Ø – Konsteellaatio

Konsteellaatio
Ø
2014
Sähkö Recordings

Ø – Konsteellaatio

Sous ce nom de projet imprononçable se cache Mika Vainio, le pourfendeur de la matière sonique, le janus de Pan Sonic (j’y reviendrai), le bloc qui fissure la glace et convoque le feu et ce juste avec des sons. J’en ai déjà parlé dans les abysses de ce blog. Là, il demande qu’on lève la tête. Oui, comme ça, t’es dans la nuit et tu regardes les étoiles. À part ça ? Rien d’autre. Fasciné, hypnotisé, les grands espaces, l’univers, les constellations. Quoi de mieux pour s’égarer et se perdre en interrogations métaphysiques entre les biscottes/margarine et la facture de gaz ? Kubrick l’avait bien compris, l’être humain est en recherche constante de son monolithe existentiel. Philosophique, spirituel, concret, abstrait, artistique, au choix. Quand l’immensité rencontre le petit, le temps structurel est abscons et les possibles infinis. D’ailleurs Vainio oppose des photographies du quotidien, figées dans une temporalité « domestique », avec des aperçus stellaires non quantifiables. Le grand nourrit le petit et inversement. Deux visions de l’existence – ou du moins de son interrogation – et une seule façon de les lier en un regard. Celui du finlandais est, pour sa part, sonique.

Le nordique n’est pas bien bavard, on le sait, plutôt du genre taciturne. Son langage, ce sont les sons, les petits, les glitchs, l’inaudible, les imperfections analogiques qui rentrent dans le processus de création, et puis les gros, les drones, les murs noisy, les pulsations technoïdes déstructurées, la masse. L’electronic : un dialecte, abstracto-autiste pour certains, m’ouais… Une forme musicale qui ne laisse pas de marbre. Et ce petit dernier, là, c’est un manifeste. Un savoir-faire méticuleux au service des sonorités imperceptibles. L’acouphène devient une dimension, une invitation au voyage. Pour le parasitage, il se mue en un tableau cubiste qui déforme un quotidien en pâte à modeler.

Rarement Vainio n’aura été aussi carré, pointilleux, incisif et grave. La profondeur de cet enregistrement est juste bluffante, le mixage est optimal et le mastering est d’une perfection ahurissante. La preuve, j’atterris toujours pas. Jamais une sonorité ne prendra la place d’une autre, au contraire, elles se coordonnent, se conjuguent, s’observent pour mieux entamer un dialogue. L’entremêlement paraît si simple, sans anicroche ni fard. Putain, mais c’est de la magie ! Mettez la première face, l’auditeur se liquéfie littéralement et se souviendra de chaque microparticule qui se glisse dans l’oreille interne. Un vrai trip du minuscule qui, d’un circuit électronique, nous fait contempler le ciel et les étoiles.

Ainsi, on divague d’une ambient-electro autant sourde, aussi inquiétante que lumineuse jusqu’à des errements abstraits, sans le côté intello-portnawak jusqu’au moment, où, les pulsations se taisent, seules restent les nappes, l’electronic, claire, atmosphérique. On vogue, on nage littéralement dans le textural qui, paradoxalement, n’abrite aucune texture, l’émotion qui se cherche, en formation dans un trou noir et dans son absence. Bizarrement, je trouve que la presse ne sait pas trop comment danser avec cet électron libre. Mika Vainio garde cet aspect froid, sans réponse et sans question. « Konsellaatio » est apprécié, je ne dis pas le contraire, mais, quelque part, je sens comme une certaine retenue, de la pudeur. Comme si on n’arrivait pas à mettre les mots sur « une » musique, comme si ce n’était qu’une sortie parmi des milliers, qu’on désespère de trouver le terme.

Diantre, je sais bien que Vainio est principalement connu pour ses écarts bruitistes semi-improvisés de « fonctionnaire » mais, sous le patronyme de Ø, il n’en est pas à son coup d’essai plus mélodique et par là même davantage introspectif (bien que je sois contre cette vision : l’introspection, on la trouve là où on veut). Il faut dire ce qui est : une botte de radis est une botte de radis et « Konstellaatio » est tout bonnement magnifique, dans son absence d’émotions qui, inconsciemment, en procure comme dans sa tonalité qui force à la contemplation, qui fait croire que les livres sont la plus grande source de connaissances.

À ce stade c’est avoir l’impression de lire du braille sans l’objet entre ses mains. Oui, je vois, je lis, je fixe un point lointain alors que je peux le toucher du doigt. Un objet, d’ailleurs, que je prends un malin plaisir à faire découvrir à mes connaissances proches comme lointaines.

Mika Vainio a pris du temps pour mettre en boite cet album, et ça se sent car, au final, c’est une œuvre qui prend par la main, bien qu’éthérée. Elle fait réfléchir, sans qu’on sache vraiment pourquoi d’ailleurs, hors d’une sphère auto-normée. Bluffant, immatériel et magistral.

Jérémy Urbain (9/10)

http://www.media-loca.com/mikavainio

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