Octantrion – II

II
Octantrion
Quart de Lune/UVM Distribution/ IDOL
2021
Thierry Folcher

Octantrion – II

Octantrion II

Je me souviens d’une boîte à musique. Je me souviens de Monsieur Zygel nous présentant, comme à son habitude, un instrument hors norme, différent, exotique. Ce soir là ce fut au tour du nyckelharpa d’Éléonore Billy d’envahir un petit écran devenu subitement miraculeux. Il faut bien avouer que ce genre d’émission, bien trop rare à mon goût, tenait du prodige. La musique dite classique sortait enfin de son cadre élitiste et s’offrait au plus grand nombre. Nous sommes en 2015, Éléonore Billy et Gaëdic Chambrier du groupe Octantrion venaient de séduire la terre entière (mais oui!) avec talent, humour et passion. Leur premier album éponyme, sorti l’année précédente va bénéficier de cette soudaine renommée et s’offrir même un lifting en 2018 avec 8, une réédition complétée de quelques titres inédits. Mais la véritable nouveauté, elle arrive aujourd’hui avec II (prononcez deux, two, zwei, två…selon votre propre langue), un deuxième effort étonnant, inclassable et de toute beauté. Les présentations du nyckelharpa (instrument national suédois), du hardingfele (violon norvégien) ou du mandocello n’étant plus à faire, Octantrion pouvait se servir de leurs sonorités extraordinaires pour conter une histoire conceptuelle donnant libre cours à leur attachement aux légendes nordiques. Et c’est en compagnie de Hugin et Munin, les deux corbeaux messagers du dieu Odin, que les quinze titres de l’album vont nous promener entre musiques traditionnelles et compositions originales d’une grande portée émotionnelle.

Tout d’abord, il faut bien admettre que le paysage sonore d’Octantrion a considérablement changé. La partition s’est diversifiée et le voyage, même s’il présente certaines similitudes avec le disque précédant, va nous amener vers des terres inhabituelles, où la musique folk s’invite parfois. C’est le cas sur « The Dead King », un morceau chanté absolument magnifique et qui risque de devenir la belle référence du disque. La première fois que je l’ai écouté, il m’a semblé retrouver le timbre si particulier de Robert Wyatt et les accords de guitare de Neil Young (mais je me fais peut-être des idées). Ici, le chant en plusieurs couches est profond avec, en la personne d’Eric Pariche, un invité de choix qui colle parfaitement à cette ambiance partagée entre tradition classique et modernité. Octantrion n’a pas hésité à faire appel à des artistes de renom pour rendre sa musique encore plus abordable et universelle. Je pense notamment au tombak iranien de Julien Lahaye sur « Munin », un titre langoureux qui rapproche l’orient de l’occident et sur lequel Éléonore et Gaëdic nous envoient des parfums sucrés. Je pense aussi à Cécile Corbel, notre petite elfe maison, qui vient poser quelques notes de harpe celtique sur plusieurs titres dont « Element [Nén] », une jolie parenthèse à l’atmosphère recueillie. Mais ce sont surtout les parties chantées qui innovent et qui font sortir Octantrion du sempiternel disque instrumental un peu nombriliste. Tout d’un coup la musique s’humanise et devient plus charnelle, plus proche de l’auditeur. Il y a des vibrations intenses à ressentir sur « Bältares Långdans », le titre qui ouvre les hostilités avec ses vocalises mystiques annonçant le départ d’un périple que l’on va suivre coûte que coûte.

Octantrion II Band 1

Personne ne va pouvoir nous empêcher de succomber à l’envoûtement dans lequel « Hugin » et « Ragnarök » vont nous plonger pour nous amener vers des danses païennes irrésistibles. La maîtrise technique est irréprochable et les variations rythmiques bien menées pour ne jamais lasser. Les couleurs moyenâgeuses sont hissées et nous interpellent au plus profond de nos gènes. Gaëdic, en maître d’œuvre de l’enregistrement et du mixage, réussit le tour de force de mettre autant d’intensité dans les moments virevoltants que dans les instants plus intimes (le poignant « Element [vilya] »). Et puis, il y a la voix pure d’Éléonore sur « En Gång När Jag Ska Dö » qui prouve, si besoin en était, que le groupe possède avec elle le meilleur porte parole qu’il soit. II a le mérite de dévoiler les belles possibilités d’Octantrion et de s’inscrire ainsi sur la durée avec un avenir plein de ressources. Pour les puristes, je tiens à les rassurer, la tonalité générale du disque donne quand même une place prépondérante à tous ces instruments merveilleux et notamment à toute la gamme des nyckelharpas, du soprano au ténor. Une fois encore, « Munin » devrait pouvoir à lui seul réunir tout ce que Octantarion est capable de fédérer autour de sa musique. Il y a aussi la petite anecdote « Father », un titre issu de la B.O. du jeu vidéo A Plague Tale:Innocence qui risque de voir débouler toute une horde de fans pas forcément intimes avec la musique d’Éléonore et Gaëdic. Pour finir en beauté « Chaman » va déployer un bel arsenal de rythmes et de séquences alertes avant d’enchaîner avec la reprise de « The Dead King », histoire de nous visser cette chanson un peu plus dans la tête, mais était-ce vraiment nécessaire?…

Octantrion II Band 2

Pour tout amateur de musique, il y a des instants que l’on espère plus que d’autres. On tourne souvent autour d’une gamelle pas forcément appétissante mais qu’on s’oblige, souvent, à manger. Et puis, un jour on vous sert un met de choix, celui qui ne demande aucune réflexion et que l’on avale avec avidité. II d’Octantrion fait partie de ces nourritures terrestres qui éveillent nos sens et rendent le monde meilleur. Il est grand temps de sortir du brouillard et cet album est peut-être un des plus beaux passeports du moment. N’hésitez pas à vivre l’aventure Octantrion, c’est peut-être avec ce type de formation et de création artistique que l’on va se réconcilier avec le genre humain.

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