Skinshape – Arrogance Is The Death Of Men

Arrogance Is The Death Of Men
Skinshape
Lewis Recordings
2020
Thierry Folcher

Skinshape – Arrogance Is The Death Of Men

Skinshape Arrogance Is The Death Of Men

Pour la majorité d’entre nous, l’année 2020 restera dans nos mémoires comme une douloureuse prise de conscience de notre vulnérabilité. Mais pour William Dorey, le maître à penser de Skinshape, elle symbolisera un accomplissement artistique. En effet, contre vents et marées et avec toute l’adversité que beaucoup d’artistes ont subie pendant ces mois de folie, il a réussi l’exploit de produire deux albums formidables, différents, mais tout aussi passionnants l’un que l’autre. C’est d’abord un air de vacances qu’il nous a envoyé avec Umoja, un recueil exotique sorti au début de l’été 2020 pour le plus grand plaisir de nos oreilles voyageuses. Ensuite, c’est le plus engagé Arrogance Is The Death Of Men qu’il a produit en fin d’année dernière. Deux partitions que je me devais de vous signaler, tellement elles nous libèrent de bien des tourments. Dés le début, je me suis posé la question de savoir pourquoi Skinshape avait un tel impact sur moi et quels souvenirs me reliaient à sa musique ? La réponse c’est « Afande », un des titres de Umoja qui me l’a fournie. En l’écoutant, je me suis retrouvé au plus profond des délires teutons du célèbre et incomparable Can. Les similitudes avec le groupe d’Irmin Schmidt et d’Holger Czukay sont nombreuses, à commencer par ce rythme de vieille locomotive qui accompagne « Afande » de façon hypnotique et un peu décalée. Et puis le chant d’Idd Aziz, en suspend au-dessus des entrelacs de guitare, de cuivres et de claviers me rappelle étrangement les psalmodies de Damo Suzuki. Fervent admirateur de l’antique formation d’outre-Rhin, je comprends mieux maintenant cet attachement pour la musique de Skinshape et son écriture sans complexe, complètement libérée.

Alors pourquoi choisir Arrogance Is The Death Of Men plutôt que Umoja ? Tout simplement parce qu’il est la suite musicale du très attachant Filoxiny chroniqué ici-même en 2018 et surtout parce qu’on ne peut refuser l’actualité, celle de Skinshape mais aussi la nôtre. Musicalement, vous allez retrouver le confortable groove ouaté qui fait du bien, la belle guitare rêveuse, les chœurs angéliques et la douce voix de Will plus envoûtante que jamais. La production n’est pas en reste, monsieur Dorey s’y connaît en empilage sonore, en percussions qui claquent et en ambiances feutrées. Musique facile ? Sûrement pas, il n’y a pas plus casse-gueule que ce domaine musical (lounge) qui peut tout aussi bien vous faire décoller que vite vous ennuyer. Ici, pas un seul bâillement mais une aventure sensorielle peu commune. Écouter Arrogance Is The Death Of Men et plus généralement Skinshape se fait toujours dans la globalité, sans pouvoir sortir tel ou tel morceau du contexte général. Les paroles sont juste des indicateurs pour prendre la bonne direction et ne pas être en décalage avec les intentions de son auteur. Sur « Arrogance Is The Death Of Men » par exemple, William nous envoie un message fort que la musique, apparemment sage, n’arrive pas à masquer. Ce morceau titre est une référence directe à la pandémie actuelle et à la menace qu’elle fait peser sur une jeunesse insouciante. La grande leçon de cet album, c’est qu’on peut faire de la musique engagée sans qu’elle prenne des airs tourmentés ou qu’elle montre les dents. Une démarche qui devrait faire réfléchir pas mal de diffuseurs d’infos.

Skinshape-Arrogance-Is-The-Death-Of-Men-Band1

Bon, on ne va pas s’aventurer sur un terrain glissant, il vaut mieux revenir à la musique et à cet album positif qui malgré son titre croit en l’espèce humaine et à sa capacité à relever les grands défis. Arrogance Is The Death Of Men est un album de douleurs tourné vers un avenir fataliste mais optimiste. « …Another storm will come to pass until the next turn of the glass… », ces paroles sont extraites de « Tomorrow » le titre qui ouvre l’album et reflètent assez bien l’état d’esprit qui anime le disque. L’histoire de l’humanité est pleine de tempêtes que l’homme a dû affronter et celle que nous vivons actuellement ne sera ni la première, ni la dernière. Ce n’est pas une danse macabre qui illustre cette chanson mais un bon dub urbain très sensuel. Une musique de studio que le confinement a rendue charnelle avec toute l’habileté de Will Dorey aux manettes. Ici, comme sur tout l’album, les guitares sont omniprésentes et contrebalancent le chant à merveille avec, comme d’habitude, beaucoup d’écho et de reverb. Tout a été écrit et enregistré entre fin 2019 et mi 2020 avec un matériel hétéroclite que Will a assemblé chez lui en profitant de cet enfermement forcé mais productif. Une musique de studio, c’est sûr, mais avec l’apport d’une vraie batterie (Ivan Kormanak, Dan Hale). Coup de génie qui fait la différence et transforme l’objet en réelle pulsation humaine. Comme pour son aîné estival, le voyage est de mise avec une musique Western/Eastern trés colorée (« Sound Of Your Voice », « The Eastern Connection »). Deux titres jazzy où le jeu virevoltant de la batterie est un pur délice.

Ode à la lenteur (« Behin The Sun »), constatation schizophrène (« Losing My Mind ») ou virée asiatique assumée (« Flight Of The Erhu »), voilà quelques indications intéressantes pour un disque multi-directionnel. Sur « Flight Of The Erhu », l’ajout du violon traditionnel chinois est assez déroutant mais finit malgré tout par s’intégrer à l’ensemble grâce à une utilisation originale. C’est vraiment la première fois que j’entends le Erhu (Wan Pin Chu) sonner de la sorte. Le côté plaintif, même si on le ressent, se trouve entièrement masqué par un délicieux reggae cuisiné aux dreadlocks et à la ganja. La grande trouvaille du disque assurément. Après ça, Arrogance Is The Death Of Men reprend son allure de croisière, histoire de rappeler que Skinshape ne peut s’éloigner trop longtemps de ses fondamentaux. « Watching From The Shadows » et « Outro » terminent la partition en douceur et toujours avec ces fameux ingrédients de musiques de bars enfumés (image rétro) ou de soirées spéciales entre potes. Je me répète peut-être, mais cela n’a rien de péjoratif ou de facile, c’est seulement les images qui me viennent à l’esprit. Une musique capable de planter un décor de façon durable et significative, ce n’est pas donné à tout le monde, croyez-moi. Bravo monsieur Dorey.

Skinshape Arrogance Is The Death Of Men Band 2

Il y a des sorties qui valent la peine de mettre nos oreilles à l’affût. En 2O2O, Skinshape nous a gâtés avec deux albums de toute beauté. Comme je le disais, j’ai un faible pour les compositions de Will Dorey mais par contre, beaucoup moins d’affinités pour l’emballage de ses disques. C’est minimaliste au possible. Je ne connais pas les versions vinyles mais les CD de Filoxiny et d’Umoja sont d’une frustration exemplaire. Aucune info, aucune photo, aucune parole, le néant quoi ! Une pochette cartonnée toute simple genre format sampler ni plus ni moins. Alors oui, Arrogance Is The Death Of Men est un peu plus élaboré dans sa présentation avec une fenêtre ouverte sur plusieurs choix d’images. Les paroles sont reproduites et les musiciens crédités, il était temps. Cela dit, on est tous d’accord pour dire que c’est la musique qui prime et là, c’est du cinq étoiles.

https://skinshape.bandcamp.com/

Un commentaire

  • Coquelle

    Merveilles de mots pour décrire les émotions que Skinshape procure , la simplicité est un travail profond, les mélodies les plus fluides cachent bien des abysses

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