Cataclysm », avant une admirable transition au piano pour « Borrowed Time » et un lyrisme vocal et musical inattendu, bien sûr ironique, et à mettre en perspective avec les paroles du titre. L’épique « The End of A World » qui termine cette longue plage, oscille entre différentes atmosphères, et le final est juste sublime. « The Irrelevant Lovesong » repart sur une chanson mélancolique et hypnotisante, avec une mélodie vocale et des arrangements façon Peter Gabriel, les guitares typiquement post-rock en sus. Durant 8 minutes d’une grande justesse et intensité, ce morceau synthétise à lui seul toutes les qualités de t. Le voyage s’achève avec le titre éponyme fleuve faisant écho au « Kryptonite Monologues » par son caractère nerveux (mais non sans accalmies bienvenues) et alambiqué, constellé de variations rythmiques, de thèmes et de climats.

Le seul bémol à cette 4ème entreprise à l’indéniable réussite serait peut-être la durée. En effet, les compositions sont étendues, mais il y a également beaucoup de paroles (t est très inspiré par Fish dans ce domaine), ce qui les rend ainsi plus « difficiles » à suivre (pour le peu qu’on s’intéresse au contenu littéraire bien sûr). Les mélomanes qui voudraient saisir toute l’essence de « Psychoanorexia » et qui ne maîtrisent pas l’anglais risquent en conséquence de se perdre un peu en route. Fort heureusement, l’habileté artistique de t rattrape le tout, et même si l’ambition de cet album est grande, il y a toujours un moment où une fulgurance à la guitare, un effet vocal ou une atmosphère va venir repêcher l’auditeur égaré. N’est-ce pas là le signe d’un grand talent musical ?

N’en doutez pas, il s’agit là très certainement du meilleur album de t produit à ce jour. Alors si vous n’avez jamais encore pénétré son univers aux nombreuses influences, mais toujours parfaitement digérées, c’est le moment ou jamais…

Fred Natuzzi & Philippe Vallin (8,5/10)

http://www.t-homeland.de/

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