Steve Shehan & Nabil Othmani – Awalin

Awalin
Steve Shehan & Nabil Othmani
2009
Naïve

Steve Shehan & Nabil Othmani – Awalin

Steve Shehan, musicien universel et polyinstrumentiste de génie, croise un jour sur son chemin, et ce par le plus grand des hasards, le touareg Baly Othmani, poète du désert, chanteur et joueur de luth accompli. De cette rencontre inopinée va naître une fructueuse collaboration artistique, qui verra la mise en œuvre d’une éloquente et émotionnelle trilogie discographique métissée avec Assouf, Assarouf et Assikel. Mais, surtout, cette association sera le point de départ d’une amitié et d’une fraternité indéfectible entre les deux hommes, relation dont la sincérité transparait vraiment à l’écoute de ces trois albums inoubliables réalisés ensemble. Assikel sera malheureusement terminé par un Steve Shehan seul aux commandes, et édité à titre posthume, accompagné d’un DVD retraçant tous les contours de cette belle aventure humaine. En effet, Baly Othmani, figure emblématique de la culture Touarègue, disparait tragiquement dans le courant de l’année 2005, emporté par la cru de l’oued de Djanet au sud-est de l’Algérie. Grand inspirateur de toute une génération de jeunes musiciens, chanteurs, danseurs ou poètes, Baly transmet à son fils Nabil ce goût prononcé pour l’expression artistique, le devoir de mémoire et la tradition orale berbère. Nabil Othmani reprend donc le flambeau admirablement tenu par son père, en écrivant des chansons en langue tamasheq accompagnées au son de l’oud arabe « réadapté », qu’il maitrise aujourd’hui avec la même dextérité, mais un feeling plus sobre qui lui est personnel.

A l’instar de son modèle, les compositions de Nabil portent l’histoire des peuples du désert, tout comme les innombrables textes en réserve jamais chantés par Baly. Aussi, Nabil prend soin de continuer à les mettre en musique, tel le « gardien du trésor » comme il se définit lui-même, afin de perpétuer le plus longuement possible l’héritage bien vivant de son père défunt. Nabil Othmanise produit en solo ou au sein de son groupe Timtar (« Mémoire« ), dans lequel il s’illustre au chant et à la guitare, navigant entre répertoire touareg, effluves subsahariennes et influences occidentales. Avec Steve Shehan, il partage le même goût pour la rencontre, l’ouverture aux autres, le dialogue musical, et ce n’est certes plus le hasard qui, cette fois-ci, réunira les deux artistes autour d’un même projet ! Après avoir participé ensemble à une série de showcases en France, qui culmineront avec la création du merveilleux spectacle Imen, réunissant sur une même scène le Nabil Baly Orchestra touareg et le célèbre Hadouk Trio, Steve Shehan et Nabil Othmani se lancent dans la production d’un inévitable premier opus en commun. Enregistré et peaufiné  durant toute une année entre l’été 2008 et 2009, Awalin (« ma parole« ) symbolise à l’évidence cette continuité relationnelle et créative, ce passage de relais entre un père et son fils, qui réitère ce même lien privilégié, fraternel et immuable, basé sur la confiance, l’admiration et le respect mutuel. Le disque n’en constitue pas moins un nouveau défi artistique, et le résultat, s’il fait de bout en bout honneur à l’âme du grand Baly Othmani, se démarque assez nettement (et c’est tant mieux) des trois chefs d’œuvres précédents cosignés avec Steve.

Ce qui saute aux oreilles dès la première écoute d’Awalin, c’est son étonnante accessibilité et son potentiel de séduction immédiat. Il s’agit là sûrement du disque le plus « grand public » produit par Steve Shehan, ce qui n’altère en rien la qualité générale de l’œuvre, subtilement arrangée avec le talent et la « patte » si singulière du musicien globe-trotter. Les dix-sept plages d’Awalin sont ainsi teintées et parsemées d’influences très diverses, avec des sonorités empruntées aux musiques moyen-orientales, africaines, brésiliennes, cubaines, jazz et autres. Fruit d’un long processus de maturation, Awalin représente pour Steve une nouvelle occasion d’explorer d’inédites pistes créatives, une fois n’est pas coutume au moyen d’un impressionnant arsenal instrumental parfaitement maitrisé : piano, claviers, likembé, hang, basse, guitare, orgue de cristal, et bien sûr, une pléthore de percussions glanées de par le monde ! Du côté de Nabil, l’album lui permet de pouvoir se démarquer enfin du style de son très charismatique père, tout en rendant hommage à son univers poétique et en restant profondément ancré dans l’héritage culturel touareg. Le luth se fait ici moins volubile et plus introspectif, le chant également, à tel point que celui-ci pourra même paraître un poil monocorde sur la longueur. La voix de Nabil est suave, juste et de belle texture, mais peut-être un peu trop posée et appliquée dans l’exercice du studio, alors que le musicien en impose davantage dans le contexte du live, où son art lyrique dégage, quand il le faut, une puissante expressivité.

Pour parachever la production d’Awalin, le perfectionniste Steve Shehan a fait appel à quelques invités de marque, citons entre autres son vieux complice Didier Malherbe (bansouri indienne et doudouk arménien), Ibrahim Maalouf (à la trompette sur le fameux Hijaz du Hadouk Trio, ici entièrement revisité), Claude Samard (pedale steel guitare et dobro), et, surtout, la révélation Vladiswar Nadishana, jeune prodige multi-instrumentistes russe avec lequel Steve Shehan a entamé il y a peu une collaboration artistique qu’on peut imaginer également riche de belles promesses ! Le sibérien ne met ici à contribution qu’une infime part de ses innombrables talents, avec quelques interventions éparses de flûtes aux sonorités et aux formes parfois étranges, telle que cette étonnante « futujara » harmonique de sa propre conception.

En conclusion, Awalin est un disque forcément émouvant pour ceux qui, comme moi, auront suivi de près ce singulier parcours humain et artistique, qui aura uni durablement deux hommes d’exceptions grâce à la magie de l’expression musicale. Si Steve Shehan a passé une grande part de sa vie à sillonner les quatre coins de la planète, son attachement reste profond pour le désert saharien et la culture touarègue de cette région lointaine d’Algérie. Car c’est précisément là-bas qu’il a rencontré un jour celui qui incarnera à jamais l’esprit même de sa quête permanente vers la rencontre authentique, l’échange et l’amitié. Nabil Othmani semble avoir tout compris à la démarche commune de son père et frère de cœur, en témoigne aujourd’hui la parution d’Awalin, œuvre passionnante et généreuse qui a tenu sa « parole », et qui évoque l’âme de Baly sans jamais en plagier l’essence. Sublime !

Philippe Vallin (9/10)

 

 

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