RESPECT, Le Rock au Féminin

Respect Rock Féminin

RESPECT, Le Rock au Féminin – Steven Jezo-Vannier (2014, Le Mot et le Reste)

Spécialiste de la contre-culture et de l’univers rock, Steven Jezo-Vannier a déjà publié six ouvrages pour le même éditeur : les biographies de Creedence Clearwater Revival et The Byrds, mais aussi sa vision de sujets plus transverses, tels que : Contre-culture, San Francisco ou California Dreamin’. Il en aborde ici un autre, tout aussi original et néanmoins fondamental à l’histoire musicale du siècle passé (puis du nôtre): la place des femmes dans l’univers de la musique pop-rock. Et ce depuis ses racines et ses origines, à savoir : le gospel, le blues puis le jazz et autres styles fondateurs qui ont précédé, inspiré et nourri rock’n roll et musique pop jusqu’à nos jours.

Plus qu’un essai véritable et distancié, ce pavé de près de 350 pages aborde ce thème foisonnant sous la forme d’une succession de biographies, selon un ordre plus ou moins chronologique n’excluant pas la notion de genre, tendance ou courant musical formant autant de chapitres. En effet, tout cela est né du gospel et du blues (donc de musiques noires), et on apprend que les femmes noires ont été les premières à embrasser une carrière musicale, lorsqu’elles sont parvenues à se sortir (parfois difficilement) de la sphère religieuse exclusive où elles se trouvaient cantonnées au début du siècle passé. Ce sont donc elles qui ont inventé le blues quelques années avant que ne s’en mêlent les hommes, un « détail » que la « Grande Histoire » toujours misogyne a trop vite oublié et enterré – et ça n’est pas le seul. Par la suite, même si la gent masculine leur autorisera l’accès à la scène et au studio, c’est trop souvent pour les cantonner à un répertoire dont les paroles (écrites par des hommes !) les maintiennent dans un rôle de faire-valoir docile du sexe masculin, voire d’objets sexuels totalement soumis à la volonté, à l’amour voire aux coups de leur partenaire, reléguées au rang d’objets sexuels. Il faudra des années avant que textes à messages et grandes causes (esclavage et discrimination, puis émancipation féminine) puissent enfin apparaître dans les paroles des chanteuses et que celles-ci gagnent le respect des hommes. RESPECT, c’est d’ailleurs le titre crypté qu’a choisi l’auteur (mais il s’en explique dès l’introduction), qui est celui d’un single d’Aretha Franklin sorti en 1967. Titre emblématique résumant l’objectif majeur de la lutte féminine pour disposer de leur propre voix dans la musique et gagner enfin le respect des hommes sur ce terrain, comme dans la vie.

Il manque sans doute une analyse plus globale et sociologique du phénomène « la femme dans la musique » car les biographies individuelles ou celles des groupes ne suffisent pas toujours à comprendre le phénomène dans sa globalité – hormis par la triste répétition de schémas et de destinées tragiques, dues avant tout à l’alcool et aux drogues qui, dans les premiers temps, ont trop souvent détruit des carrières, même bien lancées. A ce titre, on apprécie la brève analyse de l’une des raisons du rejet des hommes vis-à-vis de la présence des femmes dans ce milieu – en particulier les petites amies des musiciens, dont l’influence fut jugée néfaste sur leur carrière (p. 139). Et de même le rappel salutaire qu’il y a eu parmi elles de vrais « pros » des studios dans les seventies (p. 149). L’auteur reste neutre quant à lui, plus historien qu’engagé, ce qui convient bien à son projet ; ne prenant jamais parti, il se borne en général à des constats à la fois factuels et pertinents, par le moyen de ces brèves biographies. Mais aussi en les émaillant toutes de textes de chansons emblématiques et explicites appuyant le discours sur l’attitude machiste des paroliers masculins. Les femmes en furent donc doublement victimes, se voyant souvent réduites ou contraintes à accepter de jouer ce rôle et se faire le relais de paroles machistes, seul moyen de faire carrière quand on est une femme, du moins dans les premiers temps. Car un peu après, certaines d’entre elles contournent ou détournent enfin à leur profit certains de ces textes, en modifiant les paroles puis en écrivant leurs propres textes en toute liberté ou presque, jouant alors la provocation et l’outrance (ce qui, soit dit en passant, est l’un des moyens habituels de se faire entendre dans l’univers du rock et de la chanson).

A travers la place des femmes dans la musique pop(ulaire) du vingtième siècle, c’est toute la filiation, les mutations et passages de relais entre les genres musicaux qui nous sont contés, avec les mêmes excès que chez les hommes. Voire encore plus, parce qu’elles ont bien plus à défendre pour exister et se faire entendre. Depuis les premières sorties timides des femmes noires de leurs églises et du gospel jusqu’aux revendications, aux provocations et aux excès des égéries ou figures extrémistes de la punkitude (Patti Smith, Lydia Lunch, le mouvement riot grrrl, etc.), elles ont souvent fait « pire » (ou « mieux » ?) que les hommes, c’est-à-dire qu’elles ont poussé le bouchon encore plus loin dans l’univers « impitoyable » et machiste de la musique, dans le but d’y conquérir leur place et parfois même, de donner des leçons en la matière – sait-on par exemple que ce déhanchement suggestif d’Elvis, qui a fait son succès, il l’a appris et copié sur une femme, elle-même danseuse et artiste ?

Après un chapitre moins passionnant pour les goûts extrêmes de C&O (Shakira, Beyoncé, les Spice Girls and Co), on en revient à des songwriters plus inspirées comme Tori Amos puis, surprise, à un dernier chapitre reprenant la chronologie du vingtième siècle et traitant à part le cas de la France, depuis Mistinguett (qui fait ses débuts en 1894 !) jusqu’à la nouvelle scène française de La Grande Sophie ou Camille, en passant par Barbara, Hardy ou Bardot. Un choix de présentation somme toute assez logique, et qui montre de plus qu’en France, le mouvement fut précurseur, faute d’être en général aussi extrémiste dans ses manifestations ou dans ses textes. Quoique… le duo Gainsbourg/Bardot avait frappé très fort en 1967, au point qu’ils aient dû renoncer à la sortie de leur titre commun face au scandale, pour cause de « sexe trop explicite »…

Quelques omissions, mais il y en a toujours dans ce type de « bible » à vocation plus ou moins encyclopédique. Par exemple, pourquoi évoquer aussi brièvement la Country, en zappant Emmylou Harris, Allison Krauss, Lucinda Williams et bien d’autres ? Et pourquoi passer aussi vite sur des artistes comme Pat Benatar et autres omissions imméritées ? Peut-être n’est-ce qu’une preuve de plus du rôle majeur des femmes dans la musique, que de ne pouvoir toutes les citer dans un ouvrage unique ? A noter aussi qu’ont été aussi zappées les musiques instrumentales et électroniques ; la voix et le texte seraient-ils le seul moyen de se faire entendre ? Sans doute est-ce délibéré, mais dommage malgré tout car dans d’autres genres, il y avait des places à prendre ou à revendiquer, et certaines l’ont été.

La brève « discographie au féminin » en fin d’ouvrage est elle aussi sélective, forcément. De plus (comme souvent chez Le Mot et le Reste), on regrette l’absence d’un index général en annexe, seul moyen de se retrouver dans la profusion de noms de groupes et d’artistes cités dans cet ouvrage foisonnant. A moins que la dimension essai et survol y ait été privilégiée, mais la somme de biographies alignées ou imbriquées ne plaide pas dans ce sens. A noter aussi une iconographie réduite au strict minimum et à un noir&blanc « basse définition », au mieux une pochette d’album en vignette peu lisible. Mais peu importe : on sait bien que pour l’image et la couleur (et pour conserver au livre un poids raisonnable ?), il y a Internet, et cet ouvrage est donc en soi une fabuleuse invite à creuser ce vaste sujet pour en savoir plus sur chacun de ces groupes ou artistes, éphémères ou non.

En ces temps où le réflexe est de consulter Google et les fiches Wikipedia, quel est l’intérêt d’un ouvrage de cette nature ? Sans doute moins d’être exhaustif (tâche impossible, même sur le Net) que de nous montrer les articulations et les influences liant tous ces courants et ces biographies individuelles. Et de nous décrire un long combat pour le droit à la parole, à l’égalité, voire à la parité, concernant la (meilleure?) moitié de l’humanité. Ce qui n’est déjà pas si mal.

Jean-Michel Calvez

http://lemotetlereste.com/

http://stevenjezovannier.wix.com/sjv-

Steven Jezo Vannier

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