« Sit Fast plays Sit Fast » à Paris, le 12 mai 2015

Sit Fast Paris

« Sit Fast plays Sit Fast » à l’Atelier du Plateau, Paris, le 12 mai 2015

Haut comme une grange et aussi austère qu’un temple protestant, l’Atelier du Plateau est un endroit où on se sent comme chez soi. Une fois rendu à l’adresse, Il faut d’ailleurs passer un portail et traverser un chemin étroit avant d’y pénétrer. Le soir du 12 mai 2015, c’est un trio de violistes qui y est invité pour partager avec une trentaine de passionnés de tous âges son amour de cet ancêtre du violoncelle, que l’on n’entend guère plus que dans les interprétations sur instruments d’époque de pièces de musique dite « ancienne ». Pour l’occasion, des chaises basses sont distribuées de manière concentrique autour d’un demi-noyau constitué de tables tout aussi basses. Même si le nom de la formation s’y prête, les spectateurs ne s’empressent pas de s’asseoir. En effet, Sit Fast, alias Atsushi Sakaï, Isabelle Saint-Yves et Marion Martineau, ce n’est pas l’impératif anglais pour « asseyez-vous vite », mais une pièce énigmatique d’un compositeur anglais du 16ème siecle, Christopher Tye.

Pour couvrir l’éventail le plus large possible dans les sonorités, nos interprètes se sont équipés chacun d’un type de viole différent, de la plus petite pour les aigus à la plus grande pour les graves. Tombée dans l’oubli à partir de la deuxième moitié du XVIIIème siècle au profit du violoncelle, la viole de gambe (appelée ainsi car elle est tenue entre les jambes) a néanmoins bénéficié d’un regain d’intérêt il ya un demi-siècle, grâce à une poignée de passionnés tels que Jordi Savall, ou Wieland Kuijken, qui en ont restitué toute la gravité envoûtante dans leurs interprétations d’oeuvres issues aussi bien du courant Baroque que de la Renaissance. Puis, n’oublions pas « Tous les matins du monde », hommage cinématographique à un de ceux qui ont donné ses lettres de noblesse à la viole de gambe, M. de Ste-Colombe. Mais à la différence de Jordi Savall, le trio Sit Fast ne fige pas cet instrument dans le passé. En effet, il fait également résonner ses cordes sur des airs contemporains. Ainsi, là où les gambistes habituels se concentrent sur une période bien précise de l’histoire, les trois qui nous intéressent font le grand écart, proposant un répertoire allant du XVème au XXIème siecle.

Sit Fast Trio

Tout au long de leur programme, ce trio hors du commun nous prouve que la palette avec laquelle cet instrument peint ses toiles sonores est très riche en émotions. Quand sur les pièces les plus anciennes, des sons graves s’étirent dans un éplorement collectif à l’instar d’une âme tourmentée à laquelle des « soeurs de la charité » tenteraient néanmoins d’apporter une aide réconfortante, c’est en revanche un enjouement solennel tout empli d’orgueil que l’on découvre avec le Baroque naissant. Sont ainsi passés en revue dans ces registres les désormais bien connus Hume, Locke et Tomkins, mais également le plus rarement célébré Tye. Par ailleurs, les compositions d’obédience contemporaine, qu’elles soient issues de l’imagination d’Atsushi ou de celle de son ami finnois, voient s’inviter sans vergogne le pizzicato, en même temps qu’elles nous plongent tour à tour dans le chaos et dans une détresse angoissante.

De manière à éclairer le public, Atsushi présente brièvement mais avec humour les auteurs des « pièces de choix », ainsi que le contexte dans lequel elles ont vu le jour. Il nous rappelle ainsi qu’à l’époque de l’Angleterre Elisabethaine, la télé n’existant pas, on faisait passer le temps entre amis avec la musique de « consort ». Par ailleurs, quand vient le tour de la pièce éponyme, le porte-voix du trio nous confie qu’il s’agit d’une pièce très bizarre, « encore plus que la musique anglaise de l’époque » rajoutera-t-il, car elle utilise les métriques, les proportions. De même, quand le sympathique violiste nous informe que « Capitaine » Tobias Hume a officié dans l’armée, on ne s’étonne pas qu’une des pièces de son répertoire soit empreinte d’une solennité toute cadencée.

Ainsi, notre audacieux trio conforte l’idée qu’un instrument peut s’affranchir des conventions historiques dès lors que les émotions qu’il véhicule nous touchent. Ce fut donc une bien belle soirée sous le signe de l’éclectisme et du partage d’une passion sans faille pour un instrument qui n’a pas fini de nous surprendre.

Lucas Biela

http://www.consort-sitfast.com/actualites/

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